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Billet de blog 14 décembre 2008

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Nedjma ou le rêve d'une Europe sociale émancipatrice

La démocratie au sens de citoyens libres et engagés, libres parce qu'engagés n'a jamais existé.La liberté c'est prendre le temps de « donner du temps au temps », comme disait Michel Rocard qui a bien mal tourné à défendre les produits dérivés en ces temps de crise.

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La démocratie au sens de citoyens libres et engagés, libres parce qu'engagés n'a jamais existé.

La liberté c'est prendre le temps de « donner du temps au temps », comme disait Michel Rocard qui a bien mal tourné à défendre les produits dérivés en ces temps de crise.

C'est plutôt lui qui dérive à octroyer des satisfécits à notre bienfaiteur d'une Europe à façade écologique d'un « marché libre et à la concurrence non faussée ». L'homme a besoin de croire, faute de dieu et de Karl Marx, comme dirait Emmanuel Todd, au marché surtout. Cela lui permet de calmer ses angoisses et de vaincre une bonne fois ses scrupules qui le retiendraient d'aller à la soupe. Celle du pouvoir, peu populaire mais si extraordinaire. Ponctuée d'une petite musique militaire enjouée chaque matin pour se réveiller guilleret, et, le soir, d'une comptine bien sucrée de Carla Bruni pour dormir sur son tas de chômeurs. On leur donnera les pièces jaunes de l'ex first lady ? Mieux que Johnny ? Pas si sûr.

Claude Allègre que l'on voit béat ces derniers temps tout à l'entregent du conducteur auto-célébrant du grand bond en avant vers moins de CO2 va sûrement, si on l'appelle aux manettes de jeu - quelle joie inextinguible, quelle revanche rancunière ! - faire annuler avec diligence cet inutile traité de lutte contre le réchauffement climatique. Oui, selon ce grand scientifique, véritable mammouth de la pensée libre, le lien entre les émissions de CO2 et la température moyenne, c'est du pipeau.

Prenez garde toutefois, ce n'est pas un Claude, ce rigolo. La fonction publique a déjà été dégraissée. Il est l'heure qu'elle rende gorge et puisqu'on l'étrangle, elle ne saurait crier.

Et vous n'en seriez pas ? Ne goûterez vous pas ce spectacle de mise à mort avec, certes, une joie mauvaise vaguement coupable, mais joie quand même ? Ou bien profiterez-vous du temps et des derniers sous en poche pour vous rendre au théâtre ce soir, ne serait-ce que pour rire avec Jamel Debouzze ou Thomas Ngijol ?

Si notre président parvient si aisément à débaucher des membres du Parti Socialiste, c'est que ce dernier épouse désormais la même déesse néo-libérale. « Même pas mal », aurait pu dire François Hollande ou Ségolène Royal en assistant au débauchage. Comme disait Lionel Jospin qui, avec sa triste figure rigide et arrogante, avait enfourché le même cheval sécuritaire que son adversaire, « je ne suis pas socialiste ». Les électeurs ont préféré le rigolo à l'austère. « Même pas mal », dira Martine Aubry des licenciements boursiers.

Et vous vous endormirez à mille lieux des rêves mais vous aurez quand même souri . Car c'était là l'essentiel, se distraire. Dans le virtuel de la console de jeux comme lot de consolation vous surferez à défaut d'une vraie semaine au ski. A quand la manif sur console électronique ? Se distraire mais pas dans l'amour, pas dans la chair, pas dans les Restaus du coeur ni dans les désagréments des arrachages de sacs à main, Khamsa.

D'ailleurs, en parlant de mise à mort, les seuls rêves dont vous vous rappelez, ce sont les cauchemars qui vous avaient brusquement dressé, non pas d'entendre les rafales d'AA52 pendant la guerre d'Algérie qui fauchaient les burnous sans cri ni révolte mais ceux d'après votre premier Saw, un film d'horreur particulièrement atroce et sans autre issue qu'une mort programmée, minutieuse et particulièrement douloureuse.

Après ça, vous avez définitivement cessé de rêver. C'est cela la démocratie sans mémoire ni espoir.

Dans notre cher Occident, nous ne sommes sortis des mines, des hauts-fourneaux et de la servitude que pour mieux verser dans le métro-boulot-dodo. Le temps de se réveiller, les fonctionnaires sont devenus des CDD mal payés. Demandez à un employé de La Poste, de la Sncf , de la Ratp s'il a le statut. Ça se fait rare. Quant aux ouvriers, après la 4 chevaux, la R4, la R12, la R16 et la Mégane d'occaz, ce sera la Logan d'occaz non ? Encore trop polluante ? C'est vrai. De toutes façons, les plages se font loin, au prix où est l'essence. Restons donc au boulot, de crainte de le perdre.

