Ah bon, ceux qui polluent ne sont pas contrôlés alors ?
C'est le cri du cœur de notre alternante au moment du départ hier de la contrôleuse Ecocert de notre siège social de Biovie qui m'a conduit à écrire ce billet.
Comment en sommes nous arrivés là ?
Petit historique militant de l'apparition du bio en France.
Pendant la seconde guerre mondiale, la France a produit pour des usages militaires de la poudre à canon et des explosifs de façon industrielle pendant des années, en ayant recours à un composé chimique essentiel, l'azote.
A la sortie du conflit armé, notre pays s'est retrouvé à la tête d'un stock considérable d'azote dont il a fallu trouver un usage, la production d'explosifs ayant cessé. Les scientifiques et les industriels ont cherché des moyens de réutiliser cet azote. S'en débarrasser dans les champs en vendant l'idée miracle des engrais azotés est alors apparue comme étant l'idée du siècle pour vendre cet azote dont on ne savait que faire.

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Je n'étais pas né à l'époque, je ne se sais donc pas comment les industriels s'y sont pris.
Toujours est il que les agriculteurs ont massivement adhéré à cette idée révolutionnaire reprise en cœur dans les lycées agricoles, idée présentée à l'époque comme une innovation scientifique et une avancée majeure pour produire des aliments en masse et pour éloigner le spectre de la famine dans cette période de reconstruction du pays après guerre.
Idée, mais idée à court terme. Parce que ce que les industriels de l'époque ont oublié d'expliquer aux agriculteurs, c'est qu'en boostant artificiellement la croissance des plantes et végétaux, cela allait les fragiliser et les rendre beaucoup plus sensibles aux maladies et aux ravageurs.
Qu'à cela ne tienne, l'industrie naissante allait de concert leur proposer des produits chimiques pour les aider à lutter contre ces maladies et ces ravageurs de récoltes. Et tout ça sans aucune conscience de l'impact sur la santé et sur l'environnement de ces nouveaux produits. La fuite en avant, comme notre société en a la mauvaise habitude. On combat le problème par des solutions artificielles sans chercher à résoudre la cause.
C'est dans ce contexte d'industrialisation de notre agriculture "moderne' qu'est apparu le premier label biologique privé en 1964, Nature et Progrès.
Premier label bio en 1964
Ce tout premier label avait pour objectif de distinguer les produits issus de l'agriculture biologique qui n'utilisait pas les produits chimiques de ceux de l'agriculture conventionnelle lancée à fond vers le productivisme forcené.
Des fruits, légumes, céréales, oléagineux produits sans herbicides de surface ou systémiques (dans la sève), fongicides, raccourcisseurs de paille, engrais...
A l'époque, comme la création du premier label bio s'est faite en réaction à l'agriculture industrielle, tous les agriculteurs fondateurs de ce label étaient aussi de vrais militants convaincus, engagés, et ardents défenseurs d'une agriculture plus respectueuse des hommes et de la terre.
Les premières normes de l'agriculture bio ont été élaborées collectivement par les agriculteurs eux-mêmes et les premiers consommateurs. Les agriculteurs adhéraient volontairement à ces normes, par conviction personnelle et engagement envers les principes du bio plus que par obligation réglementaire imposée de l'extérieur. Ces premiers agriculteurs procédaient souvent à une autoévaluation de leurs pratiques, en se basant sur les normes établies collectivement par le groupe. Il y avait des échanges réguliers et des visites entre agriculteurs membres de Nature & Progrès, permettant un contrôle mutuel et un partage de connaissances.
Nature & Progrès s'est alors mis à organiser des formations et des ateliers former les agriculteurs sur les pratiques biologiques et durables. Le mouvement s'efforçait aussi de diffuser des informations et des connaissances sur les avantages de l'agriculture biologique auprès du grand public.

