Lundi 24 et Mardi 25 mars
Arrêt maladie, deux jours. Je pense à cette bonne vieille légende urbaine (et rurale), des profs qui sont toujours malades ou en grève. Dans les faits, quand un(e) collègue est malade, c’est surtout le mot « désolé » qui ressort. Et côté sentiment, surtout la culpabilité : et les élèves, et les collègues, et le programme ? Donc les absences sont rares, et souvent bien justifiées. Surtout dans un métier où la moindre faiblesse est exploitée par certain(e)s élèves qui n’attendent que ça.
Et puis merde : on a aussi le droit d’être malade. Donc, deux jours de pause. Rien de grave, mais aller au collège aurait aggravé le cas au lieu de le soigner. D’autant qu’au programme, il y avait :
- Lundi, 6h de cours avec 20 minutes de pause
- Mardi, 5h de cours, 1/2h de surveillance d’étude-salle-de-travail, 3h de réunion parents – profs avec 31 rendez-vous (pas de faute de frappe : c’est bien 31) de 5 minutes enchainés
Dans quel état aurais-je fini ces deux jours ?
Jeudi 27 mars – Musique d’entrée : Sex Pistols, God Save the Queen
Je me fais plaisir pour le retour en classe, que je vis comme un vrai bon moment. Les enfants me manquaient. Je leur balance du punk, ils balancent la tête (en rythme), échange de bons procédés. Je leur raconte un peu l’histoire du punk, et j’en soupçonne pas mal d’être plus attentifs à ce moment-là que quand je leur raconte comment écrire un texte organisé en histoire-géographie.
Ils sont pas cons.
Julie (1) vient me voir à la fin d’un cours, le sourire si large qu’elle peut se l’accrocher derrière la nuque : « Monsieur, c’est dingue, on a les mêmes goûts musicaux ! ». Je réponds que oui, c’est dingue qu’elle écoute des trucs de vieux. Je comprends mieux quand elle m’explique que son père lui a donné ses vieux vinyles.
Dans l’épreuve d’histoire-géo au brevet des collèges, il y a toujours une analyse de documents, avec à la fin une question de synthèse style « à partir de vos connaissances et des documents, expliquez… ». Les élèves réussissent rarement cette question, difficile pour eux car elle demande de mélanger deux sources d’infos, parfois sur deux sujets différents, et à les mettre dans le bon ordre ! Il faut donc les entrainer à cet exercice très spécifique. Et donc je. Mes 3ème y ont bossé déjà une heure, et une autre encore ce matin. Ils y arrivent presque tous, même les plus fragiles. Voilà un petit pas qui fait du bien !
Charlotte et Eva (1), en 3ème, viennent me voir à la récré. Mi-gênées, mi-embarrassées, ce qui est un mi-pléonasme. Elles forment un groupe de potes très proches, avec d’autres de la classe, que je connais bien. Elles trouvent une de leurs amies trop directive, trop possessive : elle les empêche de faire ce qu’elles veulent, faut toujours faire comme elle veut, même là, savent pas comment inventer une excuse pour être venues me voir.
Ah ! Ça, c’est un vrai problème d’ado. Je dis d’abord merci de m’en parler (leur confiance me touche toujours), et puis que le mieux c’est de lui en parler, à leur pote. Mais elles ont peur que ça « casse » leur groupe, qu’elle dise du mal d’elles aux autres de la classe… Le bordel, quoi.
Un bordel qui est la SEULE chose qui envahit la tête des gosses, à cet âge. Alors, hein, la guerre de 14 et les espaces agricoles ? Comment tu veux que ça rentre ?
Ça rentre pas. Parce que Charlotte, elle a peur de perdre sa meilleure amie.
Vendredi 28 mars – Musique d’entrée : Carla, Bim Bam Toi (proposition d’élève)
Une asso vient rencontrer toutes les classes de 4ème, aujourd’hui : SOS Méditerranée, qui repêche les migrants en détresse entre la Libye et l’Italie. Deux heures de cours qui sautent. Quelques élèves accrochent, surtout aux vidéos qui montrent la détresse des migrants, leur soulagement, leurs témoignages. Bizarrement, ils accrochent moins aux longs exposés en diaporama.
Ils sont pas cons. C’est dur, de tenir leur attention.
J’attrape au passage quelques infos sur le parcours des migrants. La plupart de ceux qui sont repêchés (et sauvés), au départ, ne voulaient pas du tout venir en Europe. Ils voulaient trouver du boulot (illégal) en Libye : ce pays, qui a sombré dans le chaos depuis 2011, exploite ses gisements de pétrole et de minerais par de l’économie aussi souterraine que ses réserves. Mais une fois sur place, les migrants sont pris au piège, emprisonnés, torturés… Certains arrivent à s’échapper, à s’acheter (cher) la sortie de prison, ou alors sont trop usés pour le boulot. Tout ce beau monde finit dans les bateaux, en payant encore les esclavagistes pour avoir une place.
Me coucherai moins bête ce soir !
Mes 3ème ont une heure d’intervention « Éducation à la vie Affective et Sexuelle ».
Une autre heure de cours qui saute.
Avec les 4ème, début de chapitre sur le processus d’industrialisation au XIXème siècle. Je leur montre le film « Sortie d’Usine » des frères Lumière, tourné en 1895. Question (ils ont pas vu le titre du film, bien sûr) : quel endroit est filmé, là ? Les petits tentent leur chance : une gare, une église, une fête, une rue, une réunion de suffragettes, un marché… Pardon Clara (1) ?
- Une usine ?
- Ah, et pourquoi une usine ?
- Parce qu’à l’époque, c’était surtout des femmes qui travaillaient dans des usines ?
- Intéressant !
Intéressant, parce que je pensais qu’ils auraient le stéréotype inverse, immuable : les hommes au boulot, les femmes à la maison.
Mais non. Ils sont vraiment pas cons.
Une de mes élèves a fêté son anniversaire le même jour que moi, cette semaine. Je lui ai offert, discrètement mais pas trop, un petit cadeau. Elle en était toute retournée, ses amies autour n’en sont pas revenues. Je suis reparti, le cœur léger d’avoir fait plaisir. Et d’avoir fait mon boulot, même si c’est pas mon boulot.
(1) Tous les prénoms sont modifiés