Confiner/déconfiner
Philippe Lazar et Éric Favey
Éric Favey est inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale et Philippe Lazar
directeur de recherche honoraire à l’Inserm.
POURQUOI AVOIR CONFINE ?
Cela a été dit clairement par les pouvoirs publics : pour éviter une trop rapide diffusion
de l’épidémie qui aurait conduit à l’impossibilité pour les services hospitaliers d’accueillir
tous les malades requérant des soins majeurs. Cette situation, qui aurait été catastrophique à
tous points de vue, a été heureusement évitée, même si l’on a eu quand même à déplorer
beaucoup de morts.
Pourquoi maintenir voire renforcer temporairement ces dispositions ? Parce que, à
l’heure actuelle, nous ne disposons strictement d’aucun vaccin ni d’aucun traitement ayant
fait la preuve de son efficacité et que notre seul moyen de lutte contre la propagation du virus
et ses parfois très lourdes conséquences pathologiques est le confinement.
Aurons-nous d’autres moyens de lutte le 11 mai ? C’est manifestement peu probable.
L’épidémie peut-elle s’éteindre d’elle-même, comme par exemple les épidémies annuelles de
grippe ? Cela n’a hélas rien d’évident ! Ce qui fait que les épidémies grippales ne durent que
quelques mois résulte non du retour des beaux jours1 mais du fait qu’assez rapidement une
proportion importante de la population est immunisée parce qu’ayant été mise en contact avec
le virus. Ce qui ne semble hélas pas être le cas pour le virus responsable de l’actuelle
pandémie, ne serait-ce que du fait de l’efficacité du confinement.
POURQUOI DES LORS DECONFINER ?
Tout le monde a conscience des conséquences très lourdes et même possiblement
dramatiques du confinement s’il doit de prolonger, que ce soit en termes économiques,
sanitaires (les autres maladies mal prises en compte), sociologiques, psychologiques, ou
éducatifs. On comprend donc qu’il y ait, par la population et par les acteurs économiques, une
forte attente de la mise en oeuvre d’un déconfinement et que l’annonce de la date de son
démarrage ait été bien reçue. Cela étant il ne faudrait pas que cette décision fasse passer au
second plan deux de ses conséquences majeures en termes de risques.
Le premier de ces risques est bien connu : c’est celui d’un nouvel engorgement de nos
hôpitaux en cas de résurgence d’une vague importante de malades graves. Tout permet de
penser qu’on ne le perd pas de vue lorsqu’on parle d’un déconfinement progressif, contrôlé,
possiblement remis en question si l’on observe une nouvelle flambée de ces cas que l’hôpital -
qui a tant donné et qui donne encore tant - aurait le plus grand mal à gérer. C’est bien aussi ce
qui explique ce qui a été un temps envisagé : continuer à confiner sévèrement plus du quart de
la population française (la fraction considérée comme à haut risque d’aggravation dramatique
1 La pandémie a commencé en été dans l’hémisphère sud…
de la maladie) mais qui finalement pas été retenu parce que socialement trop discriminant et
humainement ingérable.
L’autre risque résulte du fait qu’un déconfinement, même progressif, entraînera,
quelles que soient les précautions prises, une croissance du nombre des contaminations et dès
lors du nombre des porteurs sains et des malades. Et ce d’autant que nombre de nos
concitoyens, malgré tous les avertissements, ont tendance à penser qu’après le 11 mai « tout
redeviendra comme avant ».
COMMENT DECONFINER ?
Ce qui suit n’a pas pour objet de contester les choix des pouvoirs publics en matière
de gestion de la situation actuelle. La tâche est plus qu’ardue compte tenu de la multiplicité
des facteurs souvent contradictoires qu’il faut prendre en compte. Il s’agit plutôt ici de
réfléchir à la façon dont la politique en cours de gestation et de mise en oeuvre pourrait
s’infléchir en fonction de ce qui va effectivement se passer au cours du mois de mai prochain.
Nous l’avons dit : le plus probable est que nous n’aurons à cette échéance ni vaccin, ni
médicament, ni arrêt spontané de la pandémie et que le déconfinement entrainera une reprise
des contaminations. Qu’est-il dès lors strictement impératif de faire : éviter à tout prix une
nouvelle vague des formes graves de la maladie ! Et pour cela il faut oser évoquer la question
de la contamination des personnes – adultes ou enfants – dont la probabilité d’atteinte par de
formes graves est faible voire quasi inexistante. Une telle contamination implique l’existence
de ces risques mais elle est aussi porteuse d’un double avantage : une immunisation
personnelle (même si elle n’est que temporaire) et une contribution à la limitation de
l’extension de l’épidémie par ce qu’on appelle l’immunité collective.
Évoquons à ce propos la question de la réouverture des écoles et des multiples
précautions qui l’accompagnent. Celles-ci étaient-elles indispensables ? Elles conduisent
nécessairement à accroître l’inquiétude des parents et des personnels vis-à-vis d’un retour en
classe dès lors perçu par eux comme dangereux. D’où la décision ultérieure de le rendre
facultatif, au prix notamment d’un alourdissement de la charge des enseignants tenus
d’assurer conjointement enseignement et téléenseignement. Or tout permet de penser qu’il n’y
aura pas d’incidents graves pour les enfants ainsi re-scolarisés et que les autres enfants
pourront rapidement les rejoindre.
La question du retour des adultes sur les lieux d’activité professionnelle et de
l’utilisation des moyens de transport en commun pose en fait des problèmes de même nature :
un risque de contamination sous des formes asymptomatiques ou, dans l’immense majorité
des formes symptomatiques, sous forme d’une maladie de gravité limitée ; mais aussi, en
« échange », l’acquisition d’une immunité à valeur personnelle et collective.
Reste la question lancinante des personnes à haut risque d’être atteintes par des formes
graves de la maladie. Ces formes que le confinement a conduit à limiter dans leur ampleur
numérique et que le déconfinement risque fortement de relancer. En particulier si ces
personnes sont en contact avec des enfants de retour de l’école ou des adultes de retour de
leur activité professionnelle.
C’est à juste titre qu’on a renoncé à « sur-confiner » en bloc 18 millions de nos
compatriotes. Mais ce serait une erreur de renoncer du même coup à leur conseiller fortement
de se protéger. Les médecins-référents ne devraient-ils pas être conviés à conseiller
systématiquement en la matière ceux de leurs patients qu’ils savent « à risques » ? Et ces
derniers ne devraient-ils pas être invités à prendre, dument informés, les décisions d’autoconfinement
les concernant personnellement ? En toute conscience vis-à-vis d’eux-mêmes
mais aussi vis-à-vis de leurs proches et des soignants ? Ne devrait-on pas, plus explicitement
qu’on ne le fait aujourd’hui, faire appel à leur responsabilité citoyenne ?
Ne serait-ce pas une expression fondamentale du respect des droits de l’Homme et du
Citoyen d’une part, de la démocratie de l’autre, que de poser l’ensemble de ces questions en
ces termes ?
La revue Diasporiques/cultures en mouvement (www.diasporiques.org), qui publie cet article
dans son numéro d’avril 2020, donne l’autorisation de le reproduire.