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Claude Aubert, jeune ingénieur agronome, a alors continué à militer pour "Nature et Progrès" après le décès de ses fondateurs en 1970. Parallèlement, René Dumont, agronome devenu le premier candidat écologiste aux élections présidentielles françaises en 1974, a réorienté sa carrière. Après avoir initialement promu l'agriculture industrielle à l'américaine pour soit disant combattre la faim et les inégalités, il a remis en question ce modèle productiviste au début des années 1970. Il a alors politisé son engagement pour l'écologie, notamment en publiant "L'utopie ou la mort" en 1973.
En 1980, la loi d'orientation agricole a officiellement reconnu le label "agriculture biologique". L'agriculture bio était née.
Le bio décolle
Avec la prise de conscience croissante des personnes des enjeux environnementaux et sanitaires, la demande pour des produits biologiques a commencé à augmenter en France. Les scandales agricoles (dans les années 1970 scandale de la chlordécone aux Antilles françaises utilisé principalement dans les plantations de bananes par exemple) ont amené à la croissance de la bio qui a dû se professionnaliser. On s'est alors éloigné du modèle artisanal du style Nature et Progrès ou Demeter, basé sur le volontariat, l'engagement et la motivation idéologique louable vers un modèle plus organisé avec un cahier des charges et des obligations de moyens.
Et c'est là que c'est parti en sucette, en live total. C'est à ce moment là que les pouvoirs publics auraient dû faire preuve de courage devant le lobbysme des industriels de l'agriculture chimique. C'est à ce moment là qu'il aurait fallu remettre les choses à l'endroit : taxer les engrais, pesticides, fongicides...etc pour les dommages incommensurables qu'ils font payer à notre santé et à celle de la Terre, dommages et dégâts que nous devons TOUS payer au prix fort à travers nos cotisations sociales et nos impôts. Il aurait aussi fallu prendre à ce moment là en charge collectivement les coûts de certification et de contrôle du bio : agriculteurs, transformateurs, opérateurs bio !

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Mais non, on roule au carburant du court terme, sous influence des lobbys industriels et les fédérations ou interprofessions agricoles, mastodontes économiques surpuissants qui dictent à nos politiques la bienséance.
Le bio reste plus cher pour les consommateurs, et le non bio n'est soumis à aucun contrôle ou presque. Polluez, et circulez il y n'y a rien à voir.
Injustice sanitaire et environnementale
Un contrôle bio, c'est long, laborieux à préparer, stressant, pénible. Tout notre comptabilité est épluchée, les étiquettes vérifiées recto verso à la loupe, les factures de ventes et d'achat contrôlées dans leur vocabulaire comme une dictée d'une maitresse de CM2, les stocks suivis à la trace, les sorties, les entrées mesurées, le stockage analysé, les échantillons prélevés. Bref, tout, tout tout est analysé et disséqué sur place, au siège dans nos entrepôts, et dans des laboratoires indépendants lorsque des échantillons sont prélevés.
Pour nous qui faisons de l'importation, nous avons droit en plus à deux fois plus de contrôles que les autres.
Et une facture de contrôle deux fois plus salée.
Alors bien sûr c'est une très bonne chose sur le fond, la qualité est au rendez vous, c'est extrêmement sérieux, tout est vérifié dans les moindres détails et nos clients peuvent avoir confiance en nous.
Je suis quelque part fier et heureux que notre sérieux soit vérifié de la sorte.
Mais une fantastique injustice demeure toutes ces dépenses en temps humain passé à être bien plus rigoureux que la moyenne, à trier tous ces papiers, à tout ranger comme il faut exactement à l'entrepôt, à préparer, organiser et subir ces contrôles, tout ça fait que les produits bio sont plus chers que les produits classiques. En effet ces contrôles sont payants et nous coutent en temps.
Le bon sens voudrait que l'état, le conseil régional, le conseil général, ou qui sais-je, prenne à minima en charge nos factures de certification de plusieurs milliers d'euros par an.
Pour ce qui est de nous défrayer de tout le temps passé sur une gestion administrative et documentaire irréprochable, on peut toujours rêver à moyen terme !
Voilà, j'espère qu'un jour les pouvoirs publics se saisiront un jour de cette réalité avant qu'on ait atteint un niveau de pollution insupportable ou avant que le nombre de personnes malades dépasse le nombre de personnes valides...
Pour que les entreprises et sociétés qui polluent soient mises devant les conséquences de leurs actes et celles qui produisent, transforment et distribuent sans polluer soient récompensées.
Eric Viard