Le 5 mars, deux sociétés ont été condamnées par le Conseil de prud'hommes pour licenciement abusif d'un lanceur d'alerte. Qosmos a été condamnée à verser 65000€ à un salarié qui avait dénoncé les liens de l'entreprise avec des régimes autoritaire. Par ailleurs, la banque UBS a été reconnue coupable de harcèlement moral et de licenciement abusif sur Stéphanie Gibaud, et condamnée à lui verser 30000€.
Foucault parlait de ceux qui ont le courage de la vérité. Ce courage est une vertu politique : "la tâche de dire le vrai est un travail infini, qui s'oppose au silence de la servitude".
Le 3 mars, 25 organisations organisaient à la Bourse du travail une réunion de soutien au lanceurs d'alerte. Dix d'entre eux ont fait part de leurs expériences personnelles : sur l'affaire des affaire des diamants de sang de l’Angola, sur une importante affaire de fausses factures dans les Hauts-de-Seine, sur des malversations lors du rachat du Printemps par le Qatar, sur des fraudes à la réglementation bancaire au Crédit agricole, sur des ententes illicites dans les marchés du BTP en Moselle, sur la corruption à l'ambassade de France de Cotonou, sur "l'optimisation fiscale" aux éditions Wolters Kluwer, sur des fraudes dans la société DS Invest... Antoine Cicolella, qui avait dénoncé l'affaire des éthers de glycol a contribué à la construction de la fondation Sciences citoyennes. Antoine Deltour, à l'origine des Luxleaks a encore besoin d'aide. Stéphanie Gibaud témoignait aussi de son épreuve.
Car aucun des lanceurs d'alerte présents n'est sorti indemne de son témoignage de vérité. Au contraire, certains ont parlé de descente aux enfers, de la difficulté d'apporter la preuve contraire quand on est traité de mythomane ou de paranoïaque... L'un d'entre eux a vu sa maison brûler et deux autres ont subi des violences physiques.
Certes, la Cour européenne des droits de l'homme protège les lanceurs d'alerte dans l'exercice de leur liberté d'expression, même quand les informations qu'ils délivrent peuvent heurter ou choquer. Certes, le droit interne s'est enrichi récemment de cinq lois protectrices mais disparates. Certes, une jurisprudence bienveillante s'est construite en leur faveur. Mais avant d'être rétablis dans leurs droits, les lanceurs d'alerte doivent franchir un parcours d'obstacles.
Ils sont aussi invités à collaborer avec la justice et le font bien volontiers. Mais il font alors l'expérience de la lenteur et de l'impuissance de l'institution à les protéger. Beaucoup sont parvenus à faire condamner les auteurs d'infractions. Mais ils gardent le sentiment d'avoir été utilisés puis rejetés. Et il n'y a rien de commun entre ce que l'Etat ou la collectivité ont gagné et leur sort qui reste le plus souvent incertain.
Ils montrent un exemple que peu seront tentés de suivre dans de telles conditions. Même si, comme l'a dit Antoine Deltour : "Agir selon sa conscience procure un bien-être inestimable".
Pourtant, l'alerte éthique est indispensable pour révéler les failles de l'Etat de droit. Elle permet de connaître des agissements que seuls ceux qui connaissent une organisation de l'intérieur peuvent divulguer.
Le vice président du Conseil d'Etat, est intervenu sur le sujet au cours d'un colloque à l'Assemblée nationale. Il a situé ce combat dans une perspective historique : dans l'affaire Dreyfus, la vérité s'est manifestée grâce au lieutenant-colonel Picquart, qui avait d'abord communiqué à sa hiérarchie l'information qui innocentait Dreyfus. Puis, devant l'obstruction de ses supérieurs, il l'avait divulgué à l'extérieur de l'armée, ce qui lui a valu d'être emprisonné pendant un an et révoqué.
Les défenseurs des droits de l'homme organisent une manifestation à la Sorbonne le mois prochain. L'UGICT-CGT (ingénieurs, cadres et techniciens) s'est mobilisée à la Bourse du travail, et a pris l'initiative d'un message adressé au Président de la République par 25 organisations. Anticor, Transparence International et Sherpa apportent aussi toute leur expérience.
L'enjeu est d'autant plus important que la Directive sur le secret des affaires pourrait être prochainement adoptée. Et si elle ménage quelques espaces pour les lanceurs d'alerte, c'est au regard d'une logique où le secret est la règle et la liberté d'informer l'exception.
La volonté politique permettra-t-elle de faire en sorte que le sujet ne doit plus au centre de colloques ou de meetings mais s'installe dans le droit positif? Au Royaume-Uni, une seule loi protège les acteurs publics et privés qui signalent des infractions. Ceux-ci peuvent aussi s'adresser à un interlocuteur sûr et clairement identifié. Le Canada a mis en place un réseau de référents dans le secteur public, et le lanceur d'alerte peut aussi s'adresser au commissaire à l'intégrité. La rétorsion y est sanctionnée par un tribunal de la protection des divulgateurs de faits répréhensibles. Enfin, si l'idée d'une récompense financière, sur le mode pratiqué aux Etats-Unis, est encore taboue en France, il ne serait pas illégitime de réfléchir à une indemnisation du préjudice subi par ceux qui ont fait le choix de la vérité.
Il est temps d'en finir avec la précarité et la vulnérabilité des lanceurs d'alerte à la française, et d'adopter un régime plus ambitieux pour le bien commun.