L'avenir radieux pourtant est ouvert par l'avant gardiste de l'Europe dans laquelle on revote si le tirage est non conforme aux vœux de la toute puissante élite. Voyez le prix à payer pour se gagner un ongle de dédain en moins de la part des technocrates de Bruxelles, eux pour qui l'État national constitue un inutile avorton de l'histoire à détruire. Croyez-vous qu'ils aient changé de religion avec la crise ? Pas du tout. Pas plus avec celle-là qu'avec les précédentes. C'est cela la démocratie ?

Et les bourses et les salles de marché des banques et les crédits foireux et le jack pot ? Toujours là.

Sur quelle chaussetrappe les ouvriers et d'autres vont-ils s'enferrer pour que soient restaurés les profits un instant en péril ? Et bien sur l'intérim généralisé par l'ANEP, Association Nationale de l'Emploi Précaire. Trente jours de taf, 15 jours de chômage, 23 jours de serrage de boulons, 3 mois de chômage et ainsi de suite. Une carrière en somme. De quoi scier les troncs d'arbre librement jusqu'à 70 ans. Mais pour ceux qui le voudront bien, of course. L'entreprise n'aura plus de salariés, trop rétifs. Elle n'aura que des tâcherons, des commerciaux de haut vol international et des Werner von Braun dans ses labos de collabos. Et pourquoi pas ? Ça a magnifiquement fonctionné non ? Quels progrès accomplis. Tout le monde a un téléphone portable. Même au bled. Ils n'ont jamais vu la couleur d'une orange mais ils téléphonent.

C'est ça la démocratie ?

Donc si l'homme avait du temps, il cesserait de rouler avec son caddie ou sa poussette dans les galeries marchandes, il ne croirait plus au bonheur en placo-plâtre, il n'imaginerait plus le salut par l'entrepreneuriat à la force du poignet mon gars, il s'occuperait sérieusement de ce qu'on lui concocte comme futur.

Le futur, on le lui montre dans les médias pourtant. Mais, comme les malheurs sont lointains, même quand il s'agit de ceux du voisin dont on jalouse les signes extérieurs ou conspue l'esprit d'indépendance, pas question de descendre dans la rue pour gueuler. Nadine Morano s'écrierait : « A la trahison ! A l'atteinte à la sûreté des colonels ! » . Ce n'est pas avec 13% de syndiqués qu'on fera la manif du grand soir mais cette manifestation d'envergure, il faudra y participer et se retrouver solidaires car les Français pourraient craindre de devenir au mieux des chèvres de Monsieur Seguin ou des moutons bêlants privés du sel de la vie ou pire, des chiens qui aboient avec les loups à chaque nouveau fait divers triste. Ainsi l'antidote, ce n'est pas un doigt levé au fond de la cour, c'est la politique et la volonté populaire à l'énergie renouvelée.

Car c'est quand même un peu paradoxal que le libéralisme, à l'origine garde fou contre l'Etat tout puissant totalitaire, finisse par nous revenir 70 ans plus tard en pleine figure avec la même musique de l'ordre. Par ce tour de passe-passe idéologique substituant à la sûreté des citoyens engagés protégés de l'arbitraire et de la disgrâce, la sécurité visant à imposer la précarité aux travailleurs et le silence aux détracteurs du saint marché.

L'ordre toujours injuste découle d'une idée obstinée qui a oublié l'homme sur le bas coté des exodes et a permis d'organiser, au nom de l'efficacité du « marché libre », le décervelage de masse. C'est bien pour ça qu'il y aurait des immigrés en trop, des ouvriers en trop, des professeurs en trop, des lycéens et des étudiants en trop, des syndicats en trop, des grèves en trop et des manifestations en trop.

Et lorsque tous ces trop marcheront ensemble, parce qu'ils auront compris que derrière les écrans de gaz carbonique se cachent les béni-oui-oui de l'Europe du fric libre, un machin impitoyable et souverain à mille lieux des rêves d'une Europe sociale et émancipatrice, nous aurons peut-être enfin une vraie chance . « Nedjma, Nedjma, pourquoi ai-je cessé de t'admirer et de te désirer ? Pardonne moi, je t'en prie, de t'avoir laissé briller et trembler seule dans la neige cette nuit encore. »

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