Depuis qu'il a annoncé solliciter un vote de confiance de l'Assemblée nationale le 8 septembre prochain, François Bayrou joue son va-tout en dramatisant à outrance la situation en matière de dette publique. Pour ce faire, il n’hésite pas accuser les retraités d’être responsables de la situation dégradée des finances publiques et se place en défenseur des jeunes générations qui seraient sacrifiées si l’on n’accepte pas ses choix politiques austéritaires. Pour lui nous serions en train « d’accepter [que les jeunes] soient réduits en esclavage en les obligeant pour des décennies à rembourser les emprunts qui ont été décidés le cœur léger par les générations précédentes »[1]. Il reprend ici son rôle favori, celui de pourfendeur de la dette qui va anéantir le pays et notre avenir, tout en oubliant de reconnaître que ce sont les politiques néolibérales, et en particulier celles menées par les gouvernements d’Emmanuel Macron qui nous ont conduit là. Et sa défense des jeunes générations est totalement hypocrite car il ne s'inquiète pas des effets de son inaction climatique sur notre avenir. Comme le débat à propos de la dette publique (re)commence à agiter les esprits, tentons de faire œuvre d’un peu de pédagogie sur le sujet.
La dette publique : de quoi parle-t-on ?
La dette publique désigne la dette des administrations publiques, elles-mêmes définies comme le regroupement des administrations publiques centrales (qui rassemblent l’État et les organismes divers d’administration centrale (ODAC) – qui comprennent par exemple les universités, Météo France, France travail, les musées, etc.), des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales.
La dette de l’État dans son acception la plus stricte (État central et ODAC) concentre environ 83% de la dette publique, tandis que les administrations de sécurité sociale et les administrations publiques locales représentent respectivement 9% et 8% de la dette publique totale.
Au premier trimestre 2025, la dette publique s’établit à 3 345,8 Md€, soit 114% du PIB. Les créanciers sont des banques, des assurances ou encore des fonds d’investissement. Au premier trimestre 2025, 54,7% de la dette publique française est détenue par des non-résidents, 9,8% par des compagnies d’assurances françaises, 9,8% par des établissements de crédits français, 1,7% par des OPCVM françaises (Sicav et fonds communs de placement), et 24% par d’autres détenteurs français (en particulier la Banque de France).
Conséquence de la libéralisation financière et des traités européens, l’État ne peut plus s’adresser directement à la banque centrale et doit se financer en émettant des titres sur les marchés financiers. Pour se financer à court terme (donc pour une durée inférieure ou égale à un an), l’État émet, par l’intermédiaire de l’agence France Trésor (AFT), des bons du Trésor à taux fixe (BTF). Les durées les plus fréquentes sont 13, 26 et 52 semaines. Pour se financer à moyen et long terme, il émet des obligations assimilables du Trésor (OAT), de maturité comprise entre 2 à 50 ans, dont environ 10% sont indexées sur l’inflation.
En utilisant de nouvelles séries historiques, une étude menée sur longue période par l’institut Avant-garde montre que le niveau de la dette publique française est loin des niveaux records atteints dans le passé (voir graphique ci-dessous)[2]. On constate toutefois que c’est depuis la mise en œuvre de la libéralisation financière que le poids de la dette augmente (le ratio dette publique/PIB était de 20% en 1980, quand l’État se finançait essentiellement hors marché).

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Le service de la dette, c’est-à-dire le paiement des intérêts sur la dette publique, se situe quant à lui à des niveaux historiquement bas (voir graphique ci-dessous où il est exprimé en pourcentage des dépenses publiques).

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Pourquoi l’État s’endette-t-il ?
