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Billet de blog 4 décembre 2013

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Grèce : plaie d’argent est mortelle

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toutes les drogues ne se valent pas. Toutes n’ont pas les mêmes effets, le même prix, la même facilité d’accès et les mêmes ravages. Certaines sont par conséquent davantage utilisées par les populations les plus aisées. D’autres, à l’inverse, sont l’apanage des plus démunis. C’est notamment le cas de la sisa qui ravage les rues d’Athènes, aggrave la criminalité et renforce la détresse d’une communauté livrée à elle-même.

En dépit des différentes politiques nationales de lutte contre la consommation de stupéfiants et contre le trafic de drogue, le nombre de toxicomanes ne tend pas à diminuer. De plus, les effets négatifs durables de la crise économique ont eu pour conséquence de plonger dans le marasme des pans entiers des populations et de creuser les disparités sociales. Aujourd’hui, la consommation de drogues est différente d’une classe sociale à l’autre, avec naturellement un impact sur la santé très variable.

Cocaïne et ecstasy pour les uns, crack pour les autres

Parmi les « drogues pour riches » figurent principalement la cocaïne et l’ecstasy. Souvent considérées comme des stupéfiants récréatifs, ils accompagnent certaines soirées et sont souvent consommés de la même manière que l’alcool. Une récente étude algérienne confirme ce phénomène pour ce qui concerne la cocaïne : son prix élevé induit qu’elle ne peut être achetée que par une clientèle aisée, qui tirera d’ailleurs avantage de son statut social huppé pour ne pas être inquiétée par l’action policière. Au Brésil, le constat est similaire. Une recrudescence de la consommation d’ecstasy a été constatée parmi les jeunes issus de familles bourgeoises. Cette drogue semble être devenue un ingrédient incontournable des soirées les plus « prisées » de Rio ou de Sao Paulo.

A l’inverse, certaines drogues sont consommées très majoritairement par des personnes aux faibles revenus. Très souvent de « moins bonne qualité », elles contiennent de nombreux produits néfastes, ont des effets plus violents, et dégradent donc la santé plus rapidement. C’est le cas du crack, dont la consommation est notamment très importante aux Etats-Unis parmi les communautés les plus pauvres, et qui fait d’ailleurs l’objet d’une législation spécifique nettement plus drastique. En Grèce, l’arrivée d’un nouveau produit, nommé « sisa », est également extrêmement préoccupante.

La sisa, fléau pour la Grèce

Vendues à 1 ou 2 euros, les doses de sisa ont inondé les rues d’Athènes et des autres grandes villes grecques. Drogue méconnue aux effets puissants, elle est largement consommée par les plus pauvres, victimes de la crise, et vivants même parfois dans la rue. Un documentaire réalisé par Alex Miller, et notamment diffusé par Rue 89, a fait la lumière sur cette nouvelle drogue qui ravage la Grèce. Si la composition du produit n’a pas encore été établie avec précision, de nombreuses substances chimiques dangereuses en font partie.

« Tu peux tuer un homme et ne pas le réaliser », confie un consommateur. « Ils sont davantage autodestructeurs. On a 27 % de chômeurs. 62 % d’entre eux ont moins de 25 ans. Nous n’avons pas encore passé la crise. Nous sommes en plein dedans », explique Haralambos Poulopoulos, directeur du KE.O.EA, organisation publique anti-drogue. De fait, faute de ressources, l’Etat grec a, au moins temporairement, renoncé à venir en aide aux toxicomanes. « Dans un effort de centraliser les services sanitaires et sociaux, le nombre de travailleurs sociaux, notamment liés à la réduction des risques en toxicomanie, a dramatiquement diminué. En ce contexte de crise, il n’y a plus de campagne anti-drogue », s’alarme également Christina Psarra de Médecins du monde.

La France pâtit d’une politique anti-drogue incohérente

Dans un pays comme la France, touché par la crise avec moins de virulence que la Grèce, la situation est moins alarmante, mais demeure tout sauf idyllique. Les inégalités sociales face à la drogue sont patentes. Comme partout dans le monde, les drogués les plus démunis se tournent vers les substances les moins onéreuses, tandis que leur consommation s’effectue dans des conditions aussi déplorables qu’ailleurs : lieux insalubres, seringues usagées… Et force est de constater que l’action des pouvoirs publics en la matière est peu efficiente. Sans ligne directrice forte et cohérente sur le long terme, dotée d’une constellation d’institutions publiques, la France peine en effet à agir de manière efficace pour réduire la consommation et soigner les personnes dépendantes. Et lorsque le Gouvernement formule un projet conséquent – comme c’est le cas de la salle de shoot du 10e arrondissement – il se heurte aux associations et aux considérations partisanes éloignées de l’intérêt général.

Phénomène dépassant les frontières mais relativement peu traité par les Etats, la consommation de drogues contribue à accroître les inégalités sociales. Aux plus pauvres les drogues les moins chères et souvent les plus dangereuses en raison de l’ajout de produits chimiques aux effets désastreux pour la santé. Compte tenu des enjeux sanitaires, sociaux et économiques, pays émergents et occidentaux partagent l’obligation morale et pragmatique d’agir.

Eric Freymond

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