Lundi 13 octobre – Musique d’entrée en classe : Peter Pan (Diam’s, proposition d’élève)
J’innove dans ma réponse à « Monsieur, le document, faut le coller ? ». Ce matin c’est : « Non, tu mets du tabac, tu le roules fin, tu le fumeras à la récré. »
J’improvise une explication du verbe « se saisir » : une élève revient justement des toilettes et passe devant moi pour aller s’asseoir. Je la saisis ! Elle bondit, rougit, se tétanisit, les autres se marrent, je m’excuse, elle se marre.
A la cantine ce midi : salade de patates froides, puis poulet patates chaudes. On attend avec impatience le menu taboulé-couscous et paëlla-riz-au-lait.
Rayan (1) en 5e se retourne vers un copain, une fois, « arrête », deux fois, « arrête », trois fois, puni. Quatre fois, j’avertis. Cinq fois, il est exclu du cours. Et il râle encore des « j’ai rien fait ».
Ses copains, eux, trouvent de bonnes idées pour régler la question démographique en Inde : leur donner des billets d’avion pour qu’ils partent, ou lâcher des chiens enragés pour tuer la surpopulation. On rigole bien.
Mardi 14 octobre – Musique : Electric worry (Clutch, proposition de lecteur)
Un fidèle lecteur m’a proposé cette chanson d’un groupe qu’on écoute tous les deux. Ça fait bouger quelques élèves sur leurs chaises, je suis content.
A la récré du matin, je m’amuse à compter : on est 30 dans la salle des profs, je suis le seul homme.
Des 3e se sont fait choper en train de fumer dans les toilettes. Non, c’était pas celui à qui j’ai parlé de tabac ! En plus, dans les WC ils ont vapoté. Rien à voir.
Les 4e me questionréponsent pendant plus de 20 minutes sur la vie des esclaves au XVIIIe siècle. On bat un record de vivacité collective.
En 3e, début du chapitre sur la 1ère guerre mondiale. Emilie, d’habitude très réservée, vient me voir à la fin : « Monsieur, c’est quoi un obus » ? Je montre une photo, j’explique, explosif, détonateur, coque en acier, éclats d’obus, gueules cassées… Elle sort, accompagnée de sa copine (quasi siamoises, les deux) à qui elle conclut : « Aaahh… c’est dégueulasse ! » Oui. La guerre, c’est dégueulasse. Et encore, elle a pas vu les images.
Mercredi 15 octobre – Musique chez moi : The Old Dead Tree
Je n’ai qu’une heure de cours, pour l’autre la classe est en sortie scolaire. Chez moi, je passe 1h30 sur le dossier « goûter de l’orientation », des rencontres qu’on organise entre nos 3e et des anciens élèves. C’est du boulot, mais comme c’est moi qui ai initié le projet (avec une collègue), je peux pas râler. Dommage, j’adore râler.
Je passe une autre heure et demi sous ma casquette « prof principal ». Appel à la mère d’une élève dyslexique, pour la mise en place d’un PAP (des adaptations qui soulagent). Appel aux pères d’élèves qui perturbent trop souvent la classe. Mes collègues (femmes) appellent souvent les mères, moi les pères ; amusant ! Pour un des élèves, je sais que la mère « défend » ses enfants quoi qu’il arrive. Le père me dit que ce soir, il réunit tout le monde autour de la table. Possible que l’ambiance ne soit pas la même.
Jeudi 16 octobre – Musique : Selfie Pulla (BO du film « Kaththi », proposition d’élève)
La musique indienne issue d’un film « Bollywood », ça fait rigoler les élèves, qui soupçonnent rapidement l’une d’entre eux de l’avoir proposée. Elle avoue d’un grand sourire.
Avec des 4e j’ai tenté, c’est rare, un exercice à finir à la maison. Allez, 5 minutes de boulot. Echec ! Huit élèves sur vingt-neuf ne l’ont pas fait. Dans le lot, je compte 2 très bons élèves et 2 filles avec PAP. Que faire… Comme j’avais prévenu que je vérifierais, je suis obligé de sévir, bien conscient que ça ne servira à rien. Une page de leçon à recopier, raccourcie pour les PAP. L’une d’elle vient me voir :
- Monsieur, cherchez pas à comprendre, mais je peux recopier toute la page ?
- Euh… oui, mais…
- Ben, en fait, j’aime bien écrire !
C’est déjà ça.
Les 4e tombent toujours des nues quand ils découvrent que c’était des Africains qui capturaient d’autres Africains, au XVIIIe (2), pour les refourguer aux Européens.
- Mais monsieur, alors les Africains ils étaient pas tous esclaves ?
- Mais monsieur, mais c’est raciste !
- Mais pourquoi les Blancs ils discutaient avec les Noirs ?
Parce que… Les Africains sont comme tout le monde : ils veulent faire du commerce, avoir des bijoux, des armes et le pouvoir.
Les 3e tombent des mêmes nues en découvrant les tranchées de 1914.
- Mais ils dormaient quand ? Où ?
- Mais ils faisaient quoi la nuit ? Pourquoi ils attaquaient pas ?
- Ils sont vraiment restés 3 ans là-dedans ?
- Pourquoi les Allemands ont pas attaqué les Anglais pendant qu’ils creusaient les tranchées ?
- Ils se voyaient vraiment d’une tranchée à l’autre ?
- Mais à quoi ça servait de gagner 100 mètres et de reculer ? Ça servait à rien !
C’est exactement où je voulais en venir. Ça tombe bien. Et quand je leur explique que depuis deux ans les Russes et les Ukrainiens font la même chose, ils repartent pour un tour.
Vendredi 17 octobre – Musique : Mampanota (Caesar, proposition d’élève)
Émilie reste encore à la fin du cours, elle a dû parler du collège à la maison : « Monsieur, j’ai un obus chez moi ! » Juste un morceau, que ses parents ont ramassé quand ils habitaient dans le Nord. Ça fait deux fois cette semaine qu’Émilie vient me parler ; et de temps en temps, depuis la rentrée, elle lève la main spontanément. L’an dernier, en 4e, je crois que je ne l’ai pas entendue une seule fois. Possible qu’elle prenne confiance…
Les 5e posent plein de questions sur les migrants, les immigrés… Pour eux, un immigré c’est sale, c’est moche, c’est pas le bienvenu. Non non, dis-je plusieurs fois, c’est juste quelqu’un qui change de pays.
- Mais monsieur, alors si je déménage pour aller en Espagne…
- Tu seras une immigrée. Pareil pour moi si j’y vais.
- …... (en sous-titre : « merde alors »)
Je leur demande de lever la main s’ils ont de la famille d’origine étrangère : ils sont 24 sur 25.
- Mais alors, on est tous des immigrés !
- Non : vous êtes tous des Français.
- …… (sous-titre : ……)
Ce soir, après les cours, on accueille nos anciens 3e qui ont eu le Brevet, pour la cérémonie de remise des diplômes. En quelques mois, ils ont déjà bien changé ! C’est émouvant de les revoir, et la réciproque est vraie pour pas mal d’entre eux, ravis de recroiser leurs vieux profs, de revenir là où ils étaient petits… Ils arborent des sourires et du plaisir à se retrouver.
De belles images que j’emporte pour les vacances.
(1) Tous les prénoms sont modifiés
(2) Siècle ! Mais il y en a aussi dans l’arrondissement, remarquez