L’État dispose de deux instruments pour financer ses politiques publiques : les prélèvements obligatoires et l’emprunt. Il y a, dans une certaine mesure, un arbitrage à faire entre ces deux formes de financement. Financer l’État par les prélèvements obligatoires (via l’impôt ou les cotisations sociales) suppose que chacun soit mis à contribution. Financer l’État par l’endettement permet aux créanciers de celui-ci, donc aux agents économiques les plus fortunés (entreprises ou ménages), d’être rémunérés pour leur contribution. Dans le premier cas, cela coûte à tout le monde. Dans le second, cela apporte des revenus aux créanciers, ce qui permet de comprendre la volonté souvent affichée des classes sociales les plus aisées de réduire les prélèvements obligatoires : de leur point de vue, il vaut mieux financer l’État à l’aide de titres de dettes sur lesquels ils peuvent percevoir une rémunération qui, quoique faible ces dernières années, demeure relativement sûre pour la dette publique française, plutôt que d’être taxés.
Emprunter aux riches plutôt que les taxer, c’est le choix politique qui a été fait ces dernières années, tant du point de vue de la gestion de la dette publique que de la structuration du système fiscal. Ainsi, la situation que déplore François Bayrou est largement due aux décisions prise par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, qui ont conduit à réduire la progressivité du système fiscal, voire à supprimer certains impôts touchant spécifiquement les classes sociales les plus favorisées (comme l’ISF) et à privilégier le recours à l’emprunt. Outre que cela accroît les inégalités, c’est le pouvoir des créanciers qui se trouve ainsi renforcé, faisant de la dette un potentiel outil de domination, a fortiori lorsque les créanciers sont des non-résidents.
Ainsi, et contrairement à ce qui est très souvent avancé, ce sont bien les gouvernements de droite qui, en s’inscrivant ouvertement dans une logique néolibérale de baisse de la fiscalité, creusent le déficit public. Plutôt que de taxer les classes sociales les plus aisées et les grandes entreprises, les gouvernements de droite les favorisent deux fois : une fois par la baisse de leur fiscalité ; une autre fois en s’endettant auprès d’elles. C’est particulièrement vrai sur les trente dernières années. Entre 1997 et 2002 (gouvernement Jospin) le déficit public est passé de 3,9% du PIB fin 1996 à 1,4% fin 2001. Il s’est ensuite aggravé sous le second mandat de Jacques Chirac (2,7% fin 2006) ainsi que sous la présidence de Nicolas Sarkozy (5,3% fin 2011). Il s’est réduit sous le mandat de François Hollande (3,8% fin 2016). Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la situation s’est de nouveau dégradée (5,8% fin 2024).
Officiellement, l’État s’endette pour investir, et c’est souhaitable. Financer la bifurcation écologique de nos économies suppose d’investir des centaines de milliards d’euros, ce que le secteur privé seul n’est pas en mesure de faire. Au vu des montants en jeu, l’État ne peut non plus engager des investissements massifs en jouant seulement sur ses recettes fiscales. Il est donc obligé d’emprunter. Et soyons très clair, l’endettement n’est ni bon ni mauvais par définition, tout dépend de sa finalité. S’il prépare l’avenir en finançant des investissements productifs, il n’est pas un problème. En revanche, s’il a pour objectif, comme c’est le cas actuellement, de financer les cadeaux fiscaux accordés depuis 2017, il porte un risque.
François Bayrou explique aussi que le poids de la dette serait dû aux retraités, et donc plus largement à notre système de protection sociale. Cependant, nous avons pu montrer (voir graphique 3) que, excepté entre 1993 et 1995 – période marquée par un fort ralentissement économique –, immédiatement après la crise des subprimes de 2007-2008 et à la suite de la crise sanitaire et économique due au Covid-19, la France connaît un excédent budgétaire hors dépenses d’investissement. Cela signifie donc que le déficit public est en grande partie expliqué par les investissements publics, dont 60 % sont réalisés par les collectivités locales, les 40 % restant se partageant entre l’État central et les administrations de sécurité sociale. Il est donc faux d’affirmer que l’endettement est essentiellement dû aux dépenses de fonctionnement. Ajoutons que la frontière entre dépenses d’investissement et de fonctionnement est parfois ténue. Le salaire d’une infirmière ou d’un enseignant est compté comme une dépense de fonctionnement. Or les services qu’ils rendent participent à avoir une population en meilleure santé et mieux formée, gage d’une plus grande efficacité et de meilleures perspectives de développement économique, donc une forme d’investissement dans l’avenir.
