Mon « cher »Jupiter
Je t'imagine un peu pâlichon ce matin du 7 décembre 2018, après une mauvaise nuit passée à te ronger les sangs dans ton palais qui suinte un tout petit peu la peur, excuse-moi de te le dire.
Bon. Il faut reconnaître que tu n'as pas été très malin d'inviter les gueux à venir te chercher. Tu t'en souviens sans doute, de cette soirée du 24 juillet denier, lorsque tu as affirmé avec courage devant un parterre d'adorateurs serviles, à la maison de l'Amérique Latine, que tu étais « le seul responsable » dans l'affaire de ton garde du corps privé qui tabassait des manifestants ici ou là. Tu avais même affirmé : « S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher !»
Problème : les gueux te prennent au mot et ils veulent passer te voir demain...
Je comprends que tu paniques un peu, même si le communiqué que tu as sorti sur « les milliers de personnes » qui viendraient à Paris « pour casser et pour tuer » est sans doute un peu excessif. De fait, les gueux n'ont pas l'air contents. Ils ont quelques raisons de t'en vouloir, ces gens qui « ne sont rien », ces « illettrés », ces « Gaulois réfractaires » et j'en passe car non seulement tu les as écrasés et tu t'es mis au service des puissants aussitôt que tu as pu t'asseoir sur ton siège de l'Olympe mais il a encore fallu que tu les insultes à longueur de discours. Je n'ai au demeurant jamais compris l’intérêt d'une telle attitude. Peut-être qu'afficher ton mépris te distinguait de ceux que tu as beaucoup fréquentés et qui riaient en privé des sans-dents...
Dans tous les cas te voilà dans l'embarras. Je ne crains pas que l'Olympe soit investi samedi 8 décembre 2018 par les hordes furieuses et barbares. Je ne crois pas non plus que ta vie soit en danger. Les innombrables légions que tu as mobilisées te protégeront de la fureur populaire, quitte à laisser brûler Paris.
Mais je crains un déchaînement de violence auquel tu n'es en rien étranger. Je crains en particulier que l'on retrouve samedi matin dans les rues de Paris des milliers de jeunes lycéens choqués, comme je le suis moi-même, par les images de leurs alter-ego en rangs, agenouillés et mains croisés sur la nuque, les yeux rivés au sol, sous la surveillance d'hommes en uniforme. Des images très dérangeantes qui salissent notre pays et qui sont de nature à souder contre toi une génération entière. Il faut certes que chacun réponde de ses violences mais était-il nécessaire d'humilier aussi scandaleusement des jeunes qui ne sont quand même pas des monstres ? Et était-il vraiment opportun d'embastiller aujourd'hui des centaines de jeunes lycéens ?
Tu es mal conseillé, Jupiter. Tes principaux ministres, qui ont trahi leurs camps pour aller à la soupe, n'ont pas d'autre choix que de te caresser dans le sens du poil. Je pense même que Daniel Cohn Bendit parviendra bien à justifier le traitement honteux que tes sbires ont infligés aujourd'hui aux lycéens arrêtés.
Tu ne m'inspires aucune sympathie, Jupiter. Et je n'ai pas voté pour toi, même au deuxième tour. Je n'ai pas voté car je pensais que ton mandat préparerait celui de l'extrême-droite quant l'élection de ta concurrente provoquerait au contraire l'émergence d'une sixième république avec limitation considérable des pouvoirs du chef de l’État. Tu ne m'inspires aucune sympathie mais je vais néanmoins te donner un conseil, Jupiter. Un conseil pour que tu puisses conserver ton poste. Parce que nos intérêts convergent pour une fois. Parce que je crois que ta chute provoquerait un chaos qui ne profiterait in fine qu'à ceux qui n'ont d'autre sujet que celui de l'ordre qu'ils appelèrent jadis l'ordre nouveau. Parce qu'au fond je pense que ta chute servira l'extrême droite plus vite encore que je ne l'avais craint.
Alors ? Quel conseil ? Et bien, vois-tu Jupiter, au point où en sont les choses aujourd'hui, les gueux ne se contenteront d'aucune aumône. Ils savent que le retrait du budget 2019 de la hausse des taxes mal-aimées n'empêchera pas leur retour en 2020. Ils savent que le gel du prix de l'électricité et du gaz est une escroquerie : Madame Royal en son temps leur a déjà fait le coup et ils payent aujourd'hui les sommes dont elle les avait « exonérés » en 2014. Il est bien peu probable qu'une hausse minime du SMIC les apaise. Et prisonnier de ceux qui ont financé ta campagne et mis à ta disposition (presque) toute la presse de ce pays, tu ne peux guère faire davantage sur le plan financier.
Les gueux n'ont à juste titre aucune confiance en toi ni en aucun des mouvements politiques qui siègent à l'assemblée. Ils veulent sans doute une meilleure répartition des richesses et des taxes. Mais ils sont peut-être plus friands encore de reconnaissance de leur existence en tant qu'être humain. Hé oui, c'est ainsi : même ceux qui « ne sont rien » prétendent au statut d'être humain respectable.
Je te propose donc, Jupiter, de faire avec eux un pacte qui, bien entendu, réduira tes pouvoirs en leur en donnant une partie. Si tu t'engages aujourd'hui à faire approuver avant Noël une loi qui institue le référendum d'initiative populaire, accessible avec un nombre raisonnable de pétitionnaires (500 000 ? un million?), contraignant pour l’État qui aurait l'obligation de l'organiser sous trois mois, ouvert à tous les sujets, que la représentation nationale en ait débattu ou non, et limité par la seule contrainte de respecter les droits de l'homme et du citoyen, alors tu pourras éviter, Jupiter, d'ensanglanter ton quinquennat par un triste samedi d'hiver. Tu pourras même peut-être faire de ce triste samedi une fête populaire et pacifique. En donnant aux gueux que tu méprises le pouvoir d'influer enfin sur les lois qui régissent le monde dans lequel, comme toi, ils vivent, tu pourrais même peut-être, Jupiter, faire un premier pas vers ce qui te manque le plus : une certaine grandeur.