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Billet de blog 25 avril 2020

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confiner, déconfiner : les citoyens aussi !

Face à la pandémie, des mesures collectives s'imposent reposant sur une politique nationale et territoriale. Mais ne faut-il pas aussi faire appel plus résolument à la responsabilité de chacune et chacun. A l'exercice de la citoyenneté.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Confiner/déconfiner

Philippe Lazar et Éric Favey

Éric Favey est inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale et Philippe Lazar

directeur de recherche honoraire à l’Inserm.

POURQUOI AVOIR CONFINE ?

Cela a été dit clairement par les pouvoirs publics : pour éviter une trop rapide diffusion

de l’épidémie qui aurait conduit à l’impossibilité pour les services hospitaliers d’accueillir

tous les malades requérant des soins majeurs. Cette situation, qui aurait été catastrophique à

tous points de vue, a été heureusement évitée, même si l’on a eu quand même à déplorer

beaucoup de morts.

Pourquoi maintenir voire renforcer temporairement ces dispositions ? Parce que, à

l’heure actuelle, nous ne disposons strictement d’aucun vaccin ni d’aucun traitement ayant

fait la preuve de son efficacité et que notre seul moyen de lutte contre la propagation du virus

et ses parfois très lourdes conséquences pathologiques est le confinement.

Aurons-nous d’autres moyens de lutte le 11 mai ? C’est manifestement peu probable.

L’épidémie peut-elle s’éteindre d’elle-même, comme par exemple les épidémies annuelles de

grippe ? Cela n’a hélas rien d’évident ! Ce qui fait que les épidémies grippales ne durent que

quelques mois résulte non du retour des beaux jours1 mais du fait qu’assez rapidement une

proportion importante de la population est immunisée parce qu’ayant été mise en contact avec

le virus. Ce qui ne semble hélas pas être le cas pour le virus responsable de l’actuelle

pandémie, ne serait-ce que du fait de l’efficacité du confinement.

POURQUOI DES LORS DECONFINER ?

Tout le monde a conscience des conséquences très lourdes et même possiblement

dramatiques du confinement s’il doit de prolonger, que ce soit en termes économiques,

sanitaires (les autres maladies mal prises en compte), sociologiques, psychologiques, ou

éducatifs. On comprend donc qu’il y ait, par la population et par les acteurs économiques, une

forte attente de la mise en oeuvre d’un déconfinement et que l’annonce de la date de son

démarrage ait été bien reçue. Cela étant il ne faudrait pas que cette décision fasse passer au

second plan deux de ses conséquences majeures en termes de risques.

Le premier de ces risques est bien connu : c’est celui d’un nouvel engorgement de nos

hôpitaux en cas de résurgence d’une vague importante de malades graves. Tout permet de

penser qu’on ne le perd pas de vue lorsqu’on parle d’un déconfinement progressif, contrôlé,

possiblement remis en question si l’on observe une nouvelle flambée de ces cas que l’hôpital -

qui a tant donné et qui donne encore tant - aurait le plus grand mal à gérer. C’est bien aussi ce

qui explique ce qui a été un temps envisagé : continuer à confiner sévèrement plus du quart de

la population française (la fraction considérée comme à haut risque d’aggravation dramatique

1 La pandémie a commencé en été dans l’hémisphère sud…

de la maladie) mais qui finalement pas été retenu parce que socialement trop discriminant et

humainement ingérable.

L’autre risque résulte du fait qu’un déconfinement, même progressif, entraînera,

quelles que soient les précautions prises, une croissance du nombre des contaminations et dès

lors du nombre des porteurs sains et des malades. Et ce d’autant que nombre de nos

concitoyens, malgré tous les avertissements, ont tendance à penser qu’après le 11 mai « tout

redeviendra comme avant ».

COMMENT DECONFINER ?

Ce qui suit n’a pas pour objet de contester les choix des pouvoirs publics en matière

de gestion de la situation actuelle. La tâche est plus qu’ardue compte tenu de la multiplicité

des facteurs souvent contradictoires qu’il faut prendre en compte. Il s’agit plutôt ici de

réfléchir à la façon dont la politique en cours de gestation et de mise en oeuvre pourrait

s’infléchir en fonction de ce qui va effectivement se passer au cours du mois de mai prochain.

Nous l’avons dit : le plus probable est que nous n’aurons à cette échéance ni vaccin, ni

médicament, ni arrêt spontané de la pandémie et que le déconfinement entrainera une reprise

des contaminations. Qu’est-il dès lors strictement impératif de faire : éviter à tout prix une

nouvelle vague des formes graves de la maladie ! Et pour cela il faut oser évoquer la question

de la contamination des personnes – adultes ou enfants – dont la probabilité d’atteinte par de

formes graves est faible voire quasi inexistante. Une telle contamination implique l’existence

de ces risques mais elle est aussi porteuse d’un double avantage : une immunisation

personnelle (même si elle n’est que temporaire) et une contribution à la limitation de

l’extension de l’épidémie par ce qu’on appelle l’immunité collective.

Évoquons à ce propos la question de la réouverture des écoles et des multiples

précautions qui l’accompagnent. Celles-ci étaient-elles indispensables ? Elles conduisent

nécessairement à accroître l’inquiétude des parents et des personnels vis-à-vis d’un retour en

classe dès lors perçu par eux comme dangereux. D’où la décision ultérieure de le rendre

facultatif, au prix notamment d’un alourdissement de la charge des enseignants tenus

d’assurer conjointement enseignement et téléenseignement. Or tout permet de penser qu’il n’y

aura pas d’incidents graves pour les enfants ainsi re-scolarisés et que les autres enfants

pourront rapidement les rejoindre.

La question du retour des adultes sur les lieux d’activité professionnelle et de

l’utilisation des moyens de transport en commun pose en fait des problèmes de même nature :

un risque de contamination sous des formes asymptomatiques ou, dans l’immense majorité

des formes symptomatiques, sous forme d’une maladie de gravité limitée ; mais aussi, en

« échange », l’acquisition d’une immunité à valeur personnelle et collective.

Reste la question lancinante des personnes à haut risque d’être atteintes par des formes

graves de la maladie. Ces formes que le confinement a conduit à limiter dans leur ampleur

numérique et que le déconfinement risque fortement de relancer. En particulier si ces

personnes sont en contact avec des enfants de retour de l’école ou des adultes de retour de

leur activité professionnelle.

C’est à juste titre qu’on a renoncé à « sur-confiner » en bloc 18 millions de nos

compatriotes. Mais ce serait une erreur de renoncer du même coup à leur conseiller fortement

de se protéger. Les médecins-référents ne devraient-ils pas être conviés à conseiller

systématiquement en la matière ceux de leurs patients qu’ils savent « à risques » ? Et ces

derniers ne devraient-ils pas être invités à prendre, dument informés, les décisions d’autoconfinement

les concernant personnellement ? En toute conscience vis-à-vis d’eux-mêmes

mais aussi vis-à-vis de leurs proches et des soignants ? Ne devrait-on pas, plus explicitement

qu’on ne le fait aujourd’hui, faire appel à leur responsabilité citoyenne ?

Ne serait-ce pas une expression fondamentale du respect des droits de l’Homme et du

Citoyen d’une part, de la démocratie de l’autre, que de poser l’ensemble de ces questions en

ces termes ?

La revue Diasporiques/cultures en mouvement (www.diasporiques.org), qui publie cet article

dans son numéro d’avril 2020, donne l’autorisation de le reproduire.

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