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Billet de blog 4 février 2011

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Penser l’échec de la xénophobie politique

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Sommes-nous condamnés à la xénophobie ? On pourrait le croire, tant semble se déployer inexorablement la logique politique qui définit l’immigration comme un problème. Cette évidence trompeuse s’est imposée dès les années 1980, avec le Front national : on ne rejetait ses réponses que pour mieux adopter ses questions. Elle a ensuite gagné en force dans les années 2000, pour s’emballer après les violences urbaines de 2005 et surtout depuis l’élection présidentielle de 2007. Pire : elle s’est répandue dans le monde après le 11 septembre, et plus encore, depuis la crise financière de 2008. C’est particulièrement vrai dans une Europe qui s’était pourtant construite, après la Deuxième Guerre mondiale, sur le refus du racisme. Ici et là, les repentis de la tolérance s’inquiètent du défaut d’assimilation d’étrangers éternellement renvoyés à leurs origines.

Et si, refusant le désespoir du fatalisme, soit la faiblesse qui fait la force de la mécanique xénophobe, on s’employait à penser les conditions qui, un jour ou l’autre, feront nécessairement basculer de l’inéluctable au résistible ? C’est dans les séquences récentes les plus sombres qu’on en trouvera paradoxalement le point de départ. Il est vrai que le « grand débat » sur l’identité nationale, à l’automne 2009, aura été un grand déballage dont les immigrés et leurs descendants ont fait les frais. Et la surenchère sécuritaire, depuis l’été 2010, est encore plus inquiétante : Français ou non, immigrés ou pas, les Noirs, les Maghrébins, les musulmans, les Roms et autres gens du voyage en sont encore et toujours les boucs émissaires.

Il n’empêche : cette stratégie politique a échoué. Nos dirigeants ont beau occuper les médias et orienter les sondages, il n’en reste pas moins que la cote de popularité de Nicolas Sarkozy descend, aussi inexorablement que monte sa politique de stigmatisation discriminatoire. La disparition du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, à l’automne 2010, montre que pour les gouvernants eux-mêmes, cet affichage symbolique ne paraît plus payant. Sans doute la xénophobie politique ne va-t-elle pas s’arrêter là ; mais c’est seulement à défaut de projet alternatif que le gouvernement poursuivra sur sa lancée, un peu comme la volaille dont on a coupé la tête n’en continue pas moins sa course.

Commençons donc à penser, sans attendre davantage, l’échec de la xénophobie politique – un peu à la manière d’Olivier Roy analysant dès 1992 l’échec de l’islam politique. Pour critiquer la politique d’immigration, il faut d’abord renoncer à lui reprocher sa démagogie : en effet, la xénophobie de gouvernement ne paie plus ; elle se veut certes démagogique, mais elle ne parvient plus à l’être. Il ne faut pas se laisser abuser par le langage : il ne suffit pas de se dire populiste pour représenter le peuple, ou les classes populaires ; et le « réalisme » n’a pas forcément grand rapport avec la réalité. C’est donc par pragmatisme qu’il convient d’en prendre acte : la démagogie n’est plus ce qu’elle était. L’électoralisme le plus cynique invite aujourd’hui l’opposition à se démarquer de la xénophobie.

Sans doute l’opinion est-elle volage : elle est susceptible, demain, d’un nouveau revirement. C’est pourquoi il importe de conforter la nouvelle démagogie anti-xénophobe en ouvrant le vote aux étrangers. Hier encore, l’annoncer faisait le jeu du Front national ; demain, la mettre en œuvre sera le meilleur moyen de barrer la route, durablement, à son idéologie. La xénophobie sera d’autant moins payante, électoralement, que les étrangers voteront. Peut-être d’ailleurs verra-t-on alors se constituer un front antiraciste, où se retrouveraient, avec des Français d’origine étrangère (ou pas), de nombreux immigrés – un peu comme outre-Atlantique, manifestaient ensemble en 2006 les Latinos, immigrés légaux ou sans-papiers, naturalisés ou étatsuniens de naissance.

Demain, les questions qui nous agitent depuis une génération paraîtront incompréhensibles. Il est temps d’imaginer un monde où l’immigration ne sera plus un « problème ». Sans doute fera-t-elle toujours l’objet d’une politique : on discutera de ses chiffres comme des taux d’imposition, du nombre de fonctionnaires, ou du budget de la Défense, sans en faire un enjeu d’identité nationale. En revanche, on se penchera avec une passion incrédule sur l’époque qui s’achève, pour comprendre l’égarement de la France et de l’Europe des Droits de l’homme. Comment avons-nous pu ainsi rejouer les années 1930, au mépris des leçons du passé ? On se le demandera sans nul doute en 2030 – mieux : on nous le demandera. Nous aurons à rendre des comptes de notre aveuglement : comment avons-nous pu prendre la xénophobie pour une fatalité inscrite dans la nature du peuple, et non pour la négation de la démocratie ?

Ce texte vient de paraître dans Le Snesup, mensuel du syndicat national de l’enseignement supérieur, dossier « Xénophobie », n°591, janvier 2011.

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