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Billet de blog 21 mai 2014

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Le prix à payer pour une société civilisée

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Le ministre du budget a publié un communiqué de victoire : 1,8 milliards d'euros fraudés seront été rapatriés en 2014 et peut-être deux milliards l'an prochain. C'est bien mais c'est peu. En effet le manque à gagner qui résulte de l'évasion et de la fraude fiscale est aujourd'hui évalué entre 60 et 80 milliards d'euros par an pour la France. Ce montant peut être comparé à celui de l'impôt sur le revenu (72 milliards), ou encore à celui du service annuel de la dette (56 milliards).

La Commission européenne indiquait en 2012 que près de 1000 milliards d'euros étaient perdus chaque année dans les 28 pays de l'Union en raison de la fraude et de l'évasion fiscale. A titre de comparaison, le PIB des 28 Etats est évalué à 12500 milliards. Pourtant, face à cette situation, c'est une course de lenteur qui est engagée.

Certes, en mars dernier, l'Union a adopté le principe de l'échange automatique d'information bancaires, sur le modèle de la loi FATCA des Etats-Unis, qui entre en vigueur en juillet prochain. Mais certains Etats mènent encore un combat d'arrière garde: l'Autriche et le Luxembourg ont obtenu d'attendre que la Suisse, le Lichtenstein, Andorre, Monaco et Saint Marin s'alignent.

De même, le Parlement européen a adopté le texte imposant la création d'un registre public des bénéficiaires des sociétés écrans et des trusts. Mais au Conseil, les Etats européens peinent à trouver un accord. Le Royaume-Uni, en particulier, fait de la résistance.

La question des prix de transfert, qui permettent la délocalisation des bases fiscales, commence à peine à être traitée. La concurrence fiscale fait rage entre les Etats de l'Union. Aux limites de l'abus de droit, les sociétés transnationales ont appris à jouer des différentes législations du Luxembourg, des Pays-Bas et de l'Irlande pour minimiser leur contributions fiscales. Proposé depuis dix ans par la Commission européenne, le projet d'harmonisation de l'impôt sur les sociétés est loin d'être adopté. La règle de l'unanimité, prévue par le traité de Lisbonne, ne facilite pas les choses. Certaines multinationales sont ainsi les passagers clandestins de l'Europe : elles tirent des avantages notamment d'une main d'oeuvre formée, de réseaux performants et d'une bonne sécurité juridique, mais elles laissent aux ménages et aux PME le soin de financer.

Ce qui pourrait en revanche changer la donne, c'est l'exaspération de l'opinion. Car chacun comprend que derrière le voile de technicité et de complexité, l'Union européenne a manqué de volonté et de courage. Et qu'il n'est pas possible de construire l'Europe si elle permet une concurrence déloyale entre les Etats.

A la veille des élections, la neutralisation de la taxe Tobin européenne, une des rares initiatives européennes ambitieuses en matière fiscale, est emblématique de cet échec. Elle devait rapporter 57 milliards à l'origine, mais n'en rapportera guère plus de cinq.

La porosité entre intérêts publics et privés accroît le soupçon de "petits arrangements entre amis" : c'est d'ailleurs le titre du rapport de l'ONG Oxfam, paru début mai et qui fait le bilan des enjeux en ce domaine.

En d'autres temps, face à la crise, le président Roosevelt avait défini un New Deal, en décidant notamment une politique de grands travaux et une forte augmentation les impôts sur les plus riches et les entreprises. Son gouvernement a été très actif contre l'optimisation et l'évasion fiscale et pour réguler la finance. Henry Morgenthau secrétaire au Trésor sous la présidence de Roosevelt disait : " Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais".

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