Boris Ouspenski a bien dit le problème en le rapportant au règne de Pierre le Grand (1682-1725) : « Selon l’expression imagée de Pouchkine (qui remonte à Algarotti), Pierre a percé une fenêtre sur l’Europe. En poursuivant cette image, je dirais que pour percer une fenêtre, Pierre devait ériger un mur séparant la Russie de l’Europe. » La très riche anthologie préparée par Michel Niqueux, L’Occident vu de Russie - Anthologie de la pensée russe de Karamzine à Poutine, donne profondeur historique et actualité à des rencontres et des dialogues, mais aussi à des différends qui peuvent se révéler très lourds, comme on peut le sentir aujourd’hui.
Politique fiction avec le roman d’Aurélien Bellanger qui met en récit l’édification du Grand Paris dont le nouveau président de la République, qui n’est autre que Nicolas Sarkozy à cette date, charge l’urbaniste Alexandre Belgrand. Le détournement du roman balzacien, plaçant le roman d’apprentissage dans le trajet immobile de la banlieue à Paris, banlieue finalement englobée dans Paris, déplace aussi l’énergie progressiste du côté du néo-conservatisme gestionnaire.
Politique nationale avec le commencement d’une nouvelle chronique que Charles Bonnot, linguiste, va tenir jusqu’aux élections présidentielles, Il nous livre dans chaque numéro l’analyse d’une phrase entendue dans la campagne. Cette quinzaine, elle a été prononcée à propos d’Emmanuel Macron.
Du côté de la philosophie, les premiers écrits de Descartes, ceux qui précèdent le Discours de la méthode et qu’a rassemblés et annotés Jean-Marie Beyssade pour Gallimard ; mais aussi dans un tout autre genre, Le Génie de la bêtise de Denis Grozdanovitch, un livre plein de sagesse et d’humour. L’histoire est présente avec une recension de l’important ouvrage de Johann Chapoutot sur la culture nazie et, pour une époque bien plus reculée, celle de la difficile succession de Charlemagne, avec un essai sur le moine Godescalc, d’Ariel Suhamy. Pour une fois, nous proposons aussi la recension d’un ouvrage d’histoire des sciences, celle de l’excellent ouvrage de Charles Frankel, Exctinctions : Du dinosaure à l’homme.
Parmi les nombreuses propositions de lectures de romans, signalons quelques textes traduits qui nous ont beaucoup marqués : La terre qui les sépare d’Hisham Matar (l’article est accompagné d’un entretien avec l’auteur libyen qui vit à Londres) ; de Michael Köhlmeier, La petite fille au dé à coudre, un très bref et beau conte moderne et L’un l’autre, de Peter Stamm, récit d’un départ, et d’un retour. Enfin un coup de cœur de plusieurs d’entre nous : le recueil de poèmes « entre deux langues » de François Cornilliat, Envers toi. Preuve que les ponts que ne construisent pas toujours les États, la poésie peut les bâtir dans le paysage.
T.S., 1er février 2017
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