Littérature française
Vincent Almendros, Faire mouche, Minuit
Si le soleil italien écrasait les protagonistes d'Un été, précédent roman de Vincent Almendros, ce sont les nuages bas d’août qui opèrent dans Faire mouche. Et les mouches, présence envahissante, dès les premières pages.
Didier Blonde, Le figurant, Gallimard
Figurant. Le mot qui donne son titre au nouveau roman de Didier Blonde aurait aussi bien pu s’écrire au féminin. Voire au pluriel. Car il ne désigne pas seulement le narrateur, mais un ensemble d’êtres qui sont de n’être pas tout à fait, des identités évanescentes, gazeuses presque.
Andrea Genovese, Dans l’utérus du volcan, Maurice Nadeau
Après Tomasi di Lampedusa, Leonarda Sciascia, Andrea Camilleri, entre autres, revoilà la Sicile, éruptive et mystérieuse, avec un texte qui se veut utérin et renvoie au cordon ombilical rattachant à son île natale Andrea Genovese, poète résidant à Lyon.
Jacques Josse, Comptoir des ombres, Les Hauts-fonds
Auteur d’une trentaine de livres, Jacques Josse se plonge dans son passé, dans la mémoire même de son écriture. Comptoir des mots revient sur le choc initial qu’a été pour lui la lecture des poètes de la Beat Generation. Loin de l’entraver, de le restreindre à un mimétisme stérile, ces œuvres ont libéré son écriture et lui ont permis d’inventer un univers qu’il est passionnant de découvrir.
Yanick Lahens, Douces déroutes, Sabine Wespieser
Après Bain de Lune (prix Femina 2014), ample roman qui retraçait l’histoire de trois générations paysannes d’Haïti, Yanick Lahens nous plonge avec Douces déroutes dans la ville de Port-au-Prince pour suivre plusieurs destins, tous hantés par l’assassinat politique d’un juge.
Marceline Loridan-Ivens avec Judith Perrignon, L’amour après, Grasset
Intempestif, le dernier livre de Marcelline Loridan-Ivens est celui de tous les paradoxes, et de toutes les libertés. C’est une pensée qui surgit, c’est son ton qui s’y entend : un tempo.
Wilfried N’Sondé, Un océan, deux mers, trois continents, Actes Sud
La destinée de Nsaku Ne Vuanda, ou Dom Antonio Manuel, prêtre et ambassadeur du royaume Kongo auprès du pape Paul V, né dans l’actuel Angola en 1583 et mort au Vatican en 1608, pouvait donner matière à une belle histoire emblématique ou illustrative. C’est tout le contraire qui se passe dans le cinquième roman de Wilfried N’Sondé, grâce à une approche intuitive, fondée sur un principe de non-assignation : celle de la fiction.
Littérature étrangère
André Aciman, Appelle-moi par ton nom, Grasset
Alors que le film Call me by your name de Luca Guadagnino triomphe dans le monde entier, que ses interprètes Armie Hammer et Timothée Chalamet sont célébrés aux Oscars, En attendant Nadeau s’entretient avec l’auteur de ce livre puissant sur la passion, le désir, le sexe, la manière dont on s’en dissimule le pouvoir à soi-même.
Naomi Alderman, Le pouvoir, Calmann-Lévy
Écrit en 2016, avant le phénomène #MeToo, Le Pouvoir est un roman dystopique qui pose entre autres la question des rapports entre les hommes et les femmes. Dans cette fiction à la fois contemporaine et historique, les femmes du monde entier se découvrent un pouvoir qui leur donne l'ascendant sur les hommes. Quel nouveau visage pour l'humanité dans ces conditions ?
Aharon Appelfeld, Des jours d’une surprenante clarté, L’Olivier
Après avoir rendu hommage à l’œuvre d’Aharon Appelfeld lors de sa disparition récente, Norbert Czarny a lu pour EaN Des jours d’une surprenante clarté, le dernier roman de cet écrivain essentiel qui entre en écho avec l’un de ses livres récents, De longues nuits d’été, paru à L’école des loisirs.
Paolo Barbaro, Les deux saisons, Éditions de la revue Conférence
Livre posthume, paru en 2016, deux ans après la mort de son auteur, Les deux saisons est une de ces œuvres à double face qui évoquent l’arrière-saison d’un amour et celle d’une vie, avec une délicatesse infinie.
