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Billet de blog 22 décembre 2025

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Loup végétarien : un milliard de vues pour une publicité, et après ?

Avec leur spot du loup végétarien sur la chanson de Claude François « Le Mal-Aimé », la grande distribution française vient de réaliser ce qu'aucune campagne institutionnelle n'avait réussi en des décennies : rendre visible, avec humour et tendresse, la difficulté réelle des personnes végétariennes et véganes pendant les fêtes de fin d'année. Un milliard de vues, et après ?

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Avec leur spot du loup végétarien sur la chanson de Claude François "Le Mal-Aimé", la grande distribution française vient de réaliser ce qu'aucune campagne institutionnelle n'avait réussi en des décennies : rendre visible, avec humour et tendresse, la difficulté réelle des personnes végétariennes et véganes pendant les fêtes de fin d'année.
Un milliard de vues, et après ?

Un milliard de vues. Vous avez bien lu. Un milliard. Probablement davantage maintenant que vous lisez ces lignes. C'est plus que toutes les campagnes "Manger 5 fruits et légumes par jour" cumulées depuis leur lancement. Plus que toutes les actions de sensibilisation à l'alimentation végétale financées par l'État français ces dernières années.

Intermarché - Le Mal Aimé © Romance Agency

Comment en sommes-nous arrivés là ?

En réalité, Intermarché a simplement eu le courage de montrer ce que des millions de personnes vivent chaque année en décembre. Cette sensation d'être "le mal-aimé" de la table au milieu d'un tsunami de produits animaux. Le foie gras, la dinde, les fruits de mer... Et vous, là, avec votre petite assiette de légumes qu'on vous a préparée "spécialement" parce que vous êtes "difficile". Et dans ces repas, il arrive que les membres de la famille semblent prêts à se transformer en Mr Smith de Matrix pour défendre corps et âme la bienscéance normative en place plutôt que d'écorner les croyances qu'ils ont adopté inconsciemment depuis des décennies.

Le témoignage d'un Chef français qui résonne

Le célèbre Chef étoilé Alexis Gauthier, cuisinier français installé à Londres et converti au véganisme, vient de publier un témoignage poignant sur ce sujet. Lors d'un repas de Noël en famille près d'Avignon, il raconte comment il s'est retrouvé pointé du doigt dès son arrivée au restaurant : "C'est lui le végétarien." Pas de menu à choisir pour lui. Un traitement à part à chaque service. Et les questions interminables : "Rappelle-moi, tu manges du homard quand même ?"

Illustration 2
Alexis Gaultier © Alexis Gaultier


Ce qui m'a le plus frappé dans son récit, c'est cette phrase : quelqu'un lui a dit récemment qu'être végétarien dans l'Amérique des années 1960 était perçu presque comme être communiste. Il a parfaitement compris ce que cela signifiait.

Et pendant qu'il mangeait son plat végétal, les deux personnes à côté de lui ont passé tout le repas à discuter de leurs recettes de foie gras pour Noël.

Son constat est lucide : "J'ai parcouru 1000 km pour vous voir. Je ne pensais pas devoir aussi remonter 100 ans dans le temps."

Une question d'intégration sociale, pas juste d'alimentation

Franchement, ce que cette publicité a révélé dépasse largement les frontières françaises. Elle a touché l'Europe entière, l'Amérique du Nord, et bien au-delà. Parce qu'elle met le doigt sur quelque chose d'universel : la difficulté d'être différent au sein même de sa propre famille.

Le Chef Gauthier le dit très justement : être le seul couple homosexuel avec deux enfants dans sa famille a finalement été plus simple à faire accepter que son véganisme. Rien n'a été dit, rien n'a été jugé, c'est devenu normal. Mais refuser de manger des animaux ? Cela semble être perçu comme "aller trop loin".

Concrètement, les végétariens et véganes font face chaque décembre à une épreuve sociale que beaucoup sous-estiment. Ce n'est pas du caprice. Ce n'est pas un "luxe fantaisiste" comme certains le pensent. C'est un choix éthique profond qui se heurte à des siècles de traditions culinaires.

L'impact réel d'une publicité versus les campagnes institutionnelles

Ce qui me frappe, c'est l'efficacité redoutable de cette approche. Une enseigne de grande distribution, avec une histoire simple et touchante, a réussi en quelques semaines ce que des années de communication gouvernementale n'ont jamais atteint : créer de l'empathie.

Les campagnes institutionnelles parlent de nutrition, de santé, de chiffres. Elles s'adressent au cerveau rationnel. Cette publicité, elle, parle au cœur. Elle montre un loup seul avec sa salade pendant que les autres loups dévorent leur gibier. Pas de leçon de morale. Pas de culpabilisation. Juste une émotion universelle : celle de ne pas être comme les autres.

Et puis il y a ce choix musical génial. "Le Mal-Aimé" de Claude François. Tout le monde connaît. Tout le monde peut s'identifier. La mélancolie de se sentir à part, même au milieu de ceux qu'on aime.

Vers une société plus inclusive à table ?

Avec Aurélie, nous côtoyons depuis près de 20 ans des personnes qui ont fait le choix d'une alimentation végétale. Nous voyons bien que les mentalités évoluent, lentement mais sûrement. Les restaurants proposent de plus en plus d'options. Les supermarchés élargissent leurs rayons. Mais les réunions familiales restent souvent le dernier bastion de résistance.

Cette publicité ouvre peut-être une porte. Elle donne aux végétariens une référence culturelle partagée pour expliquer ce qu'ils vivent. "Tu as vu la pub du loup ? Ben voilà, c'est exactement ça."

Le débat est ouvert, et c'est une excellente chose. Ce qui me rend optimiste, c'est que cette conversation n'est plus marginale. Elle est devenue mainstream. Un milliard de personnes ont regardé ce loup végétarien. Un milliard de personnes ont peut-être, l'espace de deux minutes trente, ressenti ce que c'est d'être différent.

Espérons que dans 20 ans, proposer un menu végétal à un repas de famille ne sera plus perçu comme une "complication" mais simplement comme une évidence. Comme accueillir quelqu'un qui ne boit pas d'alcool ou qui a une allergie.

En attendant, bravo à Intermarché d'avoir osé. Et merci au Chef Gauthier de témoigner avec autant de sincérité de ce que vivent des millions de personnes chaque fin d'année.

Voilà, parfois il suffit d'une publicité pour faire bouger les lignes. Qui l'eût cru ?

Eric Viard

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