Bien sûr, il y a la classe, encore et toujours. Mais on admet enfin qu’il y a aussi les discriminations. Il faut aujourd’hui penser ensemble la montée des inégalités de classe et l’aggravation des discriminations dans l’Europe néolibérale, autrement dit, les liens entre les politiques économiques et la xénophobie et le racisme d’État.
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L’inégalité se dit au pluriel. C’est la leçon des dernières décennies. Bien sûr, il y a la classe, encore et toujours. Mais on admet enfin qu’il y a aussi les discriminations qui frappent les femmes et les minorités sexuelles et raciales. Il ne s’agit donc pas de remplacer une détermination en dernière instance (économique) par une autre (quelle qu’elle soit) : un clou ne chasse pas l’autre. L’enjeu, c’est de prendre en compte la pluralité des logiques de domination. Mais comment s’articulent ces inégalités ? Une fois admis, par exemple, que les Noirs de la bourgeoisie sont aussi victimes de discriminations, et donc que la classe n’efface pas la couleur de peau, reste à comprendre le rapport entre ces logiques distinctes, mais imbriquées.
C’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’intersectionnalité, dans les sciences sociales et dans les mouvements militants. Il y a des groupes doublement invisibilisés parce qu’ils sont à l’intersection de deux formes de domination (comme sexe et race, ainsi que l’a montré le « féminisme noir ») ; mais nul n’y échappe. En outre, ces rapports interagissent entre eux : on ne peut pas appréhender ces propriétés (classe, sexe, race, etc.) indépendamment les unes des autres. Être « maghrébin » ou « maghrébine », en France aujourd’hui, ce n’est pas la même chose, tant l’origine supposée est prise dans la logique du genre.
Pourquoi ces développements théoriques ? Parce qu’il faut aujourd’hui penser ensemble la montée des inégalités de classe et l’aggravation des discriminations dans l’Europe néolibérale, autrement dit, les liens entre les politiques économiques et la xénophobie et le racisme d’État. Faute de quoi, au nom de « l’insécurité culturelle » de la « France périphérique », on opposera le « peuple » (comme s’il était forcément blanc) aux « minorités » (comme si elles étaient exclues des classes populaires). C’est pour éviter cette dérive qu’il est urgent d’analyser, sociologiquement et politiquement, la complexité des inégalités.
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Contribution à L'Humanité dimanche publiée le 16 avril 2015.