Lundi 12 mai – Musique d’entrée : Hole, Jennifer’s body (proposition d’élève)
Une vraie journée « sans » pour commence la semaine.
1/ Elèves éteints, fatigués, dans toutes les classes. Ils sont de plus en plus crevés après chaque weekend, après chaque vacances. On compte les cernes, comme sur les arbres.
2/ Cours mornes, sans entrain, routiniers ; je n’ai pas encore réussi à faire mieux.
3/ File d’attente au microondes de la salle des profs, je n’ai que 20 minutes pour déjeuner, je mange à moitié froid.
4/ Je reçois les copies d’une de mes classes de 3ème, corrigées par une collègue, suite aux épreuves communes. La moyenne est basse. J’aime pas les mauvaises notes. Mais ce sera pareil au brevet, donc autant qu’ils soient préparés…
5/ Et donc : comment mieux les préparer ? Pas trouvé encore.
6/ Je commence la correction d’un de mes tas de copies : en effet c’est pas brillant.
7/ Nouveau cas de harcèlement signalé en 6ème, on met l’équipe de suivi en branle.
8/ Encore une séance en mode sprint en 3ème, ça ne m’amuse pas du tout.
9/ Et en plus ! Des bouchons sur la route, juste le jour où j’ai un rdv avec timing serré.
10/ Et en plus ! Ma voiture recommence à faire un bruit que j’aime pas.
11/ Et en plus : batterie de portable quasi vide, ce qui ne m’arrive jamais.
12/ Pour me détendre, je remplis ma déclaration de revenus, youpi.
13/ Et je tente d’installer l’appli obligatoire de ma banque (j’ai râlé, mais ils s’en foutent), et bien sûr ça plante.
Alors, jour sans, ou pas ?
Mardi 13 mai – Musique d’entrée : Status Quo, Whatever you want
C’est la « semaine des langues » au collège, avec des petites opérations spéciales. Aujourd’hui, une classe de 4ème assiste à un spectacle de flamenco, et une autre suit un atelier d’anglais mené par des comédiens anglophones. Ça déroutine la routine. Moi qui disais hier à mes élèves que leurs journées ressemblaient à celle des ouvriers d’usines, je suis joyeusement contredit. Je les vois s’amuser, ça fait du bien.
A la cantine, il y a salade de maïs et haricots rouges, burger frites, tarte coco. J’ai du mal à voir le lien avec la semaine des langues, ou avec celle de la diététique.
Je liste aux 3ème les pays fondateurs de la CEE en 1957 : France, Allemagne de l’Ouest, Italie, Belgique, Pays-Bas… et Luxembourg. Nathan (1), petit espiègle que j’aime bien, murmure « il sert à rien, ce pays ! ». J’ai pas le temps de la retenir, ma réponse part toute seule : « Si ce qu’était petit ne servait à rien, on se demanderait tous ce que tu fais dans la classe ! » Ils sont 22 à se marrer ; Nathan aussi, il me connait. J’attends 5 secondes, et je conclus par un « chê ! » (2) qui l’achève, et re-fait-re-marrer la classe.
Je recroise Nathan en sortant de la salle. Il sourit, moi aussi.
- Monsieur, vous êtes pas gentil, en vrai !
- Mais oui !!
Je sais qu’il cherche déjà comment se venger. Je le soupçonne même d’avoir trouvé. C’est de bonne guerre.
Mercredi 14 – Jeudi 15 mai – Musiques : Johnny Cash, Tool
Je n’ai que deux heures de cours, jeudi de 8h à 10h. Le reste du temps, je prépare des cours, je prépare des cours, je corrige des copies, et je prépare des cours. Sans oublier de préparer des cours. Je dois écrire entièrement toutes les leçons des 3ème, à partir de la base de l’an dernier. Reprendre les prochains chapitres de 5ème et 4ème : maintenant que j’ai supprimé l’étape d’écriture de leçon, faut adapter le reste. Et puis me remettre la tête dans chaque chapitre de 5ème, que je n’ai pas « faits » depuis deux ans.
