Rentrée littéraire : une première sélection
Philippe Forest, L’oubli, Gallimard
Il manque un mot au narrateur de L’oubli de Philippe Forest. A partir de cette lacune, il déploie un double récit : l’un, introspectif, se centre sur d’un jeu de piste organisé autour du mot perdu, l’autre, sur un voyage sur une île. Le romancier donne à lire une sorte de fable sur la perte et la redécouverte du langage, le rapport profond, paradoxal, qui s’instaure entre la langue et l’oubli.
Marie Redonnet, Trio pour un monde égaré, Le Tripode
Marie Redonnet poursuit avec Trio pour un monde égaré une démarche romanesque qui suit la même ligne inquiète face au monde contemporain. Elle y entrelace les voix de personnages aux identités menacées par une modernité troublée, luttant pour imposer une certaine idée de l’humanité dans un monde qui semble la nier.
Jean Rolin, Le traquet kurde, POL
Retour d’une petite île du Pacifique, Jean Rolin continue son voyage en se rapprochant des zones les plus agitées du globe, à la poursuite d’un petit oiseau, Œnanthe xanthoprymna, aussi connu sous le nom de « traquet kurde », et de ceux qui l’ont observé.
Gabrielle Schaff, Passé inaperçu, Seuil
Dans l’Est de la France une documentariste qui prépare un film sur les Maghrébins venus y travailler dans les années 60, redécouvre une partie de l’histoire de sa propre famille et des « malgré-nous » enrôlés de force par l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Au travers d’archives, elle explore ces histoires compliquées, longtemps tues.
Littérature française
Albert Bensoussan, Le vertige des étreintes, Maurice Nadeau
Albert Bensoussan n’est pas que le traducteur de célèbres écrivains latino-américains comme Mario Vargas Llosa. Il mène, en parallèle, depuis plus de quarante ans, une œuvre littéraire qui prend sa source dans son enfance en Algérie.
Marcel Cohen, Détails. Faits, Gallimard
Détails se lit dans le prolongement de la trilogie « Faits » publiée de 2002 à 2010. Dans ce livre bref, Marcel Cohen poursuit la même entreprise d’observation du réel qui fait s’imbriquer l’histoire et l’introspection personnelle.
Gustave Flaubert, Correspondance, édition électronique, Université de Rouen
Une équipe de l’université de Rouen Normandie vient de mettre en ligne la correspondance de Gustave Flaubert : 4 450 lettres comme autant de manières d’être. Flamboyant. Époustouflant. Hénaurme.
Amaury Nauroy, Rondes de nuit, Le Bruit du temps
Autour du portrait de l’éditeur suisse Henry-Louis Mermod, Ronde de nuit, le premier livre d’Amaury Nouroy, relève tout autant de l’enquête que du récit ou de l’exégèse. Avec beaucoup de subtilité et de finesse, l’écrivain nous parle de Ramuz, de Cingria, de Jaccottet, de Roud ou de Chessex, inventant une confraternité d’écrivains.
« Nos Imaginaires »
« L’Imaginaire », la célèbre collection de Gallimard, fête ses quarante ans. L’occasion pour nos collaborateurs de se replonger dans leurs bibliothèques intimes, de faire retour sur une lecture ou une expérience de lecteur qu’ils évoquent dans de nombreux textes, brefs et libres. Un hors-série qui paraîtra en trois volets.
Georges Perros, Œuvres, Gallimard
Linda Lê, comme Maurice Nadeau, aime les livres de Georges Perros. À l’occasion de la parution de ses Œuvres dans la collection Quarto, elle dresse un portrait sensible d’un écrivain qui définissait la poésie comme une « passion du réel qui fait longer des précipices… »
Pierre Souchon, Encore vivant, Rouergue
Dans Encore vivant, Pierre Souchon, diagnostiqué bipolaire à vingt ans, évoque avec un certain lyrisme sa maladie. Il tisse dans ce premier récit un lien très fort entre son histoire personnelle, la maladie psychiatrique qui la bouleverse, et le passé de sa famille paysanne.
Littérature étrangère
Marie von Ebner-Eschenbach, Tout un livre, Toute une vie, aphorismes, La Coopérative
Marie von Ebner-Eschenbach eut son heure de gloire dans la Vienne impériale de François-Joseph. Excellente surprise que de redécouvrir ces textes courts, vifs, qui témoignent d’une époque et du souci de se saisir tout autant des soubresauts de l’âme que des évolutions sociales et politiques majeures du temps.