Graphique 3. Évolution du solde budgétaire de la France hors dépenses d’investissement public, 1978-2022 (en % du PIB)

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Source : Les Économistes atterrés (Éric Berr, Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie, Alban Pellegris), La dette publique. Précis d’économie citoyenne, Paris, Seuil, Points économie, 2e édition, p.22.
On ne s’inquiète pas qu’une entreprise s’endette pour investir. Il n’y a donc pas lieu de reprocher à l’État de s’endetter si c’est pour financer des investissements productifs. Ce qui importe c’est que le poids de la dette publique reste soutenable. Et c’est précisément cette soutenabilité que Bayrou et ses prédécesseurs macronistes et affiliés ont mis en danger de par leurs choix politiques.
A quelles conditions la dette publique est-elle soutenable ?
Deux éléments sont à prendre en considération pour voir si la dette publique est soutenable (ce que l’on mesure habituellement, même si c’est critiquable[3], à partir du ratio dette publique/PIB). Le premier est la différence qui existe entre le taux d’intérêt réel i (c’est-à-dire la différence entre le taux d’intérêt nominal, celui auquel on emprunte, et le taux d’inflation) et le taux de croissance de l’économie g. Si le taux d’intérêt réel est inférieur au taux de croissance (i<g), le poids de la dette diminue. Dans le cas contraire (i>g), il augmente. Le second élément qui pèse sur la soutenabilité de la dette publique est le solde primaire, c’est-à-dire le solde budgétaire hors paiement des intérêts sur la dette.
La hausse des taux d’intérêt accroit le poids de la dette. A l’inverse, un taux d’inflation plus élevé, comme un taux de croissance en hausse, diminuent le poids de la dette. De même un solde primaire positif réduit le poids de la dette. C’est donc l’évolution de ces variables qu’il convient de surveiller pour s’assurer que la dette est soutenable.
Comme le montrent les graphiques 1 et 2, il n’y a pas de corrélation entre l’évolution du stock de la dette et du service de la dette. Ainsi, de 2010 à 2020, la charge d’intérêt a baissé de 20 Md€ alors que la dette a augmenté de 770 Md€ de fin 2009 à fin 2019. En 2024, la charge de la dette (c’est-à-dire le paiement des intérêts) s’est élevée à 58,4 Md€ (elle était de 52,7 Md€ en 2022 et de 38,1 Md€ en 2021[4]), soit 2% du PIB (contre 2% en 2022, et 1,5% en 2021).
Si l’on se place dans une perspective longue, la période actuelle est celle d’une combinaison inédite entre un service de la dette faible et une dette publique élevée, ce qui invalide l’idée que la France serait actuellement sur une trajectoire de dette insoutenable. L’institut Avant-garde rappelle que la France a connu en 1926 un moment où elle s’est rapprochée le plus d’une crise de la dette publique, même si elle n’a pas fait officiellement défaut. Cette année-là, la charge de la dette atteignait un pic, à 42 % des dépenses publiques totales. Nous en sommes loin actuellement puisque le niveau du service de la dette aujourd'hui est d’environ 3 % des dépenses publiques[5].
Nous ne sommes donc pas sur le point de basculer dans un scénario à la grecque ni à la veille de voir la mise sous tutelle de l’économie française par le FMI. La Grèce en 2015 n’avait plus accès au financement sur les marchés financiers. La dette publique française reste encore attractive (pour chaque échéance d'émission, il y a entre 2 et 3 fois plus de demandes que de titres émis). Les titres de dette français sont encore parmi les plus sûrs et les plus demandés.
