Cahuzac est d'abord l'aboutissement d'une persévérance dans la fraude : de son propre aveu, il détient des comptes à l'étranger depuis vingt ans. Et les juges d'instruction enquêteront concerne non seulement sur la fraude fiscale, mais aussi sur le délit de "perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les produits ou services sont pris en charge par la sécurité sociale." Autrement dit, M. Cahuzac, après avoir travaillé au ministère de la santé, pourrait aussi avoir trafiqué de son influence au profit d'entreprises pharmaceutiques. En revanche, la persévérance et l'arrogance dans le déni ne sont pas pénalement réprimés; ils contribuent seulement au discrédit de la parole politique. Et le fait que M. Cahuzac était en charge de lutter contre la fraude fiscale n'est pas une circonstance aggravante : cela renforce seulement une société de défiance, qui considérait déjà 72% des hommes politiques français comme "corrompus ou plutôt corrompus".
Le spectacle Cahuzac n'est pourtant que celui d'une affaire emblématique parmi bien d'autres. Il est juste plus flamboyant dans la dramaturgie. Dans les années 1990, Jacques Toubon avait ordonné de retrouver dans l'Himalaya un procureur afin d'étouffer une affaire. Cet évènement avait eu un effet comparable pour réveiller une opinion publique lasse des affaires.
Le moment Cahuzac met aussi en évidence ce que le gouvernement a fait depuis sa nomination pour défendre l'intégrité de la vie publique. C'est peu dire qu'il disposait d'un socle de propositions sérieuses. Après le scandale causé par son prédécesseur Eric Woerth, une commission avait été nommée pour prévenir les conflits d'intérêts. Le vice-président du Conseil d'Etat avait remis un intéressant rapport, aussitôt oublié. François Hollande a proclamé son ambition d'aller plus loin en matière de déontologie de vie publique. Il a commandé à Lionel Jospin un rapport "pour un renouveau démocratique". Moins ambitieux que son titre, ce rapport attend encore de recevoir une suite.
Le scandale Cahuzac révèle aussi l'incompréhension entre le gouvernement et une société civile qui avait pourtant placé des espoirs dans l'alternance. Transparence International a appelé à faire de la lutte contre la corruption et de l'éthique publique la grande cause nationale de 2013, sans parvenir à l'intéresser le gouvernement. Anticor n'a pas rencontré plus d'écho à ses propositions visant à promouvoir l'éthique de la vie politique, à contrôler les lobbystes, à protéger les lanceurs d'alerte, à revoir les conditions du secret défense.
Dans l'incendie Cahuzac, quelques annonces font l'effet de gouttes d'eau. L'indépendance de la justice sera renforcée. Il faut reconnaître que le garde des sceaux ne fait plus obstruction au cours de la justice. Mais la réforme prévue est modeste : le pouvoir de nomination restera entre les mains de l'exécutif, même si un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature est nécessaire. La réforme du Conseil constitutionnel est encore plus modeste : les anciens présidents ne devraient plus y siéger, mais les nominations demeureront politiques.
Les élus condamnés pour fraude devraient être interdits de tout mandat public. Mais c'est déjà prévu dans le code pénal. En revanche, l'inéligibilité automatique est inconstitutionnelle.
Le ministère Cahuzac, c'est enfin la mise en place de l'austérité pour le pays et une volonté politique incertaine en matière de lutte contre la fraude fiscale. Pas de réaction au rapport du sénateur Eric Bocquet, qui proposait pourtant un ensemble de mesures cohérentes. Pas de réaction au rapport de Solidaires-finances publiques, qui proposait d'autres mesures après avoir évalué le montant de la fraude à 80 milliards d'euros chaque année. Pas de réaction au rapport de l'OCDE sur l'érosion fiscale. Pas d'initiative sur le plan européen, après la communication de la Commission européenne chiffrant à 1000 milliards la fraude dans les 27 Etats de l'Union.
Cahuzac restera comme un scandale majeur de la cinquième République, comme les affaires Aranda dans les années 1970 ou Urba dans les années 1990. Comme dans le passé, ce n'est pas seulement une dérive individuelle. C'est la dérive d'un système, où l'austérité est imposée au plus grand nombre alors qu'une oligarchie s'approprie frauduleusement la richesse et la réalité du pouvoir. Remettre en cause un système, c'est toujours beaucoup plus difficile que de dénoncer une responsabilité individuelle. C'est encore possible. Ce sera bientôt trop tard.