Octavio Escobar Giraldo, Après et avant Dieu, Actes Sud
Après et avant Dieu témoigne de la nouvelle littérature colombienne. Après avoir semblé crouler sous l’ombre de García Márquez ou d’Álvaro Mutis et avoir, à l’instar de Vallejo ou Abad, beaucoup parlé de la violence politique, le roman d’Octavio Escobar Giraldo semble instiller la post-modernité dans le roman colombien.
Emily Fridlund, Une histoire des loups, Gallmeister
Le premier roman d’Emily Fridlund nous plonge, aux côtés d’une fillette fascinée par les loups, dans une Amérique profonde et sauvage. C’est le trouble psychologique, la découverte de la sexualité, des dérives sectaires, l’angoisse de vivre sans réaliser ce que l’on vit qui comptent dans ce livre.
Wendy Guerra, Un dimanche de révolution, Buchet Chastel
Le livre de Wendy Guerra dépasse sa dimension autobiographique évidente pour faire de la recherche de la figure paternelle un moyen de revenir sur la vie politique sous le régime castriste tout en affirmant, avec force, la liberté des corps comme moyen d’échapper au totalitarisme.
Alan Moore, Jérusalem, Inculte
Jérusalem est un monument littéraire érigé par Alan Moore, le célèbre scénariste de bande-dessinées comme Watchmen, V pour Vendetta ou From Hell, à la gloire de Northampton, sa ville natale. C’est un roman-monde très réussi qui combine un fantastique original à la représentation drôle, lyrique et réaliste d'un quartier populaire que le post-modernisme libéral-travailliste voue inéluctablement à la disparition.
Joyce Carole Oates, Paysage perdu, Philippe Rey et Cahier Joyce Carol Oates, L’Herne
En lisant Paysage perdu, le dernier roman autobiographique de Joyce Carol Oates – la plus prolifique des auteurs américains – et en se plongeant dans le Cahier de l’Herne qui rassemble les enjeux de son œuvre, on pourra interroger sa place dans le paysage littéraire et intellectuel contemporain des Etats-Unis.
Jia Pingwa, L’art perdu des fours anciens, Gallimard
Le roman de Jia Pingwa est, nous dit Linda Lê, une « immense fresque où le rire rabelaisien se mêle au cauchemar de la Révolution culturelle », qui mêle à la fable politique féroce, le suspens policier, le mélodrame, la satire et nous rappelle la puissance infinie du rire.
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Poésie
Du cloître à la place publique. Les poètes médiévaux du nord de la France (XIIe – XIIIe siècle), Gallimard
L’anthologie de poètes médiévaux du nord de la France des XIIe et XIIIe siècles qu’a composé Jacques Darras comble un vide. Il nous y rappelle la grande diversité des formes et des discours poétiques de cette époque que l’on tend trop souvent à réduire à la poésie courtoise.
Entretien avec Jeanine Baude
Régulièrement, EaN interroge des poètes sur leur travail, leur regard sur le monde et sur le champ poétique. Gérard Noiret a rencontré Jeanine Baude qui, depuis son recueil Ouessanes publié en 1989, déploie une œuvre dont il paraît nécessaire « de discuter avec elle des chemins souterrains, des logiques qui parcourent son travail ».
Marina Tsvetaeva, Le charmeur de rats, La Barque
Alors que Marina Tsvetaeva est en exil, elle écrit, en 1925, Le charmeur de rats, un long poème inspiré par Le joueur de flûte d’Hamelin des frères Grimm. Ce texte, construit comme un opéra, moins lyrique qu’habituellement, est une allégorie de la vie des soviétiques et pose une question complexe : où s’arrête la trahison ?
Essais
Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, José Corti, et Vincent Kaufmann, Dernières nouvelles du spectacle (Ce que les médias font à la littérature), Seuil
Vincent Kaufmann tente de cerner la condition de l'écrivain après l'avènement du spectacle. À l'inverse, Alexandre Gefen essaie d'envisager notre sortie du « régime esthétique de la littérature » comme une chance plutôt que comme un malheur.
Bertrand Ogilvie, Le travail à mort au temps du capitalisme absolu, L’Arachnéen
Dans la ligne de L’homme jetable, le nouveau livre de Bertrand Ogilvie traque, avec la même énergie impitoyable, tous les discours bien-pensants sur le travail, ses conditions. En utilisant les outils des sciences sociales, de la philosophie ou de la psychanalyse, il désamorce les discours tout faits et dénonce la mécanique du capitalisme.
Paul Ricoeur, Méthode réflexive appliquée au problème de Dieu chez Lachelier et Lagneau, Cerf, Jean-Noël Jeanneney, Le moment Macron, Seuil, François Dosse, Le philosophe et le président, Stock & Sandra Laugier, Albert Ogien, Antidémocratie, La Découverte
L’élection d’Emmanuel Macron a provoqué, à défaut de vagues d’enthousiasme républicain, une vague d’ouvrages sur le sens de sa victoire et sur les origines intellectuelles du nouveau président de la République, particulièrement sur son compagnonnage avec Paul Ricoeur. Pascal Engel en a lu quelques-uns.