Cela ne signifie cependant pas qu’il n’y a pas actuellement un problème. Mais ce problème est dû aux politiques menées par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron
La politique actuelle hypothèque l’avenir
La France a bénéficié pendant une partie des années 2010 et jusqu’au début des années 2020 de taux d’intérêt réels négatifs, ce qui signifie qu’au final l’État remboursait moins qu’il n’empruntait. Il aurait fallu en profiter pour lancer des programmes d’investissement public massifs, dans la bifurcation écologique mais aussi dans la reconstruction de nos services publics malmenés par les politiques néolibérales. Les gouvernements d’Emmanuel Macron ont plutôt choisi d’intensifier des politiques d’offre reposant sur la baisse des coûts de production, dont les conséquences ont été de comprimer la demande, ce qui a eu un effet négatif sur l’investissement. Les politiques macronistes ont ainsi miné la croissance tout en engendrant une crise politique aigüe (piétinement de l’esprit de nos institutions par le recours répété et abusif au « 49.3 », exercice solitaire et monarchique du pouvoir, criminalisation des mouvements sociaux, refus de reconnaître la victoire du Nouveau Front populaire (NFP) lors des élections législatives de 2024, etc.), donc une instabilité croissante et beaucoup d’incertitudes, ce qui est particulièrement néfaste pour l’activité économique. C’est précisément en raison du climat social conflictuel, engendré par les décisions du « Mozart de la finance » que l’agence de notation Fitch avait dégradé la note de la France en avril 2023[6]. Le résultat de tout cela est une perte de confiance dans les capacités de l’économie française, qui explique la remontée des taux d’intérêt sur la dette. Si l’on ajoute l’effet de la politique de la BCE qui a participé à la hausse des taux d’intérêt afin de lutter contre l’inflation, entrainant un ralentissement économique, la situation pourrait en effet devenir inquiétante si les orientations actuelles en matière de politiques économiques persistaient. Aujourd’hui, le taux des OAT à 10 ans est de 3,51% (28 août 2025), tandis que le taux d’inflation est égal à 1% (juillet 2025) et le taux de croissance s’est établi à 1,1% en 2024 (nous sommes donc revenus à une situation où i>g). Dans le même temps, le déficit primaire est d’environ 120 Md€.
Les dérapages récents des finances publiques sont essentiellement le fruit des choix politiques d’Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir en 2017, en particulier celui de réduire les recettes fiscales. La Cour des comptes estime à près de 40 Md€ la baisse des prélèvements obligatoires pour les années 2018-2019, auxquels s’ajoutent 25 Md€ entre 2019 et 2021[7]. C’est donc pas moins d’une soixantaine de milliards qui ont été accordés sous forme de cadeaux fiscaux, sans que cela n’ait d’impact sur la croissance. En 2022, la Cour soulignait « la nécessité de préserver les recettes des administrations publiques ». Cette petite phrase, issue du même rapport, indique qu’il faut cesser les baisses d’impôts. Voilà des pistes pour réduire le déficit public ! Rappelons à cet effet que l’Assemblée nationale avaient voté de nombreux amendements en 2024, permettant d’accroitre les recettes fiscales et de proposer un budget avec un déficit inférieur à 3% du PIB. Michel Barnier avait choisi le 4 décembre 2024 d’engager la responsabilité de son gouvernement afin de faire passer son budget initial par un « 49.3 », budget qui ambitionnait de réaliser 60 Md€ d’économies en 2025, soit une cure d’austérité sans précédent, et dont l’objectif était de ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025. Le résultat a été la censure.
François Bayrou s’inscrit dans les pas de Michel Barnier, même si sa cure d’austérité peut apparaître « moins violente », bien que ses mesures d’économies soient tout aussi injustes, si ce n’est plus. Mais la même logique est là. Or, vouloir réduire massivement et trop rapidement la dette publique a des effets récessifs certains, qui vont frapper les entreprises et les ménages. En effet, si l’État est endetté, c'est qu'il y a des créanciers (entreprises et ménages). Les dettes des uns sont donc les créances des autres. Cela ne veut pas dire, bien évidemment, qu'il faut laisser filer la dette.
