Des conflits militaires frappent aux quatre coins de la planète et laissent des marques parfois indélébiles dans les pays par lesquels ils sont passés. Si les autorités occidentales se concentrent généralement sur des questions politiques et économiques, les enjeux culturels sont d’autant plus cruciaux qu’ils sont peu représentés dans les médias. La diffusion de la culture et du savoir est sans nul doute un des fondements de la création d’une société et de sa démocratie et des initiatives comme la réhabilitation de centres de lecture et d’animation culturelle en Côte d’Ivoire montrent leur efficacité chaque jour.
Infrastructures délabrées et manques de moyens, les conflits ont une fâcheuse tendance à laisser des traces difficiles à effacer dans de nombreux pays. Si les médias occidentaux relaient particulièrement les évolutions politiques de ces pays en sortie de crise militaire, pour les habitants, le plus important se situe fréquemment bien loin des enjeux politiques internationaux. Les problématiques locales et culturelles représentent elles aussi un point crucial dans la reconstruction de ces pays. Une reconstruction matérielle au premier abord, dont les aspects sont finalement bien plus larges.
Si les conflits à travers le monde ne sont généralement vus que sous le prisme politique, voire économique, les conséquences culturelles qu’ils engendrent sont souvent les plus difficiles à oublier, particulièrement pour les populations victimes, qui ont vu en quelques jours tout un pan de leur histoire et de leur patrimoine détruit par leurs adversaires. Les exemples se suivent et se ressemblent. La destruction des Bouddhas de Bamyan par les talibans en Afghanistan est encore au centre des esprits. Elle date pourtant d’une dizaine d’années, mais les reconstructions n’étant pas à l’ordre du jour, la douleur reste et les populations se souviennent. Plus récemment, en 2013, les islamistes en conflit au Mali ont eux aussi choisi de cibler le patrimoine de leurs ennemis et ont tenter de détruire les célèbres manuscrits de Tombouctou. S’il est naturel de déplorer les nombreuses victimes physiques des guerres et des conflits qui frappent le monde depuis toujours, il est important de ne pas sous-estimer la portée de la culture dans la reconstruction et l’accompagnement des pays touchés.
L’accompagnement par la culture : cohésion sociale et intégration individuelle
Après plusieurs mois ou années de conflits, ce dont un pays a le plus besoin est sans nul doute l’instauration d’une démocratie qui passe nécessairement par la reconstruction de la société, souvent sévèrement frappée moralement comme économiquement. Dans cette optique, la diffusion de la culture paraît être un des meilleurs vecteurs d’accompagnement. L’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor la définissait au XIXe siècle comme étant « un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert l’homme en tant que membre d’une société ». Aujourd’hui, rien n’a changé.
Le 20 mars dernier, le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, Abdou Diouf, déclarait à l’occasion de la journée internationale de la francophonie : « non à l’uniformisation culturelle et linguistique qui menace le patrimoine intellectuel et la création mondiale, mais aussi la démocratie internationale. Non au relativisme culturel qui défie l’universalité des droits de l’Homme et menace la paix », mettant lui aussi la culture au centre de la démocratie et de la création des peuples. La culture est en effet un fondement de la cohésion et des relations sociales. Elle permet aux habitants d’un pays de s’identifier en tant que groupe possédant un patrimoine commun. C’est sur ce postulat que se sont basés les envahisseurs de tout temps en prenant pour cible première les lieux culturels des pays envahis et c’est sur ce postulat que doivent se baser les organisations internationales pour accompagner les gouvernements des pays en difficultés aujourd’hui dans leurs désirs de reconstruction.
L’exemple de la Côte d’Ivoire et des Clacs
Montrer aux habitants par la reconstruction de bâtiments symboles de culture et de savoir que la crise militaire est bel et bien terminée et qu’il est aujourd’hui temps de se relever, plus fort qu’hier et moins que demain. Ce qui se passe aujourd’hui en Côte d’Ivoire est l’exemple même de l’impact que peut avoir la diffusion de la culture et du savoir dans un pays tout juste sorti d’un conflit armé encore ancré dans les esprits. Les élections présidentielles ivoiriennes de 2010 ont marqué un tournant dans l’Histoire du pays et de ses habitants. Les conflits qui ont mené à l’arrestation du président sortant Laurent Gbagbo ont touchés politiquement le pays, mais ça n’a pas été les seules conséquences.
En 1990, des Centres de lecture et d’animation culturelle (Clac) ont été installés à travers le pays. Des milliers d’ouvrages, d’auteurs internationaux comme ivoiriens, des outils dialectiques, des jeux éducatifs et de société, des équipements audiovisuels et informatiques… Les Clac offrent aux populations un endroit où l’échange de savoirs est quotidien, où les livres et les outils numériques et d’écriture sont en libre accès, où l’information du monde entier est consultable sans difficulté et où les médias sont tous représentés. Seulement voilà, qui dit crise militaire, dit dégâts et dans ce cas le terme dégâts relève de l’euphémisme. Éric Weber, coordinateur des Clac pour l’OIF déclare avoir visité en 2011 des centres dans « un état de délabrement avancé » où les équipements étaient en pièces détachés, les bibliothèques dépouillées, les outils numériques disparus.
Soutenue par la population et les autorités locales, l’OIF a décidé de réhabiliter 10 des Clac de Côte d’Ivoire. Un investissement de 100 millions de FCFA écrit noir sur blanc dans une convention signée en parallèle du 8e marché des arts du spectacle africain (Masa), lui aussi créé dans l’optique « d’accompagner le développement culturel dans ses différents versants avec les différents facteurs clés du succès », précise Youma Fall, Directrice de la Diversité et du Développement culturels à l’OIF.
Ces vecteurs de diffusion de la culture, qu’ils soient sous la forme de Centres de lecture et d’animation culturelle ou sous la forme d’un marché des arts du spectacle africain, se retrouvent trop souvent en panne lors de conflits. Le renouveau d’un pays passe, certes, par la reconstitution de son gouvernement ou de sa croissance, mais surtout par la réhabilitation de ce type d’initiatives. Faire renaître la culture, laisser la population se la réapproprier et regarder le pays se relever.