Samedi 9 mai, à Gennevilliers, l'appel Reprenons l'initiative débouche sur un premier « Forum contre les politiques de racialisation ». Le racisme ne cesse de se renouveler ; l’antiracisme doit en faire autant : à nous de reprendre l’initiative. Et pour commencer, il nous faut débattre et agir ensemble, faire sauter des verrous idéologiques pour bâtir des coalitions. Il faut repolitiser l'antiracisme. Il est encore temps, mais il est grand temps.
Voir http://reprenons.info
177 avenue Gabriel Péri à Gennevilliers. Accueil et inscriptions dès 9h30.
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Comme toutes les formes de domination, le racisme est un rapport social qui s’adapte aux évolutions des contextes économiques, politiques et idéologiques. Il faut donc en tirer les conséquences dans nos luttes.
Si le racisme biologique n’a pas disparu, le racisme culturel gagne en importance. Aussi le racisme n’est-il pas seulement une affaire de couleur de peau : d’un côté, la négrophobie se dit souvent aujourd’hui en termes culturels ; de l’autre, l’islamophobie vise tout autant les convertis que les Français « issus de l’immigration ». Le racisme joue de ces ambiguïtés, en glissant constamment d’un registre à l’autre – racial, religieux, culturel… C’est ainsi que l’antisémitisme s’appuie moins aujourd’hui sur la religion ou même la racisation, et davantage sur des stéréotypes inséparablement culturels et politiques.
Il importe donc de repenser l’antiracisme en le définissant, non pas de manière intemporelle, mais à partir de notre actualité. On ne peut plus se contenter aujourd’hui de combattre le Front national, comme on le faisait dans les années 1980 – même si (et justement parce que) la menace se rapproche. En effet, le racisme ne se réduit pas à des idéologies. Il est aussi inscrit, selon une deuxième logique, dans des pratiques quotidiennes de discriminations raciales qui structurent nos sociétés : elles sont désormais le plus souvent systémiques et quasi-systématiques.
Mais il y a plus : nous mesurons aujourd’hui pleinement l’importance d’une troisième dimension du racisme : les politiques publiques y jouent un rôle crucial. Bien sûr, elles peuvent combattre les discours et les discriminations racistes ; mais elles peuvent aussi les autoriser – non seulement en les tolérant, voire en les attisant, mais aussi en produisant les conditions sociales qui les nourrissent. On en voit la forme exacerbée dans la politique à l’égard des Rroms : le racisme d’en bas se nourrit de la racialisation d’en haut. À propos d’immigration, on parle depuis des années d’une xénophobie d’État ; il convient de parler aussi de racisme d’État avec ce qu’il faut bien appeler des politiques de racialisation, et sous sa forme la plus brutale, à l’égard des Roms, une politique de la race.
Un antiracisme qui ne prendrait pas en compte ces trois aspects serait non seulement incapable de faire reculer le rapport social raciste qui se répand en France mais contribuerait à le renforcer. Le racisme ne cesse de se renouveler ; l’antiracisme doit en faire autant : à nous de reprendre l’initiative. Et pour commencer, il nous faut débattre et agir ensemble, faire sauter des verrous idéologiques pour bâtir des coalitions.
Une première plénière permettra de poser ensemble ces questions pour ébaucher un langage politique commun. On y confrontera les expériences, mais aussi les analyses de celles et ceux qui s’engagent, souvent depuis longtemps, dans ces combats pour les droits des sans-papiers et des Français racisés – Maghrébins, Noirs, Rroms, musulmans, confronté-e-s aux violences policièresou aux discriminations à l’embauche, exclu-e-s de la représentation politique et culturelle, etc. On mettra à l’épreuve la notion transversale de politique de racialisation. L’après-midi, deux ateliers prolongeront la discussion dans deux directions complémentaires : le combat idéologique, d’une part, et les mobilisations militantes, d’autre part. La plénière qui conclura la journée, avant une soirée festive, rendra compte de ces travaux pour envisager des formes d’action collective prolongeant cette journée : au-delà du Forum, nous comptons bien reprendre l’initiative.
