J’organise au sein de la faculté d’économie, gestion et AES de l’université de Bordeaux, un cycle de conférences intitulé « L’économie c’est politique ». L’objectif est, à l’occasion de la sortie d’un ouvrage, d’inviter des intellectuels, économistes ou non, à le présenter à un public étudiant et à en débattre avec lui. Conformément à la mission première de l’université qui est de former des citoyens, c’est-à-dire des individus doués d’une réflexion critique, ce type de conférence permet aux étudiants de goûter au débat d’idées, donc de les faire réfléchir, échanger et s’enrichir du savoir d’autrui.
A ce titre, Jean-Luc Mélenchon avait accepté mon invitation et devait venir présenter son livre « Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne » mercredi 11 octobre. Le président de l’université a décidé vendredi 6 octobre d’annuler cette conférence, en raison de risques de troubles à l’ordre public que lui faisaient remonter les services de police et la préfecture de la Gironde. Comment en est-on arrivé à ce qu’un homme politique de premier plan (que l’on soit d’accord ou non avec ses idées), parfaitement républicain, soit empêché de débattre au sein de l’université française ?
Rappelons tout d’abord que l’accord pour organiser cette conférence m’avait été donné par le président de l’université lui-même en juillet, au nom de la tradition universitaire qui fait de l’université le lieu du débat. En raison de la personnalité invitée et de ce que cela implique en termes d’organisation, en particulier au niveau sécurité, il était normal qu’il soit averti de ce projet et donne son accord. Je n’ai donc pas à douter de sa sincérité et je sais qu’il est soucieux de maintenir une université ouverte et de faire respecter la liberté académique. Je ne peux que regretter en revanche qu’il ait cédé à la pression des autorités préfectorales, sans que jamais il ne soit clairement fait état de la réalité des menaces qui semblaient peser sur cet événement. Ceci est toutefois troublant car la préfecture de la Gironde, contactée par ailleurs à deux reprises, une première fois vendredi 6 octobre, une seconde fois lundi 9 octobre, a répondu à chaque fois n’avoir aucune alerte particulière à signaler en matière de sécurité pour cette conférence.
L’université de Bordeaux a pourtant justifié ainsi cette annulation : « Devant les risques avérés de troubles à l'ordre public, d'atteinte à la sécurité des personnes et des biens, et l'ampleur des moyens de sécurité requis, l'université de Bordeaux a pris la décision vendredi 6 octobre dernier d'annuler la tenue de cet évènement dans ses locaux ».
Pour le dire simplement, ces menaces émanent de groupes d’extrême droite qui ont tenté de s’inscrire en nombre à cette conférence et dont la présidence craignait qu’ils viennent en découdre aux abords de l’amphithéâtre où elle devait se tenir. Sans nier qu’il puisse y avoir des incidents – nous avions précisément prévu un service de sécurité renforcé – cette décision d’annulation est sans précédent. Jamais Jean-Luc Mélenchon n’avait été empêché de venir s’exprimer dans une université ! C’est une bien triste première. Insistons également sur le fait que cette annulation a été prononcée vendredi 6 octobre et n’a donc pas été motivée par des raisons liées au conflit israélo-palestinien comme l’extrême droite locale tente de le faire croire.
Cette annulation est très inquiétante pour l’université de bordeaux et l’université en général car le signal envoyé, en sacrifiant la liberté académique, est terrible. Elle l’est également pour la démocratie quand une des principales personnalités politiques de ce pays ne peut s’exprimer librement. Que les services de l’État ne mettent pas tout en œuvre pour que ce droit soit respecté interroge aussi, à moins que ce ne soit l’université de Bordeaux qui ait exagéré cette potentielle menace. Aurait-on annulé la venue d’Emmanuel Macron pour les mêmes raisons ?
Comme il était impensable de céder face à l’extrême droite, cette conférence s’est bien tenue à Bordeaux, mais en dehors de l’université. Elle s’est déroulée dans un climat de grande convivialité et sans aucun problème de sécurité. Le débat républicain a finalement gagné !