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Billet de blog 4 mai 2017

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La droite divine et dangereuse

En Espagne, sous la dictature franquiste, il existait une gauche résistante, en général issue de la bourgeoisie (plutôt la grande), souvent catalane, pas complètement clandestine, qui a su entretenir la vie des idées, la curiosité d’esprit et la tolérance. Elle s’était elle-même baptisée «la gauche divine», appellation qu’elle prononçait volontiers en français, pour mieux se démarquer.

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Aujourd’hui parmi les grandes maisons d’édition espagnoles, il s’en trouve plusieurs qui furent ou sont encore dirigées par des éditeurs de la izquierda divina : ils ont publié les plus grands écrivains du XXe siècle. C’est dire si la circulation du sang de la pensée est passée par eux, par leurs canaux et leurs réseaux.

Aujourd’hui en France, la situation est inverse, mais pas tout à fait terme à terme. La France est une démocratie, pas une dictature, n’en déplaise à tous les ricaneurs et les adeptes des raisonnements binaires que leur haine obsessionnelle de la pensée dite consensuelle, molle, bien intentionnée, etc. (on connaît par cœur le reproche) rend raides, sots et malveillants. Et la France voit renaître de ses cendres la droite divine, convergence de tous les courants qui ont foncé droit dans le mur en 1940. Une droite répétitive, fidèle ad nauseam aux mêmes mots d’ordre et rengaines : famille, patrie, sol… Une droite militante mais pas résistante, qui s’insurge contre la circulation du sang de l’esprit et du sang tout court.

La droite divine, c’est eux, qui affirment œuvrer et parler au nom de valeurs plus hautes, plus dignes, pourquoi pas transcendantes, au nom de la cohésion de la société et de la personne, au nom de convictions irréfragables. « Conviction », sublime substantif, porteur de toute la vertu du monde, qui sous-entendrait de soi et en soi le bien, la protection d’autrui, la prise en compte d’un substrat ineffable. Je crains, hélas, que lorsque la vertu est aussi inlassablement brandie et martelée elle ne soit dévaluée ; et ces convictions ont pour nom certitudes, exclusives et dictatoriales.

C’est à tel point que je m’autoriserai un raccourci en affirmant que beaucoup de ces divins militants qui parlent d’anthropologie alors qu’ils n’ont jamais ouvert un livre d’anthropologie, qui annoncent décadence et charniers psychologiques, n’ont rien dit quand les vrais charniers européens avaient lieu, ni après, quand ils furent découverts. Au nom de l’ordre moral, ils abdiquent, ils signent pour la « Révolution nationale », ils oublient honneur et humanité. Droite divine, ils accueillent la divine surprise les bras grands ouverts. À force de ne lâcher sur rien et de resserrer l’étau sur quelques idées fixes, ils lâchent sur l’essentiel. C’est encore ce qu’ils font aujourd’hui et ils se trompent, évidemment.

Je me suis déjà exprimée, alors que mon tempérament ne m’incline ni à la solennité ni la gravité, mais plutôt à la distanciation et à un je-m’en-foutisme de façade. Mais aujourd’hui, entre les deux tours et une fois de plus, la famille se rebiffe publiquement car ils sont trop à se faire bateleurs de cette droite sourde. Bertrand Dutheil de la Rochère est mon oncle, aujourd’hui conseiller de Marine Le Pen, longtemps membre du parti communiste, quelque temps proche de Chevènement, par « souverainisme », il faut croire. Passant d’une erreur à une autre, et mû par le goût de se faire remarquer dans une famille de droite classique, il a entraîné sa fille, aujourd’hui garde rapprochée de Florian Philippot et un de ses porte-voix sur les ondes.

Front national et front moral, disais-je. Car il y en a une troisième, Ludovine de la Rochère, pièce rapportée, défenseuse autoproclamée de la famille et présidente de la Manif pour tous. Il fallait s’y attendre de la part de ce mouvement dangereux : son absence de consigne de vote entre les deux tours, assortie d’une attaque gratuite, infondée et percluse de préjugés contre Emmanuel Macron qui serait le fossoyeur de la famille, revient à recommander de voter pour Madame Le Pen, fossoyeur de la déesse Europe. Sur qui, sur quoi une telle attaque est-elle fondée ? Sur le sens commun ? Qui veut dire quoi exactement, y avez-vous réfléchi ? Savez-vous que « Sens commun » fut le nom d’une collection de sciences humaines dirigée par Pierre Bourdieu, un de vos diables ? Sur le fait qu’Emmanuel Macron n’est pas père de cinq enfants comme votre ex-candidat qui a su exploiter femme et enfants pour arrondir ses fins de mois, en tout bien tout honneur ?

En réalité votre attaque est fondée sur ce que vous dites haïr le plus : l’idéologie. C’est-à-dire l’art de forcer, détourner, abîmer les mots et les idées afin qu’ils rentrent dans le rang d’un parti ou d’une église au sens large. Votre attaque est injuste, injustifiée et, dans le cadre de ces élections, suicidaire. Votre consigne de vote est née de l’entêtement, de l’aveuglement et de la stupidité qui empêchent de savoir s’arrêter et se taire. Le Front national vous tend sa muleta bleu marine ; bêtes, vous vous précipitez dessus ; incapables de hiérarchiser les problèmes et les priorités, de distinguer les plans, vous tombez dans le panneau. C’est ainsi que sous nos yeux, une ligue pour la vertu se mue en ligue d’extrême droite pour défendre une vision de la France endogamique.

Emmanuel Macron a eu des mots en votre faveur pourtant. Il s’agissait sans doute de propos de campagne, mais nous sommes en campagne, et ces propos étaient rassembleurs. Vous lui reprochez sa jeunesse, sa brillance, son esprit vif comme le mercure ? Vous lui reprochez d’imaginer que deux femmes puissent avoir un enfant par procréation médicalement assistée sans hurler à la mort de la cellule familiale ? De ne pas vouloir frapper d’indignité nationale les enfants nés de GPA ? Vous lui reprochez de ne pas confondre la sphère privée et la sphère publique, ce que font tous les totalitarismes qui veulent contrôler jusqu’à la vie intime et sexuelle des citoyens ? Vous lui reprochez d’être de son temps ? Ne vaut-il pas mieux en être quand on souhaite gouverner un pays en toute connaissance de causes et de paramètres ?

Le monde s’est complexifié, il s’est mondialisé, il s’est technicisé, il s’est financiarisé – de fait. Ce n’est pas un parti dont les racines puisent dans la violence et la brutalité physiques, qui jongle avec l’antisémitisme et le racisme, un parti qui prétend représenter le peuple, pas non plus un programme simpliste, démagogue et cassant qui peut y répondre. Les imprécisions et les cafouillages de ces jours-ci sur la question technique de l’euro sont révélateurs de cette incompétence. Couplée avec le mépris des étrangers et la volonté de repli, celle-ci est franchement effrayante.
   
Cécile Dutheil de la Rochère, éditrice, traductrice et critique littéraire.
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