Le Conseil des ministres a adopté le 10 avril 2013 un certain nombre de principes visant un "choc de moralisation" visant à "une lutte implacable contre les dérives de l'argent et la cupidité de la finance occulte". Pourtant, malgré cette ambition proclamée, elles restent bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour répondre d'une telle ambition.
1. La haute autorité de déontologie : en deçà des propositions des rapports Sauvé et Jospin.
La question posée par l'affaire Cahuzac n'est pas limitée à la transparence du patrimoine. Aucun strip-tease patrimonial n'aurait pu prévenir le scandale. Car le problème n'est pas celui de la publicité des avoirs, mais celui du contrôle de la sincérité des déclarations et de l'absence d'enrichissement personnel pendant l'exercice de fonctions ministérielles.
Transformer l'autorité de transparence de la vie politique en Haute autorité répond en partie seulement à cela : la vérification des avoirs détenus à l'étranger dépend d'autres mesures, prévues par ailleurs mais dont l'adoption dépend de nos partenaires économiques.
Surtout, une question au moins aussi importante n'est pas traitée: le passage du public au privé. C'est pourtant un élément du scandale Cahuzac : celui-ci a-t-il mis à profit son carnet d'adresses constitué au moment où il était au cabinet du ministère de la santé pour faire du lobbying au profit d'industries pharmaceutiques? Les rapports Sauvé et Jospin proposaient que la Haute autorité de déontologie de la vie publique soit aussi compétente sur cette question. Manifestement, cette partie de leurs propositions a été oubliée. Dommage, car aucune autorité n'est compétente pour statuer sur le passage du public au privé des ministres (et aussi des magistrats).
2. La création d'un parquet financier et d'un office central de lutte contre la fraude : tout changer pour que tout reste pareil.
L'affaire Cahuzac mettait en évidence un premier problème : les transactions et les poursuites en matière fiscale dépendent du ministère du budget. Le procureur de la République n'est qu'un exécutant en matière fiscale où tout est verrouillé en amont. Cela explique le faible nombre de poursuites en ce domaine : environ un millier par an. Si Cahuzac devrait être poursuivi pour fraude fiscale (en plus du blanchiment), cette décision dépendrait donc entièrement de son successeur... Le communiqué ne dit rien non plus sur la prescription, qui interdit parfois les poursuites en ce domaine.
Le deuxième problème, plus général, tient au fait que le parquet est actuellement en état de "coma dépassé", selon le mot de l'ancien procureur général de la Cour de cassation. Certes, il faut reconnaître au garde des sceaux son absence d'intervention dans le cours de la justice. Mais une circulaire et une pratique peuvent changer à tout moment. Rien n'est dit sur la réforme du statut du parquet, qui aurait pourtant mérité d'être approfondie et accélérée.
Le troisième problème tient au statut des officiers de police judiciaire, qui dépendent pour l'exécution des enquêtes de l'autorité judiciaire, mais pour leur carrière du ministère de l'intérieur. Ce statut rend vulnérable les policiers dans toutes les affaires sensibles. La question est ignorée, au profit d'une réforme des organigrammes.
3. La lutte contre les paradis fiscaux : une ambition dépendante de l'Union européenne.
L'obligation pour les banques française de rendre publique la liste de leurs filiales et de fournir des informations sur les effectifs, les impôts payés et les aides publiques reçues a déjà été votée. La proposition d'étendre cette mesure à l'ensemble des entreprises transnationales est essentielle.
De même sont essentielles les mesures tendant à organiser l'échange automatique d'informations entre administrations et la généralisation de l'échange d'informations sur les comptes bancaires détenus à l'étranger pas des ressortissants nationaux.
La lutte contre les prix de transfert ou "planification fiscale agressive" est aussi un enjeu important : c'est ce qui permet l'érosion des bases fiscales, comme cela a été récemment dénoncé pour Google et Amazon.
Ce volet est le plus ambitieux parmi les annonces du gouvernement. Mais il dépend de décisions européennes. Le Traité sur la coopération et la gouvernance, qui impose aux Etats des contraintes sévères en matière de déficit, aurait pu être équilibré par de telles mesures, de nature à restituer aux Etats une partie de la fraude et de l'évasion fiscales évaluées par la Commission européenne à 1000 milliards d'euros. L'occasion a été manquée, et il faudra manifestement au gouvernement français une détermination et une persévérance considérables pour obtenir de partenaires européens récalcitrants un changement de leur position.
Par ailleurs, les mesures annoncées ignorent toujours d'importantes propositions des organisations compétentes en ce domaine.