Mais il y a d’autres moyens, de contrôler le poids de la dette. Par exemple, bâtir un pôle public bancaire permettrait à l’État, en obligeant les banques publiques à détenir un certain montant de dette publique, de s’affranchir en partie de la domination des marchés financiers tout en limitant la hausse du coût de ce financement. Engager une politique d’investissement public permettrait d’offrir, du fait de la hausse pérenne et prévisible de la commande publique, plus de visibilité et de stabilité aux entreprises privées, donc de restaurer leur confiance, ce qui est indispensable pour qu’à leur tour elles se mettent à investir et à embaucher, enclenchant ainsi un cercle économique vertueux. Bien évidemment une telle politique doit privilégier les productions non délocalisables afin de limiter les « fuites » vers les importations.
On peut ainsi rejoindre l’économiste Abba Lerner qui, en développant ce qu’il appelait la « finance fonctionnelle », considérait que l’État doit être au service de la prospérité économique. A cet effet, il doit fixer les dépenses publiques et les impôts au niveau qui permet d’atteindre le plein emploi sans inflation, sans (trop) se préoccuper de la position du solde budgétaire.
Aujourd’hui, l'endettement ne sert pas principalement à financer l'investissement productif, donc la création de richesse. Il finance au contraire largement les cadeaux fiscaux fait depuis 2017, essentiellement aux grandes entreprises et aux ménages les plus aisés, cadeaux qui plombent les finances publiques. Cet endettement-là est dangereux car il n'est pas créateur de richesse.
Agiter le chiffon rouge de la dette est aussi le moyen d’essayer de faire accepter que l’on aille encore plus loin dans la destruction de notre système de protection sociale. Les différentes réformes de l’assurance chômage comme la réforme des retraites de 2023 ont un double but. Tout d’abord, accroître la concurrence sur le marché de l’emploi, en obligeant les chômeurs à accepter des emplois moins payés et, en repoussant l’âge légal de départ à la retraite, d’augmenter le nombre de personnes sur le marché de l’emploi afin de faire pression à la baisse sur les salaires, donc sur le « coût » du travail. Ces réformes visent également à diminuer toujours plus les dépenses sociales afin de livrer des pans croissants de la protection sociale au privé.
La dette publique ne doit pas être gérée en « bon père de famille »
Un argument souvent avancé est que l’État, comme une entreprise ou un ménage, ne peut supporter durablement des déficits et doit rembourser ses dettes. Cette idée est clairement erronée, pour deux raisons. Tout d’abord, l’État a la particularité de disposer d’un horizon de vie infini. Ainsi, là où un individu ou une entreprise doit rembourser ses dettes avant de mourir ou de faire faillite, ce qui est une obligation morale et légale, l’État peut faire « rouler » sa dette, c’est-à-dire rembourser une dette ancienne par une nouvelle. Le principal problème qui se pose à lui est d’être en mesure de payer les intérêts sur ses dettes afin d’asseoir la confiance de ses créanciers qui lui renouvelleront ainsi plus facilement leur concours. Cela sera d’autant plus facile si la richesse créée dans l’économie est supérieure à la charge d’intérêts à rembourser ou, pour le dire autrement, si le taux de croissance est supérieur au taux d’intérêt réel sur la dette (i>g), condition nécessaire d’une dette soutenable.
D’autre part, l’État, via sa politique fiscale, est en mesure d’agir sur le montant de ses recettes et peut ainsi les fixer au niveau qu’il juge compatible avec son endettement, ce qu’un ménage ou une entreprise ne peuvent faire. C’est cette capacité à lever l’impôt qui fonde la capacité de l’État à s’endetter, montrant ainsi que la dette publique est aussi une question de répartition de la richesse produite.
L’État n’est donc ni une entreprise, ni un ménage, et ne doit pas être géré comme tel.
La dette publique n’est pas un fardeau pour les générations futures
Un autre argument avancé par François Bayrou, et repris tant par le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, que par le président du MEDEF, Patrick Martin, est qu’une dette publique trop importante représenterait un fardeau pour les générations futures.