Histoire
Antoine Compagnon, Les Chiffonniers de Paris, Gallimard
La hotte sur le dos, la lanterne à la main, le chiffonnier est partout dans la nuit parisienne du XIXe siècle. De très belles images et de nombreux textes dans ce beau livre sur la figure indispensable à l’économie des boues de Paris.
Serge Gruzinski, La machine à remonter le temps, Fayard
À partir de l’écriture du passé indigène au Mexique, Serge Gruzinski déploie une réflexion passionnante sur la manière dont les sociétés européennes ont colonisé dans le même temps que des pays et des peuples, leur mémoire et leurs imaginaires.
Georges Vigarello, La robe (Une histoire culturelle : du Moyen Âge à aujourd’hui), Seuil
Historien des sensibilités, Georges Vigarello publie un beau livre qui raconte l’histoire de l’évolution de la robe. Il retrace les modifications du vêtement sur le plan technique autant que symbolique et raconte l’évolution de l’image de la femme au fil des époques.
Philosophie
Christine & Luc Amiech, Commentaires d’Iphigénie en Tauride d’Euripide
Christine et Luc Amiech suivent, scène par scène, la pièce d’Euripide et en offre une lecture subtile et précise. Ils remettent en lumière une figure quelque peu effacée par Sophocle ou Eschyle, saisissent les nuances de ses compositions et en offre une lecture qui relie, dans une perspective qui n’est pas sans rappeler celle de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, la tragédie et la religion.
Hans Blumenberg, Concepts en histoires et Théorie de l’inconceptualité, L’Eclat
Les Éditions de l’Éclat publient deux livres très proches, quoique d’un genre différent, du philosophe allemand Hans Blumenberg : Concepts en histoires, un recueil de billets publiés dans la Frankfurter Allegemeine Zeitung et Théorie de l’inconceptualité, issu des marges de son travail sur la métaphore.
Armand Marie Leroi, La Lagune, Et Aristote inventa la science…, Flammarion
Érudit, accessible, fluide, La Lagune d’Armand Marie Leroi convoque à la fois l’historiographie, la philosophie, l’histoire, la biologie pour mettre en perspective l’apport essentiel d’Aristote à la conceptualisation des sciences naturelles.
Paul Valéry, Sur Nietzsche, La Coopérative
La lecture du Sur Nietzsche de Valéry, constitué par Michel Jarrety, interroge les liens entre poésie et pensée et fait envisager un véritable dialogue entre ces deux œuvres.
Psychanalyse
Anne Raulin, Les traces psychiques de la domination. Essai sur Kardiner, Le Bord de l’eau
À partir de documents d’archives, de témoignages et d’extraits d’ouvrages méconnus en France, Anne Raulin se donne les moyens de restituer la méthodologie originale et fort utile aujourd’hui élaborée par le psychanalyste Kardiner pour appréhender les conséquences psychologiques du racisme à l’époque de la ségrégation des races dans la société américaine.
Théâtre
Martin Crimp, Probablement les Bahamas. Mise en scène d’Anne-Marie Lazarini
Dès le début des années 80, le jeune Martin Crimp a connu une vraie réception de ses premières pièces dans son pays natal, le Royaume-Uni. Moins présent sur les scènes françaises ces derniers temps, il fait un beau retour à l’Artistic Théâtre avec Probablement les Bahamas, monté par Anne-Marie Lazarini.
Chroniques
Disques (4)
Vive la musique baroque : en écoutant l’enregistrement par la chanteuse et désormais cheffe d’orchestre Nathalie Stutzmann d’airs baroques adaptés pour contralto par Alessandro Parisotti en 1890, on se convainc que le bel canto existait déjà au XVIIIe siècle. Adrien Cauchie nous propose de l’accompagner d’un ensemble d’œuvres sacrées italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles par Delphine Galou et Ottavio Dantone.
Et sur notre blog…
René Goscinny : Au-delà du rire au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme jusqu’au 4 mars 2018 & Goscinny et le cinéma : Astérix, Lucky Luke & Cie à la Cinémathèque française jusqu’au 4 mars 2018
À l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de René Goscinny, deux expositions parisiennes, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et à la Cinémathèque Française, et deux beaux catalogues, dressent un portrait de l’un des acteurs les plus importants de la bande dessinée européenne qui dépasse largement l’image réductrice de scénariste des aventures d’Astérix et Obélix, les irréductibles Gaulois qui « résistent encore et toujours à l’envahisseur ».
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