Reprendre l’initiative, c’est définir ensemble l’antiracisme dont nous avons besoin pour réagir. Il est temps de dire la responsabilité des responsables politiques. À les entendre, nos gouvernants ne font que refléter le racisme social ; en réalité, ce sont leurs politiques de racialisation qui l’alimentent. Il faut donc repolitiser l’antiracisme.
Le programme :
10h00 à 13h00 PLÉNIÈRE : DE QUEL ANTIRACISME AVONS-NOUS BESOIN AUJOURD’HUI ?
Prises de paroles militantes d’animateurs de collectifs en luttes : Zouina Meddour, Salah Amokrane, Laurent Levy, Nacer El Idrissi , Saimir Mille , Abdelaziz Chaambi, Michel Sybony, Fatou, Hamé, Saïd Bouamama, Farid El Yamni, Almamy Kanouté, Farid Bennaï Aloune Traore, Claudia Charles, Denis Godard, Idrissa Sy, M’hamed K’haki ….
L’islamophobie légitimée par l’État depuis les débats qui ont accompagné l’adoption de la loi sur les signes religieux en 2004, la négrophobie défendue par un président de la République depuis le discours de Dakar de 2007, la Rromophobie encouragée par les ministres de l’intérieur des majorités successives, etc. : un seuil qualitatif est franchi dans le développement d’une politique de racialisation impulsée par l’État qui peut d’ailleurs la déléguer ensuite aux collectivités locales. Ces discours ont des conséquences bien réelles : on voit les effets de cette politique dans la hausse des agressions et crimes racistes.
-13h00 à 14h30: pause déjeuner
14h30 à17h00: ATELIERS POUR UN ANTIRACISME DE COMBAT
Animateurs/modérateurs : Said Bouamama , Eric Fassin, Nacira Guénif-Souilamas , Pauline Picot, Serge Guichard ,Zouina Meddour , Farid Bennaï
Atelier 1 : le combat idéologique
Quels sont les verrous de la pensée qui entravent la force d’un mouvement antiraciste à la hauteur des enjeux politiques pour résister aux illusions et aux dangers de l’intégrationnisme, de la thématique du « racisme anti-blanc », de l’antiracisme moral, etc. ? Comment mener un combat idéologique efficace contre les nouvelles figures du racisme ? Quels outils pour ce combat ?
Atelier 2 : les mobilisations militantes
Quelles mobilisations militantes contre les nouvelles formes de racisme ? Quelles mobilisations spécifiques sur chaque forme de racisme mais aussi quelle convergence construire ? Quelles luttes développer contre la racialisation d’État et la politique de la race municipalisée qui en découle ? Quelles alliances égalitaires avec les mouvements actuels ou futurs des racisés ? Quelle initiative centrale de visibilisation politique de Reprenons l’initiative ?
Pause café : 17h00 à17h30
17h30 à 19h30 : PLÉNIÈRE - AGIR A LA HAUTEUR DES ENJEUX
Saïd Bouamama, Michèle Sibony , Serge Guichard
• Restitution des ateliers
• Quelles actions communes avec quels objectifs et quelles échéances
APPEL CONTRE LES POLITIQUES DE RACIALISATION
Nous assistons actuellement à une régression idéologique : l’antiracisme se réduit trop souvent à un combat contre le racisme individuel à l’occasion de « dérapages » qui se multiplient effectivement. C’est minimiser la réalité du racisme systémique, c’est-à-dire, au-delà des idéologies racistes, des discriminations au quotidien, mais c’est aussi occulter le rôle du racisme institutionnel : le traitement étatique et municipal des populations rroms venues de Roumanie ou de Bulgarie, pays membres de l’Union européenne, en est l’illustration la plus brutale.
