Les États-Unis se sont perçus volontiers comme une République à la romaine, un exemple de vertu avec des sénateurs et une belle devise latine, e pluribus unum… Comprendra-t-on encore longtemps ces références ? Saura-t-on toujours ce à quoi renvoie le Capitole ? Le latin a été longtemps en France un marqueur social, mais Frédéric Ernest reprend à son compte des plaidoyers « intempestifs », mais pas inactuels, en faveur de l’enseignement de cette langue « morte » qui a structuré la nôtre en nous donnant accès à un univers plus lointain qu’on le pense.
Auri sacra fames : « l’horrible soif (ou faim ?) de l’or » Est-il moral d’être riche ? Très riche ? Riche à milliards … La question, si l’on en croit Peter Brown, était étrangère aux moralistes de l’Antiquité, qui vivaient dans une société où le travail, par nature servile, n’était pas en haute estime. Ce serait la morale chrétienne qui, à la fin de l’Empire, aurait jeté l’opprobre sur l’amas d’or. La parenté entre la vision chrétienne et la morale stoïcienne d’un Sénèque richissime ne serait qu’apparente, et quant au chameau qui, selon la parabole bien connue, aurait du mal à passer par le chas d’une aiguille, il intrigue...
Après tout, la formule de Virgile traduit bien cette cupidité assumée qui semble être la clef de notre société, en tout cas de bien des dirigeants de notre pauvre monde. Cette société de l’argent que frappe un « spleen sans idéal », est-ce un « cauchemar » ? Gabriel Perez présente avec des nuances la « critique radicale du néolibéralisme » de Pierre Dardot et Christian Laval, en se demandant si ces analyses peuvent trouver leur transcription politique. On condamne le libéralisme régnant, au nom de la justice sociale, mais quoi si l’interlocuteur conteste le principe de départ, au nom, cette fois, de la loi naturelle du plus fort ? Telle est l’histoire de « l’Objecteur » que retrace Céline Spector dans son Éloge de l’injustice. Quant à Laurence Hansen-Løve, dans un essai philosophique d’actualité, elle affirme qu’il est impossible de définir le bien, tant l’éthique varie selon les époques et les cultures, mais elle insiste sur la nécessité de « dire le mal ». Après Vladimir Jankélévitch elle rejette l’idée d’un mal « absolu » – d’un péché originel ? – qui viendrait nous absoudre de toute responsabilité ; reste le fait brut, « imprescriptible », de la cruauté sans raison.
La littérature que nous aimons se fait l’écho de ce devoir de mémoire : Colette Fellous évoque « discrètement » la Tunisie de son enfance, Michel Laub, un Brésil mélancolique, Maryam Madjidi, l’Iran rigoriste, Asli Erdogan, la Turquie des prisons, Claude Eveno, enfin, « la liberté d’esprit qui erre dans les rues de Paris ». En historien Vincent Millot montre aussi comment, sous la Révolution, la prostitution et la libéralisation des mœurs doivent composer avec la dictature de la Vertu.
Revenons à la richesse et à son bon emploi éventuel : Alain Joubert évoque la figure du couturier Jacques Doucet qui sut acquérir tant d’œuvres d’art sur les conseils avisés d’André Breton.
J. L., 18 janvier 2017
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