L'examen du projet de loi sur la fraude et la corruption n'a pas été achevé avant le 14 juillet, comme le souhaitait le gouvernement. Les désaccords entre Sénat et Assemblée nationale imposent une ultime lecture, pour donner aux députés le dernier mot. Le nouvel examen du projet de loi commence le 11 septembre.
Trois enjeux au moins retiendront l'attention.
Les associations de lutte contre la corruption auront-elles le droit d'agir en justice? Aujourd'hui, la jurisprudence exige, pour chaque procédure, la démonstration par l'association de son intérêt direct à agir. C'est un obstacle certain, dès lors que le parquet refuse de poursuivre, comme cela a été souvent le cas dans des dossiers sensibles. C'est aussi un enjeu d'autant plus important que la réforme constitutionnelle, qui aurait donné au Conseil supérieur de la magistrature un pouvoir sur la nomination sur le procureurs, a été abandonnée.
Anticor, Sherpa et Transparence International France avaient demandé de permettre aux associations luttant pour la probité publique d'agir en justice. L'article 1er du projet de loi prévoyait de donner ce droit à des associations agréées par le gouvernement. Mais le Sénat a supprimé l'article, pour ne pas "privatiser l'action publique". Cet argument est fallacieux, car il existe dans le code pénal 22 catégories d'associations habilitées pour agir en justice.
Le texte initial devrait être repris. Et si le législateur tient à la procédure d'agrément, il pourrait avoir le tact de la confier à une autorité indépendante. Mais sur un sujet qui semble avoir ravivé au Sénat une peur irrationnelle des citoyens et de la justice, rien n'est exclu.
Les lanceurs d'alerte bénéficieront-ils d'une protection appropriée? Le texte voté par le Sénat a restreint la protection des lanceurs d'alerte. Il a notamment supprimé leur protection pour des faits relatés au public. Ainsi, Irène Frachon ne serait pas protégée pour son livre sur le Médiator, même si la Cour européenne des droits de l'homme a jugé une telle protection nécessaire dans une société démocratique[1].
Ensuite, le texte prévoit que le lanceur d'alerte est "mis en relation avec le Service central de prévention de la corruption". Mais il ne dit rien des pouvoirs dont disposera ce service pour assurer une protection effective. Transparence International France a récemment souligné le coût moral et financier de l'absence de dispositif d'alerte fiable en France. Des amendements ont été proposés, inspirés de la loi canadienne, sans doute une des plus complètes dans le monde. Ils complèteraient utilement une ambition législative inachevée.
Enfin, le législateur donnera-t-il au parquet financier le pouvoir de poursuivre la fraude financière? Le gouvernement a décidé de créer un procureur financier, en charge notamment des poursuites en matière de fraude fiscale. Il aurait sans doute été plus pertinent de créer un parquet en charge d'une mission de coordination de la lutte contre la corruption et la fraude, sur le modèle italien ou espagnol. Mais dès lors que le choix a été fait de créer ce nouveau procureur, le ministre du budget ne peut raisonnablement conserver la réalité du pouvoir de décision en matière fiscale. La simple logique du texte commande de faire sauter le verrou de Bercy. Cela permettrait aussi de mettre fin à une discrimination entre les délinquants au profit des fraudeurs, comme l'a demandé la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Des amendements minimalistes ont proposé de donner au procureur un pouvoir de décision pour les seuls faits découverts lors d'une enquête judiciaire ou commis en bande organisée. Ils n'ont pu être adoptés.
Dans un tel contexte, le Sénat a décidé de supprimer les dispositions relatives au procureur financier. Faute de donner à cette autorité un pouvoir qui aurait permis à l'Etat de récupérer plus efficacement les sommes fraudées, il a au moins fait l'économie d'une institution inutile. Les députés seront-ils autorisés à faire preuve de plus d'ambition en ce domaine?
[1] Guja contre Moldavie, 12 février 2008