Sebastian Barry, Des jours sans fin, Joëlle Losfeld
Thomas McNulty, fuyant la grande famine irlandaise de 1845-49 s’embarque pour l’Amérique. Il y survit comme « danseuse » dans un saloon de la Frontière puis comme soldat dans la guerre contre les Indiens et contre le Sud. Au travers de ses aventures, Des jours sans fin parle sur un mode souvent lyrique de férocité humaine, de destin implacable mais aussi du bonheur qui viendrait de leur acceptation et d’une conception de soi fluide, indifférente aux préjugés de genre et de race. Un conte atroce et charmant.
Claire-Louise Bennett, L’étang, L’Olivier
Roman insaisissable divisé en vingt sections, L’étang peut se lire comme une traversée. On se laisse porter au plus près par chaque mot, chaque sensation de cette narratrice londonienne qui a choisi de vivre seule dans un tout petit cottage sur la côte ouest de l’Irlande, et qui devient, au fil des pages, comme une amie intime
Manuel de la Escalera, Mourir après le jour des rois, Christian Bourgois
Document miraculeux, ce journal d’un républicain espagnol commencé clandestinement en décembre 1944 dans les couloirs de la mort d’une prison franquiste témoigne d’une incroyable liberté intérieure. Une admirable œuvre littéraire.
Johann Gottfried Seume, Mon été 1805 en Europe du nord à la rencontre des Anti-hespérides, Honoré Champion
Durant l’été 1805, Johann Gottfried Seume voyage à pied entre le Saint-Empire romain germanique, qui vit ses derniers mois, la Russie et la Scandinavie. Un récit de voyage signé d’un homme des Lumières dont l’intérêt ne s’émousse pas au fil des années.

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Essais
Sonia Combe et Antoine Spire, Maladie et privation d’amour, de Christa Wolf à Canguilhem, pour un retour à la clinique, Le bord de l’eau
Partant de Maladie et privation d’amour, le texte d’une intervention que Christa Wolf fit en 1984 à la première conférence des gynécologues psychosomaticiens de RDA, et de l’œuvre de Georges Canguilhem, Antoine Spire plaide pour une nouvelle approche de la médecine.
Sophie Rabau, Carmen pour changer, Anacharsis
Après avoir investi la figure d’Homère, Sophie Rabau poursuit son entreprise originale de variations et d’écritures à partir d’œuvres existantes. Dans Carmen pour changer, elle invente ainsi, autour du personnage de Mérimée et de Bizet, un moyen d’écrire autrement, de retraverser des textes, des imaginaires, de les déplacer, d’en révéler l’intensité et l’actualité.
Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond (dir.), La commune du Rojava ; l’alternative kurde à l’Etat-nation, Sylepse et Olivier Grojean, La révolution kurde, le PKK et la fabrique d’une utopie, La Découverte
Le PKK est plus que jamais présent dans nos yeux et nos esprits. Et pourtant que sait-on de lui et de son histoire ? Comment percevoir le PKK au-delà de ce qu’il donne à voir ?
Histoire
François-Xavier Fauvelle, À la recherche du sauvage idéal, Seuil
François-Xavier Fauvelle pense l’imaginaire occidental de l’Autre à partir de l’exemple tragique des Hottentots et des Bochimans, en Afrique australe. Un livre vibrant qui remonte aux sources des sentiments d’altérité, de compassion, de répulsion et de nostalgie qu’inspirent aux conquérants les peuples qu’ils ont eux-mêmes rendus « primitifs ».
Luba Jurgenson et Nicola Werth, Le GOULAG, témoignages, archives, Bouquins & Nikolaus Wachsmann, K.L., Gallimard
Le Goulag stalinien et les camps de concentration nazis n’ont cessé d’être analysés en regard l’un de l’autre. Or, depuis une trentaine d’années, l’historiographie changent en partie notre perception de ce que David Rousset, un des premiers à les avoir comparés, appelait « l’univers concentrationnaire ». Deux ouvrages majeurs font le point sur ces recherches historiques.
