Le rapport de l'OCDE sur la mise en oeuvre par la France de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers permet un constat rapide. Cinq condamnations ont été prononcée depuis son entrée en vigueur en 1999. Une seule personne morale a été sanctionnée: la société Safran, à 500 000 euros d'amende, pour le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires nigérians afin d'obtenir un marché public de 170 millions d’euros pour la fabrication de cartes d’identités au Nigéria.
La lutte contre la corruption dans les transactions commerciales est souvent présentée comme une variante du dilemme du prisonnier : c'est une situation dans laquelle deux joueurs ont intérêt à coopérer, mais les incitations à trahir l'autre sont si fortes que la coopération n'est jamais choisie quand le jeu n'a lieu qu'une fois. En revanche, quand le jeu est répété, les acteurs réalisent qu'ils ont intérêt à coopérer. C'est aussi vrai pour les entreprises. La corruption peut permettre d'emporter un marché. Mais à moyen terme, les coûts et l’importance des aléas politiques et juridiques donnent une rationalité économique au respect des règles.
Car la corruption a un coût pour les entreprises. 32% des entreprises françaises considèrent qu'elles ont perdu un contrat sur les douze derniers mois pour avoir refusé de payer un pot de vin (22% des entreprises du Royaume-Uni, 28% des entreprises allemandes).
Mais la France n'a pas encore réalisé qu'elle avait intérêt à coopérer, par une application loyale de la Convention. Les entraves à la justice sont connues de longue date. Certaines ont été mises en place dès la transposition de la Convention en droit français.
Ainsi, le parquet a le monopole et l'opportunité des poursuites. Et la lutte contre les pratiques corruptrices des entreprises française n'est pas une priorité de politique pénale. Depuis 2007, les effectifs des magistrats et des enquêteurs spécialisés ont même diminué (d'environ un tiers, par exemple, au pôle financier de Paris).
Le trafic d'influence n'est pas punissable en ce qui concerne les agents publics étrangers. Des actes qui, en France, seraient poursuivis pour trafic d'influence ne peuvent être atteints par la justice lorsqu'ils sont commis à l'étranger.
La classification "secret défense" est extensive. La solution de facilité, qui consiste à couvrir du secret l'ensemble d'une opération commerciale, est souvent retenue. Et la déclassification résulte entièrement d'une décision politique, non soumise à contrôle. L'affaire des frégates de Taïwan et le dossier Karachi sont emblématiques du détournement des finalités du secret défense.
Enfin, les peines ne sont pas dissuasives. Une société encourt pour des faits de corruption d'agent public à l'étranger une amende de 750 000 euros, sans proportion avec les profits qui peuvent être réalisés. Si jamais elle est sanctionnée, l'infraction demeure donc lucrative. Et la sanction peut être discrète : depuis la loi du 13 décembre 2011, la procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité s'applique aux faits de corruption, ce qui peut exonérer l'entreprise éventuellement poursuivie des débats devant un tribunal correctionnel.
Cela explique la 11ème position de la France dans l'indice de corruption des pays exportateurs de Transparence International (les pays étant classés du plus honnête - les Pays-Bas, au moins honnête -la Russie). Dans le récent rapport de Transparence sur le suivi de la Convention OCDE, la France est classée parmi les pays qui font une application "modérée" de la Convention.
Pourtant à l'étranger, d'importantes avancées ont été réalisées. Au Royaume-Uni, la loi anticorruption du 9 avril 2010 fait obligation aux entreprises de mettre en place des mesures pour prévenir toute action corruptrice. Le non respect de cette obligation est sanctionné. Toute personne morale ayant une activité, même partielle, au Royaume-Uni, peut voir sa responsabilité pénale engagée, sauf à démontrer qu'elle avait mis en oeuvre des procédures adéquates pour prévenir des actes de corruption. En cas de corruption, l'amende encourue par les entreprises n'est pas plafonnée. Aucune prescription ne limite les poursuites. Seules les poursuites excessivement tardives sont prohibées par la théorie de l'abus de droit.
Aux Etats-Unis, la loi contre les pratiques de corruption à l'étranger date de 1977. C'est aussi un moyen efficace de lutter contre des sociétés étrangères corruptrices. Siemens, condamnée en Allemagne à 395 millions d'euros pour des commissions illicites, a aussi du payer l'équivalent 450 millions de dollars aux Etats-Unis.
En Allemagne, depuis l'affaire Siemens, les sociétés ont développé des mesures internes pour prévenir la corruption. De façon symbolique, les chefs d'entreprise ont publié en août dernier une lettre ouverte demandant à l'Etat d'aller plus loin dans la lutte contre la corruption internationale.
Les moyens pour améliorer la situation en France sont identifiés et d'un coût modeste. Ils sont développés dans le rapport de l'OCDE, qui révèle, au-delà de l'application de la Convention, nombre de faiblesses de la France en matière de lutte contre la corruption.
D'abord, réformer le statut du parquet et donner aux procureurs l'indépendance nécessaire pour une application de la loi égale pour tous. Ensuite, supprimer le monopole du parquet pour la poursuite des faits de corruption commis à l'étranger. En particulier, les associations qui ont pour objet la lutte contre la corruption devraient pouvoir se constituer partie civile. Le secret défense ne doit plus relever de la seule conscience d'un ministre: comme chez nos principaux voisins, la justice doit apprécier la possibilité de déclassifier au regard des intérêts en cause. Le trafic d'influence doit être punissable à l'étranger. Enfin, la corruption active doit être sanctionnée en fonction de l'importance du dommage causé à l'économie et de la situation de l'entreprise corruptrice, comme c'est déjà le cas pour les pratiques anti-concurrentielles.
La plupart de ces propositions font partie des promesses du président élu. Pourquoi encore attendre pour les mettre en oeuvre?