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Billet de blog 7 mars 2010

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8 mars : Louis Nicollin, ou l’insulteur du genre humain

Louis Nicollin, c'est un peu comme Un prophète, à la dernière cérémonie des Césars, ou Benjamin Biolay aux récentes Victoires de la musique : il est bien parti pour rafler de multiples récompenses. Pour fêter le 8 mars, il vient d'être élu Macho de l'année par les Chiennes de garde, pour cette phrase prononcée le 2 novembre 2009: « On peut se parler, se dire les choses. On est des hommes, pas des gonzesses. »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Louis Nicollin, c'est un peu comme Un prophète, à la dernière cérémonie des Césars, ou Benjamin Biolay aux récentes Victoires de la musique : il est bien parti pour rafler de multiples récompenses. Pour fêter le 8 mars, il vient d'être élu Macho de l'année par les Chiennes de garde, pour cette phrase prononcée le 2 novembre 2009: « On peut se parler, se dire les choses. On est des hommes, pas des gonzesses. » En 2000, le président du club de football de Montpellier avait dû s’excuser auprès de cette association féministe après une déclaration où perçait déjà son style : « si on se marie, […], il ne faut pas que ce soit une connasse. Les connasses, on les tire avant et l’on s’amuse avec. Comme il y a plus de connasses que d’intelligentes, il faut faire un choix... »

Ce qui fait tout le prix de la citation aujourd’hui incriminée, c’est que Loulou (surnom qu’affectionnent les médias) tâchait ainsi de répondre aux accusations d’homophobie. En effet, le 31 octobre, il avait traité le capitaine de l’équipe d’Auxerre, Benoît Pedretti, de « petite tarlouze ». Il est vrai qu’au palmarès de l’homophobie, l’homme d’affaires était bien parti. Deux mois plus tôt, le 30 août 2009, il avait déclaré, à propos des supporters niçois : « Ils m’ont fait rire à nous dire qu’on était des suceurs de Marseillais. Mais on n’a jamais sucé les Marseillais. D’ailleurs, si on peut les niquer le 19 septembre, je serai heureux ».

Bien entendu, Louis Nicollin, décrit par L’Express comme le « fruit d’un étrange mariage entre Michel Audiard et Jean-Marie Bigard », n’est pas le seul à marier dans ses propos le sexisme et l’homophobie. Ainsi, David Douillet a revendiqué dans ses mémoires sa « misogynie rationnelle », fondée sur la nature (maternelle) des femmes. « On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes ! » Pour récuser tout soupçon d’homophobie, il précisera qu’il songeait aux « hommes qui ne s’assument pas ». Mais c’était en 1998. Aujourd’hui, devenu homme politique, l’ancien champion de judo garde pour lui de telles considérations, désormais incompatibles, Michel Feher l’a souligné, avec les valeurs censées justifier la politique d’identité nationale.

Louis Nicollin déplore cette évolution : en France, « c’est affreux, on peut plus rien dire ». Pour sa part, à rebours des modes, il reste fidèle à son image « vieille France », à la manière des Grosses têtes de Philippe Bouvard. En revanche, s’il est également engagé dans les insultes sexistes et homophobes, on pourrait craindre que ce ne fût au détriment d’une troisième catégorie, qu’il semblait délaisser : le racisme. Le 17 juin 2009, s’opposant à la diffusion dans les stades d’un clip contre l’homophobie, il déclarait même : « Un clip sur le racisme, je suis prêt à le passer dès demain matin. Mais sur l’homophobie… Après ce sera quoi ? Les femmes battues ? » Sans doute se voulait-il conciliant : « Si la mairie me demande de le passer, je le ferai. Mais je préférerais montrer des filles à poil… » Autrement dit, les plaisanteries homophobes ou sexistes sont bienvenues, mais les propos racistes ne seraient pas de bonne compagnie.