Victor Loupan, Histoire secrète de la révolution russe, Editions du Rocher & David Mandel, Les soviets de Petrograd, Syllepse
Jean-Jacques Marie continue de nous parler des livres parus à l’occasion du centenaire de la révolution russe. Peu convaincu par le travail de Victor Loupan, il en questionne les implications et les non-dits tout en en soulignant la légèreté d’une démarche historique biaisée et revient sur le livre très sérieux de David Mandel qui apporte un éclairage informé et neuf sur les événements de Petrograd en 17
Cécile Van Den Avenne, De la bouche même des indigènes, Vendémiaire
L’étude de la socio-linguiste Cécile Van den Avenne se place à rebours de la « double mythologie qui façonne l’idéologie linguistique française » : celle qui pense le français à la fois comme langue de la nation et comme langue de « l’universel », chimère commode pour annihiler la violence de la domination de l’une sur les autres. Elle bat également en brèche l’idée selon laquelle la colonisation - et donc l’entrée de l’ouest du continent africain dans la francophonie - n’aurait eu lieu que par la force des armes : elle est aussi passée par la négociation, donc par la traduction.
Philosophie
Jean-Louis Chrétien, Fragilité, Minuit
Pour Jean-Louis Chrétien, les textes les plus profonds sur la fragilité ont été écrits à la lumière de la foi chrétienne. Demeure toutefois la conviction que l’on doit bien pouvoir méditer sur la fragilité humaine sans forcément la concevoir comme finitude.
Jean Lacoste, Paris philosophe. Bartillat
Où un philosophe français ira-t-il se promener, sinon à Paris ? Jean Lacoste nous y promène, et son essai tendre et ironique va bien plus loin que ses flâneries n’en ont l’air.
Politique
Sébastien Roman, Nous, Machiavel et la démocratie, CNRS
Le livre de Sébastien Roman offre une panoplie d’outils conceptuels pour penser le conflit civil en démocratie et propose une intéressante cartographie du débat philosophique. Mais certaines notions fondamentales auraient demandé une analyse plus rigoureuse, à commencer par les notions de conflit et de consensus.
Psychanalyse
Patrick Faugeras, L’intime désaccord, entre contrainte et consentement, Erès
Avec un groupe d’auteurs de disciplines très diverses (philosophie, histoire, sociologie), le psychanalyste Patrick Faugeras s’attaque à la problématique globale de la contrainte et du consentement.
Sociologie
Gisèle Sapiro & Cécile Rabot, Profession ? Écrivain, CNRS
Qu’est-ce qu’écrire, qu’être écrivain aujourd’hui, en France ? Loin des clichés ou des approximations cette question méritait un étude sociologique précise et sérieuse. Gisèle Sapiro et Cécile Rabot ont rassemblé des textes, ont croisés des sources et des données pour dresser un état des lieux passionnant des réalités que recouvrent un métier et des structures économiques trop souvent idéalisées.
Arts
Michel Pastoureau & Jean-Charles de Castelbajac, Le grand Armorial de la Toison d’or, Seuil
L’historien des couleurs mondialement connu Michel Pastoureau nous fait découvrir avec la complicité de Jean-Charles de Castelbajac, l’iconographie armoriale de la Toison d’or. Retour sur l’histoire des ordres chevaleresques de la toute fin du Moyen Âge, le livre dévoile un travail pictural étonnant, d’une grande beauté et d’une modernité très surprenante.
Théâtre
À la trace. Projet de Anne Théron, texte d’Alexandra Badea. TNS de Strasbourg, jusqu’au 10 février.
À Strasbourg, au TNS, vient d’être créé À la trace, non pas une pièce d’Alexandra Badea, mise en scène par Anne Théron, mais un projet de Anne Théron sur un texte d’Alexandra Badea : la différence a son importance quant à la réception d’un spectacle conçu comme un film.
Chroniques
Disques (5)
L’enregistrement par Nurit Stark et Cédric Pescia des sonates de Bloch qu’édite la maison helvétique Claves records permet de redécouvrir son travail pour piano et violon, cette « œuvre d’un révolté, décidé à se faire entendre envers et contre tout ».
Notre choix de revues (10)
Dans la dixième livraison de la chronique qu’EaN consacre aux revues, nos lecteurs rappellent qu’elles sont des lieux de rapprochements étonnants d’idées et d’imaginaires. On y parle des œuvres d’Yves Ravey et de Claude Vigée que la RSH et Peut-être mettent en avant, du Magasin du XIXe siècle qui interroge la gloire et de l’atypique Multitudes qui propose des correspondances révélatrices pour ce début de siècle.

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