Dimanche, on marchait sur Bercy pour une remise à plat du système fiscal français afin de le rendre plus « juste », donc acceptable par l’ensemble de nos concitoyens et potentiellement plus efficace, c’est-à-dire faisant contribuer proportionnellement plus les classes aisées que les classes moyennes et les plus pauvres. Rien à voir avec le mouvement des « benêts » rouges qui confond tout et de ce fait perd toute crédibilité.
Aujourd’hui, le sujet est beaucoup plus important : comment faire avaler aux braves gens qu’il est dans leur intérêt de travailler le dimanche ? Qu’une restriction, ou pire une interdiction du travail dominical, contreviendrait à leurs libertés individuelles ? C’était la tâche assignée à l’ex-PDG de La Poste, Jean-Paul Bailly, au travers du rapport intitulé « Vers une société qui s'adapte en gardant ses valeurs », qu’il vient de remettre au Premier ministre.
Le rapport est mesuré selon son auteur, en ce sens qu’il maintient le droit au repos dominical mais propose de l’assouplir, autorisant par exemple les commerces à ouvrir 12 dimanches dans l’année au lieu de 5. Peut-on encore considérer comme exceptionnelle l’ouverture le dimanche lorsque près de 25% de ceux-ci pourront être travaillés ? Mais l’argument principal avancé dans ce rapport est le suivant : « la société française a évolué et la demande d’activité le dimanche est plus forte ». L’ouverture le dimanche, ce ne serait donc pas une volonté des entreprises, juste une demande des ménages qui ont une telle soif de consommer… Pour satisfaire ce consumérisme, il faut donc travailler plus, pour… gagner plus. Serait-ce le retour de la plus grande arnaque Sarkozyste de ces dernières années ? Car comment appelle-t-on quelqu’un qui travaillerait sans être payé ? Oui, un esclave… Vous avez gagné une brouette chez Jardiland…
Et bien, les salariés du collectif des bricoleurs du dimanche, eux-aussi, veulent être libres de travailler le dimanche. Leur slogan : « Yes weekend » ! Leur motivation première est financière et ils ne s’en cachent pas : « C’est la crise et il faut bien mettre du beurre dans les épinards ». On peut certes le comprendre, sauf que pour atteindre leur objectif d’une meilleure rémunération, il aurait été préférable qu’ils viennent marcher du coté de Bercy plutôt que de rester enfermés dans leurs magasins à vendre des tronçonneuses ou du papier peint.
Les bricoleurs du dimanche, eux, ne sortent pas la faucille et le marteau mais plutôt la pelle et le râteau afin de manifester contre un projet de loi liberticide qui empêcherait les gens de faire librement la queue le dimanche aux caisses du Bricorama du coin, au sein duquel ils pourront leur vendre tout l’attirail nécessaire au remplacement de la tapisserie de la chambre du petit dernier ou à la plantation de trois tulipes dans le jardin. Les employés « libres » de travailler le dimanche, quant à eux, ne profitent pas de leurs enfants, de leur famille ou de leurs amis, ils continuent leur activité principale : vendre tout ce qu’ils peuvent à n’importe qui. C’est certainement ce que l’on doit appeler le développement durable…
En luttant pour que leurs patrons puissent ouvrir 365 jours par an, ils ne voient pas que ce qu’ils gagnent petitement à court terme leur sera repris par une fiscalité qui a perdu la tête depuis plus de trente ans en favorisant les hauts revenus et les détenteurs de patrimoines. De plus, une fois les magasins ouverts tous les jours, les salariés se feront concurrence entre eux pour travailler ces jours là, ce qui deviendra financièrement beaucoup moins intéressant pour eux. Et encore faudra-t-il que les consommateurs continuent de se rendre dans ces magasins, non pas pour regarder mais bien pour acheter, sinon les employés mangeront leurs épinards sans beurre. Cette demande pourra être maintenue pendant un temps assez long grâce à la fée publicité et au crédit. Mais dès que de gros nuages viendront assombrir l’avenir, ceux-là même qui auront mis des étoiles marchandes dans les yeux de nos bricoleurs leur feront payer le prix de cette croyance en un accroissement perpétuel du revenu et de la consommation. Cela passera par des plans sociaux, des licenciements, ou des baisses de salaire pour « aider » le patron à maintenir l’activité. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, les promesses n’engagent que ceux qui les croient… Dans l’intervalle, ils auront sacrifié des activités non monétaires qui auraient peut-être pu leur procurer plus de plaisir.
Car tout l’enjeu est-là : doit-on préserver un temps significatif destiné à des activités non monétaires (lire, rêver, échanger avec des proches, se promener, être avec ses enfants,…) ? Ou bien faut-il tout sacrifier au dieu « Economie marchande » ? Accepter le deuxième terme de l’alternative, c’est réaliser le rêve de tous les économistes libéraux et des politiques qui leur servent la soupe, c’est enfin devenir cet homo economicus égoïste et « rationnel » pour qui le bonheur passe par une consommation marchande toujours plus importante. On peut toutefois s’interroger sur le caractère rationnel d’un tel comportement ! Cet homo economicus agit pour son propre intérêt et n’a que faire de la situation des autres. Et c’est de la somme des intérêts particuliers que doit découler l’intérêt général. Voici un modèle de société alléchant… Mais qui ne fonctionne pas car, dans la vie réelle, de la lutte de chacun contre tous naît la loi du plus fort. Et celle-ci n’est jamais favorable au bricoleur du dimanche.