Là encore, le raisonnement qui sous-tend une telle affirmation est biaisé puisqu’il consiste à envisager la dette publique uniquement comme un coût, ce qui conduit certains à affirmer, comme vient encore de le faire Patrick Martin, que chaque nouveau-né en France hériterait d’une dette de 50000 euros. C’est feindre de ne pas voir qu’en face de chaque dette (le passif) il y a un actif. Si on intègre les actifs financiers (actions d’entreprises) et réels (bâtiments, routes, etc.) de l’État, nous ne laissons pas une dette à nos enfants mais bien un patrimoine public d’environ 5500 euros par individu, sans oublier les droits que l’État leur apportera en termes d’accès à la santé, à l’éducation ou encore à la protection sociale. Plus généralement, ils bénéficieront des investissements rendus possibles par ces emprunts. Dire cela ne signifie bien évidemment pas que le patrimoine public doit servir à rembourser la dette, mais que cette dette a produit des résultats (on peut bien sûr discuter de la pertinence et de l’efficacité de ces réalisations, mais c’est un autre débat). Sachant que ce patrimoine public par habitant était de 17000 euros en 2007, ce sont bel et bien les politiques d’austérité et de privatisation de l’État français qui constituent un fardeau pour les générations futures.
Loin des caricatures, la dette publique permet, en soutenant la demande à court terme, de limiter les effets récessifs de la crise et peut plus rapidement favoriser la reprise de l’activité économique. En finançant les infrastructures et les services publics sur le long terme, elle participe à l’amélioration du bien-être collectif. Dès lors, un déficit public bien utilisé prépare l’avenir car seule la collectivité peut prendre en charge les investissements massifs dont nous avons besoin. En réalité, ce n’est donc pas tant le niveau de la dette qui pose problème que son coût et son utilisation.
Enfin, sachant que la durée de vie moyenne de la dette publique française est de 8 ans, la dette n’est pas tant un problème pour les générations futures qu’une question de répartition de la richesse.
[1] Phrase prononcée pendant son discours lors des universités du MEDEF, le 28 août 2025.
[2] Juliette de Pierrebourg, Éric Monnet et Clara Leonard, « Nouvelles séries historiques sur la dette française : une mise en perspective inédite », Institut Avant-garde, https://www.institutavantgarde.fr/wp-content/uploads/2025/07/Institut-Avant-garde_Nouvelles-series-sur-la-dette-francaise.pdf. Les deux premiers graphiques sont tirés de cette note.
[3] Pour une analyse critique de l’utilisation du ratio dette publique/PIB, voir Les Économistes atterrés (Éric Berr, Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie, Alban Pellegris), La dette publique. Précis d’économie citoyenne, Paris, Seuil, Points économie, 2e édition, chapitre 5.
[4] La hausse importante de la charge d’intérêts entre 2021 et 2022 s’explique très largement par l’émission de titres de dette indexés sur l’inflation (OATi et OAT€i), qui représentent environ 10% des titres émis. En 2022, ces titres ont causé un surcoût de 13,5 Md€ de remboursement d’intérêts (+16 Md€ dus à la hausse de l’inflation ; +2,5 milliards si ces titres avaient été émis à taux fixe). https://www.liberation.fr/economie/les-10-de-dette-a-taux-variable-de-letat-francais-ont-represente-42-de-ses-interets-en-2022-20230605_DKCJQKJPXJGHTCF7FYQDHMH3HI/.
[5] Juliette de Pierrebourg, Éric Monnet et Clara Leonard, « Nouvelles séries historiques sur la dette française : une mise en perspective inédite », Institut Avant-garde.
[6] Voir Eric Berr, Anne-Laure Delatte et Benjamin Lemoine, « Le projet budgétaire du gouvernement français est inutile, dangereux et injuste », Le Monde, 5 mai 2023. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/05/le-projet-budgetaire-du-gouvernement-francais-est-inutile-dangereux-et-injuste_6172192_3232.html?search-type=classic&ise_click_rank=1.
[7] Cour des comptes, « La situation et les perspectives des finances publiques », juillet 2022, p.25 et p.35.