On peut toutefois rassurer ses fans : même en matière de racisme, Louis Nicollin ne cède nullement aux facilités du « politiquement correct ». De fait, il s’identifie volontiers à Georges Frêche. Quand celui-ci évoque la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius, Loulou tient à marquer son approbation : « c’est vrai qu’il a une gueule de con, Fabius ». Et de revenir sur son leitmotiv : « Pauvre France, dans ce pays on ne peut plus rien dire... » On ne s’en étonnera pas, malgré leurs divergences politiques, son vote est donc acquis au controversé président de la région Languedoc-Roussillon : « Mon père doit se retourner dans sa tombe mais, quand c’est lui, je vote à gauche. Sinon, je suis de droite. »

Le président du club montpelliérain vole d’ailleurs au secours de Georges Frêche sur le terrain du football : « Il a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ce n’est pas comme ça qu’on dit ?... Qu’est-ce qu’il a dit au juste déjà ?... Qu’il y avait trop de Noirs, c’est ça ?... Ah oui, c’est grave. Et eux, si tu vas jouer dans je ne sais pas quelle équipe et qu’il y a que des Blancs, ils vont dire ‘y a trop de Blancs !’ » Le pays des Noirs auquel songe le « Georges Frêche du football » n’est pas précisé, mais la conclusion est claire: « Ils sont plus racistes que nous. » Et de conclure, entre Blancs connaisseurs : « On sait les gens qui sont ou ne sont pas racistes, Frêche n’est pas raciste. » À l’instar du héros de l’Hérault, Loulou n’a manifestement pas renoncé à concourir pour les Y’a Bon Awards.

Osera-t-on l’avouer ? On ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine reconnaissance pour Louis Nicollin. En effet, celui-ci travaille avec abnégation à préserver un monde confortable, dans lequel peuvent se retrouver, réunis contre lui en pleine harmonie, les militants et militantes des combats féministes, homosexuels et antiracistes. On ressent le même soulagement, à l’entendre, qu’à lire le tombereau de courrier ordurier qu’a reçu Noël Mamère après avoir célébré le mariage de deux hommes à Bègles, en 2004 : l’homophobie y faisait bon ménage avec le sexisme, le racisme et l’antisémitisme. Autrement dit, tout le ressentiment antidémocratique d’un côté, tous les espoirs démocratiques de l’autre.

Hélas, l’engagement politique n’est pas toujours si simple. Songeons par exemple aux tensions entre deux causes, la lutte contre l’homophobie et celle contre le racisme, qui se sont fait jour en octobre 2009 quand le Créteil Bébel a justifié son refus de jouer contre Paris Foot Gay « par rapport au nom de votre équipe et conformément aux principes de notre équipe, qui est une équipe de musulmans pratiquants ». Comment condamner l’homophobie, quand elle se réclame de l’islam, sans pour autant rejoindre le concert d’islamophobie qui envahit le débat public ? Par contraste, c’est ce qui fait le charme nostalgique de Louis Nicollin : il n’appelle pas aux exigences de la complexité. Bien au contraire, il se sacrifie avec bonne humeur pour que nous puissions croire encore en un monde sans cruels dilemmes ni alternatives déchirantes, où les bonnes causes sont toutes d’un côté, et toutes les mauvaises de l’autre.

En effet, ses provocations n’ont rien de discriminatoire. Être macho n’a rien d’exclusif, il le prouve par son exemple. Cela n’empêche pas d’insulter les homosexuels et les Noirs ; et pourquoi pas tel ou tel groupe « pas catholique » ? Aux États-Unis, on a forgé la catégorie du harceleur « non discriminatoire » (equal opportunity harasser), qui s’en prend également aux deux sexes. En France, on dira plutôt que Louis Nicollin, c’est l’insulteur du genre humain – comme Sganarelle qualifiait Dom Juan, dans la pièce de Molière, d’« épouseur du genre humain ». Il donne généreusement de sa personne pour incarner cet « universalisme à la française » qui continue de faire partie de notre identité nationale.

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