En France, depuis dix ans, des familles roms ont subi une quinzaine d’expulsions qui les rejettent toujours davantage dans la misère la plus extrême. Les démantèlements à répétition de bidonvilles continuent sous François Hollande comme sous Nicolas Sarkozy, à la demande de municipalités de la majorité gouvernementale d’hier comme de celle d’aujourd’hui. Ce n’est que la partie la plus visible de pratiques non seulement scandaleuses, mais aussi illégales, qui se banalisent : refus de domiciliation au CCAS ici, entraves à la scolarisation des enfants là, non-ramassage des ordures ménagères ici et là, etc. Il s’agit d’un processus massif de marginalisation, d’exclusion et de stigmatisation d’une population.
Pour justifier ces actes inhumains, à l’instar de Manuel Valls, les responsables prétendent tantôt qu’ils agissent pour le bien des Roms en détruisant un habitat insalubre, tantôt que ceux-ci « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ». En réalité, comme on l’a vu pendant les élections municipales, les politiques n’hésitent pas à faire campagne en promettant une véritable chasse aux Roms.
Nous sommes bien en présence d’une « politique de la race » : on assigne les Roms à une différence supposément culturelle pour justifier en retour de les traiter de manière discriminatoire. Cette persécution se déroule dans l’indifférence générale, voire avec une approbation presque consensuelle : en effet, les majorités successives semblent avoir réussi à dépolitiser la « question rom », en donnant l’impression que les élus, tant locaux que nationaux, ne font que gérer un problème – et non mener une politique à laquelle on pourrait opposer une autre politique.
Si le traitement des Roms est un exemple extrême, les politiques de racialisation concernent pareillement d’autres catégories de la population. C’est le cas depuis longtemps avec l’injonction d’intégration adressée, non seulement aux immigrés, mais aussi à leurs enfants, voire à leurs petits-enfants, comme si certains Français devaient éternellement faire la preuve de leur « identité nationale ». C’est aussi le cas avec le déchaînement d’islamophobie qui s’autorise de la laïcité pour jeter une suspicion a priori sur les musulmans dans leur ensemble, tout en récusant le terme même d’islamophobie. Et alors que les discriminations raciales en même temps que les idéologies racistes ont pour effet sinon pour visée de produire une opposition entre « eux » et « nous », le déni va parfois jusqu’à reprendre les attaques de l’extrême droite contre un supposé « racisme anti-blanc » au nom d’une rhétorique universaliste qui invisibilise les rapports de domination raciale.
Nous affirmons que la politique de la race qui vise les Roms est un révélateur des politiques de racialisation qui touchent de larges pans de la société française : elle amplifie la logique qui se déploie pour l’ensemble des populations issues de l’immigration postcoloniale – et qui fait écho à une histoire marquée par l’esclavage, le colonialisme et le nazisme. Mais ce passé rencontre l’actualité d’une France et d’une Europe néolibérales où s’accroissent les inégalités de classes; ces politiques de stigmatisation servent ainsi à en distraire .
Il ne suffit plus de dénoncer les racistes, ni même les partis racistes. Il faut s’en prendre aux politiques de racialisation. Nous refusons d’accepter l’inacceptable, et d’être les complices ou même les témoins de l’organisation politique de la concurrence généralisée entre les victimes d’un même système inégalitaire. Les signataires appellent à une reprise collective de l’initiative, dans le respect de la diversité des opinions et analyses politiques au sein des mouvements antiracistes – à condition de se retrouver dans le constat que nous faisons ici.
Nous allons mener une campagne nationale (affiches, vidéos, débats, initiatives publiques, actions de mobilisation, etc.) contre la banalisation des pratiques discriminatoires touchant les Roms comme les populations héritières de l’immigration postcoloniale ou de religion musulmane. Nous organiserons au printemps 2015 un vaste forum d’échanges et d’analyses politiques afin de contribuer au renouvellement d’un antiracisme politique. Enfin, nous nous engageons à soutenir les initiatives d’auto-organisation de celles et ceux que visent ces politiques de racialisation, précisément parce que ces politiques rendent plus difficiles de telles initiatives.
Il est encore temps, mais il est déjà grand temps.