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Billet de blog 22 juin 2025

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La vie quotidienne d'un prof - Semaine 36

Le prof est absent, son fils est malade. Les élèves sont ravis, forcément. Même si Clara, le lendemain dans la cour, me dit qu’elle était triste que je ne sois pas là. Quant à moi, comme la plupart des profs, je ne suis pas ravi d’être absent.

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Lundi 16 juin

     Le prof est absent, son fils est malade. Les élèves sont ravis, forcément. Même si Clara (1), le lendemain dans la cour, me dit qu’elle était triste que je ne sois pas là. Quant à moi, comme la plupart des profs, je ne suis PAS ravi d’être absent :

1/ Un enfant malade, c’est jamais une bonne nouvelle (sauf quand c’est LE gamin pénible d’une classe, là on ouvre un demi champagne)

2/ C’est une journée de cours en moins, et j’ai besoin d’heures pour faire avancer mes 3ème avant le brevet

Mardi 17 juin – Musique d’entrée en classe : Jok’Air, La Menteuse (proposition d’élève)

     En 3ème : programme terminé ! On peut passer aux entrainements et révisions. On n’aura que 4h pour ça, mais voyons le verre à moitié plein.

     En 5ème : programme pas terminé ! Et tant pis. Par contre, Rayan (1), au 1er rang juste devant moi, est très allergique au pollen. Il renifle toutes les 3 secondes, sans exagérer. Avant de l’occire joyeusement, je l’autorise à tout : se mettre au fond, me prendre 20 000 mouchoirs, sortir quinze fois pour se moucher, voire renifler de temps en temps, parce que bon, faut bien. Au bout d’une heure, il m’a épuisé comme une volée de moustiques tigres (du Bengale).

     En 4ème : je montre un extrait du film « 10e chambre », de Raymond Depardon. Une occasion unique de voir des procès en vrai, avec de vrais morceaux de prévenus dedans. Ça pourrait même intéresser des lecteurs de blog, tiens.

     Deux élèves de 4ème jouent au chat et à la souris avec moi, comme avec tous leurs profs. Ils se planquent, trainent, font tout pour pas aller en cours. Je suis du genre bienveillant (2), mais là je me fous en rogne, surtout quand ils n’assument pas leurs c***eries et se plaignent « qu’on a rien fait ». A force de pousser-le-bouchon-un-peu-trop-loin-Maurice, ils sont exclus par le Chef jusqu’à la fin de l’année. Manifestement, ils ne demandaient que ça.

     Chloé (1), la petite de 3ème que j’ai particulièrement pris sous mon aile, est terrorisée dès qu’elle doit parler. Or, demain, c’est l’oral du brevet. Je lui ai organisé un entrainement à la pause déj. Mais ce matin, elle est rentrée chez elle : crise d’angoisse ? A l’oral blanc déjà, elle était à moitié tombée dans les cerises (c’était la saison). J’ai vraiment la trouille pour elle, pour demain, et je croise tous les doigts (les 50, j’ai bien compté) pour être dans le jury qui l’écoutera. On est 14 jurys en tout…

Mercredi 18 juin

     Je me jette sur la liste des élèves de mon jury : il y a Chloé ! Miracle, coup de pot, coup de pouce de la cheffe qui a fait les listes ? Je ne saurai jamais. Ma collègue de jury, qui est aussi la prof principale de Chloé et la connait bien, confirme : la petite ne peut être en pleine confiance qu’avec moi. J’en suis touché…

     Alors bon. Chloé arrive du fond du couloir, et quand elle me voit il lui déboule un sourire qui fait 4 fois le tour des oreilles. Elle entre, dit bonjour, tremble, respire à peine, marmonne qu’elle va pas y arriver. On l’apaise… Elle se prépare… Je m’attends à ce qu’elle confonde sa clé USB et sa carte d’identité… Non, ça va… Elle nous regarde avec un sourire genre « je sais que je suis à l’abattoir ». On la rassure. Et elle se lance. Ça dure 5 minutes, mais qu’elles sont longues ces minutes ! Et elle tient le coup. Elle parle juste, son oral est impeccable, elle répond parfaitement aux questions. Elle range ses affaires, sort, avec un sourire « tiens, je suis pas décédée ? ». Au revoir Chloé. Ma collègue respire : elle était aussi en apnée.

Chloé aura une super note.

Un moment comme ça, à lui seul, justifie nos mois de travail épuisant.

Jeudi 19 juin – Musique d’entrée en classe : Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama

     En EMC, les 4ème lisent un document sur la justice pour les mineurs, où je parle notamment du risque de viol et d’inceste. Pendant qu’ils lisent, je tombe sur cet article du Monde (oui, je jette un œil au Monde parfois en classe), publié – coïncidence ! – aujourd’hui. La définition pénale du viol va changer : désormais, il faudra que le consentement soit vraiment explicite, sinon, puni ! Je commente l’article en direct aux élèves. J’aime ces moments d’impro. Et puis je leur parle du viol, de l’inceste. Silence attentif garanti. Quelques filles viennent même me parler à la fin du cours.

La fin d’année approche : Une élève m’offre des gâteaux maison.

La fin d’année approche : J’ai l’après-midi libre ! Pas de boulot !

La fin d’année approche : Il fait chaud.

La fin d’année approche : Je prépare les adieux aux 3ème, ce sera triste de plus les revoir ; j’explique comment ils peuvent nous écrire, après, s’ils ont envie.

Vendredi 20 juin – Musique d’entrée en classe : From Ashes to New, Breaking Now

La fin d’année approche : il fait entre 28 et 30°C dans les salles, mesuré au doigt (trop) sec. On ouvre les fenêtres, les portes, mais les élèves ferment les yeux. Esprit de contradiction, sûrement.

La fin d’année approche : j’attaque les entrainements au brevet avec les 3ème.

Illustration 1

La fin… (vous avez compris) : toutes mes classes de 4ème ont entendu parler des risques d’agressions sexuelles. Et je leur ai montré le « violentomètre ». Message aux filles : faire attention. Message aux garçons : faire attention. Mais pas pareil.

La fin (etc.) : séances de questions libres avec deux classes, pour la toute dernière heure avec eux. C’est ma tradition d’avant Noël et de fin d’année. Les élèves écrivent, sur papier anonyme, toutes les questions qu’ils veulent. Dans la petite liste du jour :

  • Votre plus beau voyage ?
  • Vous avez aimé l’année avec nous ?
  • Est-ce que vous allez bien ?
  • Votre rêve d’enfant ?
  • Pourquoi la guerre entre Israël et l’Iran ?
  • Vous pouvez dire « paf » ? Je fais semblant de ne pas connaitre, ça les fait rire (3)
  • Vous serez prof principal de 3ème, l’an prochain ?
  • Vous pouvez demander à nous avoir dans votre classe ? Parce que nous, on veut.

     C’est la fin d’année : on se fait comprendre qu’elle a été chouette. Alice et Clémence, en sortant avec un dernier regard avant les vacances : « Prenez-nous dans votre classe ! Nous oubliez pas ! »

(1) Tous les prénoms sont modifiés

(2) Si !!

(3) C’est un vieux mot d’argot pour désigner le pénis, que je connais depuis longtemps (le mot, pas le pén… ah ben si, aussi, tiens)

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