Donc, beaucoup de concentration et de temps assis derrière un PC. Je me réjouis encore de bosser sur un PC fixe et pas un portable. Avec un vrai clavier, une vraie souris (enfin, pas une vraie « vraie », mais… voyez ? sinon… on cliquerait où ?), un écran à la hauteur des yeux et un tout petit peu plus grand qu’une carte de tarot. Je finis quand même avec les yeux fatigués comme si j’avais lu toute la Bible en police 6, le dos serré tel un public de Cannes au pied du tapis rouge, le cortex essoré comme la 2è DB sortant d’un bordel de campagne, et je cherche encore une comparaison valable pour l’état de mes fesses (3).
Vendredi 16 mai – Musique d’entrée : Charles Aznavour, La Bohême (proposition d’élève)
Vous avez bien lu : on m’a bien demandé de passer Aznavour.
J’ai demandé à la chef du collège : l’emploi du temps normal s’arrête le 17 juin, après quoi on aménage différemment jusqu’au brevet. Il me reste donc au max 14h de cours avec les 3ème, et on a encore (en théorie) 6 chapitres d’histoire à voir, et 2 d’EMC (éducation morale et civique). Un tiers du programme en un mois. Autant vous dire que là aussi, ça va aménager… et même déménager.
Des filles de 3ème viennent râler (c’est rare) parce que d’autres ont eu de meilleures notes à l’oral, « c’est pas juste, et pourquoi monsieur, pourtant c’est moi qui ai tout fait, mais je me suis entraînée, et elle… » C’est délicat ! Rester juste dans l’évaluation, sans trop décevoir, avec des critères précis, mais aussi du « relatif » entre celle super à l’aise et celle au bord du super malaise…
Et hop, changements de chapitres !
En 5ème, on abandonne Charles Quint et Christophe Colomb pour découvrir Erasme et Luther. Moins facile ; j’ai simplifié, parce que les « 95 thèses » de Luther qui fondent la Réforme protestante, même moi faut que je m’accroche.
En 4ème, fin de L’Industrialisation et début de La Colonisation. Toujours au XIXe. J’attaque par une image qui fait toujours son effet : le « bassin » sénégalais de l’expo universelle de Liège en 1905. Sur l’image, amusez-vous à compter les baigneurs ! Les ados en voient entre 2 et 6. Ensuite :
- Ça vous rappelle quoi, comme image ?
- Ben… c’est bizarre, on dirait un zoo
- Ça tombe bien, c’en était un : on payait pour voir des petits « nègres » dans un enclos
- Mais monsieur, ça se fait pas !
- Mais on l’a fait.

Agrandissement : Illustration 1

En fin de journée, sur le groupe WhatsApp du collège, on se rend compte que, comme dans un zoo, nos élèves veulent de plus en plus s’échapper de leur classe. Comment font-ils ?
- Demander à aller aux toilettes, et bien prendre son temps
- Demander à aller à l’infirmerie pour un prétexte douteux (mais va savoir…)
- Faire semblant d’avoir oublié ou perdu son sac, et redescendre le chercher
- Juste traîner dans les couloirs, et si on nous demande, on dit qu’on était à la vie scolaire, chez la CPE, ou juste on sourit et on avoue « ben, on traîne ! »
Sans oublier ceux qui dorment, ceux qui regardent par la fenêtre, ceux qui n’écoutent plus, ceux qui ne font plus les devoirs, ceux qui comptent leurs cernes, ceux qui ne viennent plus. On est le 15 mai. Allez ! Pour tout le monde, tenir encore un mois. Juste un mois.
(1) Tous les prénoms sont modifiés
(2) Expression qu’utilisent les enfants pour se moquer gentiment : « chê » = « cher » = « t’as pris cher »
(3) J’aime bien les comparaisons. Une comparaison en littérature, c’est un peu comme… ah mais arrête, les comparaisons ! Tu vas finir par ressembler à… et merde.