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Billet de blog 22 septembre 2024

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La vie quotidienne d'un prof - semaine 2

Deux semaines après la rentrée, les élèves se sentent à l’aise, commencent à tester les limites du prof qui a l’air cool. Ils se sentent pousser des ailes. La deuxième semaine, c'est celle où les élèves comprennent comment je fonctionne. Pour le meilleur et...

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Lundi 16 septembre

Deux semaines après la rentrée, les élèves se sentent à l’aise, commencent à tester les limites du prof qui a l’air cool. Ils se sentent pousser des ailes dans la bouche et je dois montrer les dents (gentiment, hein), rappeler que oui, on est cool mais à condition de respecter des règles. D’accord : sonnerie, debout, assis, silence, sonnerie, lever la main, travail, chrono, sonnerie, c’est quasi militaire, ça me désespère, et je leur dis. Sonnerie. Mais seul adulte devant 30 ados en pleine santé, si tu lâches la bride le troupeau se met au galop. Tout le monde sait qu’on peut faire autrement, bien sûr. Mais là…

Je découvre, via une collègue autour d’un (dé)café, qu’un des élèves de la classe dont je suis prof principal a été exclu de son ancien collège en juin. Je n’avais pas l'info. Si je veux des infos, je dois descendre au secrétariat et chercher un à un les dossiers papier, parmi les 170 élèves de 4inscrits cette année.

Un 4ème me demande au fait, vous avez quel âge ? Je lance la question à main levée. Une fille au 1er rang lève la main à « 30-35 ». Je lui dis merci, mais pas la peine d’être si gentille. Un seul lève la main à « plus de 50 », ouf. La plupart sont bien sur « 45-50 ». Je les félicite. Et on met moins de 10 secondes à reprendre le cours : un autre signe que leur confiance est acquise.

On a une 2ème imprimante depuis la rentrée. Elle a déjà plus d’encre. La 1ère déconne aussi. On se ronge les stylos. Un prof sans photocopieuse, c’est des branchies sans poisson.

De ma fenêtre, je vois la cour de récré et les tables de ping-pong autour desquelles les élèves tournent à plus de 10. Souvent les mêmes. Je les connais. On se fait coucou par la fenêtre. Des fois, j’aimerais descendre jouer avec eux.

Sonnerie.

Mardi 17 septembre

Quand les 4ème et les 3ème entrent en classe, je leur mets une musique. Pas les 5ème, qui en sont encore à apprendre qu’on entre en classe dans le calme. Aujourd’hui c’était « L’homme pressé » de Noir Désir. Mais j’ai hésité. Je leur ai raconté l’histoire de la fin du groupe, la mort de Marie Trintignant. Avec comme petit message que c’est pas bien de taper sur les gens. Etrangement, après, ils étaient calmes.

Une classe doit passer une partie de « l’évaluation nationale » de français pendant mon cours. Test de « fluence », de lecture. Un par un, ils se lèvent, quittent ma salle pour aller faire leur test dans une salle un peu plus loin, puis ils reviennent s’asseoir en appelant le suivant. Et pendant ce temps, je continue de faire cours. Personne n'arrive à se concentrer, mais la direction n’a pas trouvé de meilleure solution, vu les emplois du temps et les délais pour faire passer ces évaluations. Ordres d’en haut, débrouillez-vous en bas.

En géo, les 5ème découvrent qu’en Inde les filles sont moins scolarisées que les garçons. Monsieur, pourquoi ? Je leur dis la place de la femme dans la société traditionnelle indienne. « Mais monsieur, c’est pas juste, ils sont bêtes ! ». Je m’assois, ils me scrutent, je prépare mon coup… Dites, les enfants : levez la main, celles et ceux chez qui c’est vous (les filles), vos sœurs, vos mères qui font les courses, le ménage, la cuisine, la lessive ? Ils se regardent. Sur 25, environ 20 lèvent la main. Et ça nous occupe tout le reste du cours !

Mercredi 18 septembre

Je devais bosser chez moi toute la journée. L’école du petit m’appelle à midi : il a mal au ventre et rendu son petit déj à l’expéditeur. Je vais le chercher, je le garde à la maison tout l’aprem. Le petit bonhomme en bave, et son père perd (c’est amusant) une demi-journée de boulot. J’ai bien fait de prendre de l’avance, dis donc !

Jeudi 19 septembre

Préparer une évaluation pour les 5e, fastoche : j’ai déjà préparé le sujet il y a deux ans. Oui, mais non. Je me rends compte que les textes sont trop petits, je ne peux pas tout garder sur une seule page. J’agrandis tout, je refais la mise en page. Je chercher une version « texte » d’un document pour remplacer le format « image » et agrandir la police. Je fais une petite modif pour créer un 2ème sujet un peu différent : ça dissuade de tricher sur le voisin. Je prépare un sujet adapté pour certains élèves en difficulté (plus court, enlever un exercice, nouvelle mise en page). Et j’avais fait le sujet pour un collège où on ne mettait pas de notes. Ici, on en met. Je prépare un barème et l’ajoute sur le sujet. Voilà. J’y ai passé une bonne heure.

Vendredi 20 septembre

J’essaie d’apprendre à mes élèves à ne pas lever la main pour dire « moi, moi !!! » quand l’un.e d’entre eux / elles essaie de répondre à l’oral. Foutez-lui la paix ! Le réflexe du bon élève « moi m’sieur, je sais » est dur, très dur à perdre. D’autant que je suis peut-être le seul prof à leur demander ça.

Exercice que je crois « simple » avec les 4ème. Lecture de petites cartes avec une seule info dessus. Pourtant, ils ne savent pas faire une phrase pour dire que les gros ronds c’est les villes importantes, les petits ronds les autres villes. Et pour eux, le dessin, là, c’est une flèche. J’ai un mal fou à leur faire sortir que non, c’est pas une « flèche », c’est une « double flèche rouge et épaisse ». Ils ne savent pas encore décrire ce qu’ils voient.

Vendredi, dernière heure, avec des 4e. Toujours chaud bouillant, ce créneau. Il peut se passer n’importe quoi. J’adore, évidemment. On parle des villes à l’écart des autres, dans le monde. Exemple de Pyongyang, en Corée du Nord. De là, ils sont une douzaine, les un.e.s après les autres (il y en a même que je n’avais jamais entendus), à me demander monsieur, et la Corée du Sud, et la Palestine, et le Kurdistan, et le Sahara Occidental, et le printemps arabe, et c’est où Hollywood ? Je réponds à tout, je les fais marrer en jouant au prof épuisé. On y passe 20 minutes, et c’est tellement plus intéressant que le programme ! Il est 16h35, dans 10 minutes c’est le weekend. Je leur demande 10 minutes pour finir le bout de leçon. Ils sont au garde-à-vous, appliqués. Je les remercie. Allez, dehors !

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