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Billet de blog 9 juillet 2014

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Libye : et si une monarchie valait mieux qu’une république pour le moment ?

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Les élites libyennes commencent à le comprendre : plus de trois ans après la chute du régime du dictateur Mouammar Kadhafi, la transition démocratique est un échec. Aux urnes le 25 juin 2014 pour élire un nouveau Parlement, les Libyens ne cachent pas leurs désillusions. La légitimité des gouvernements est contestée, le territoire est désuni et l’insécurité règne. Inaudible jusqu’ici, la voie monarchique apparaît de plus en plus pertinente au regard des besoins du pays et de la tradition politique qui était la sienne avant l’accession au pouvoir du « Guide de la Révolution ». Plusieurs voix s’élèvent pour la promouvoir.

Le 25 juin, la Libye procédait à l’élection d’un nouveau Parlement dans une certaine indifférence. Le peuple libyen nourrit peu d’illusion à l’égard de la nouvelle « Chambre des représentants » et s’attend à ce qu’elle légifère dans les mêmes conditions que l’Assemblée sortante, à savoir sous la pression et non selon un processus vraiment démocratique. Que d’espoirs déçus depuis l’insurrection de l’opposition face au Gouvernement de Mouammar Kadhafi le 17 février 2011 et la chute du leader libyen en octobre de la même année !

Car les espoirs  étaient grands au moment d’imaginer les moyens de la transition politique. Il était question d’instaurer un nouvel ordre politique. Vaste programme. Plusieurs options s’offraient au pays, qui a finalement opté pour l’adoption d’un modèle républicain. Chacun savait que ça n’allait guère être facile après 42 années de dictature et un héritage lourd, une opposition très hétérogène et un manque manifeste de structures étatiques fonctionnelles. Mais la communauté internationale comptait sur la capacité du Conseil National de transition, puis sur le gouvernement et le Congrès Général National, pour assurer la stabilité du pays.

Malheureusement, la trop grande faiblesse de l’État au sein duquel les dirigeants ne sont pas parvenus à s’imposer, la présence de groupes armés n’obéissant qu’à des chefs guerriers locaux, les différents foyers de contestation (fédéralistes à l’est, Touaregs et Toubous dans le sud, Berbères en Tripolitaine) ainsi que le phénomène de retribalisation ont fortement compromis la transition démocratique. Les gouvernements se sont révélés incapables d’instaurer un État de droit constitutionnel.

Outre ces contraintes, le choix d’une République parlementaire est lui aussi critiquable, à bien des égards. Les élites du pays ont voulu aller trop vite, sauter des étapes pourtant nécessaires à l’avènement progressif d’un modèle démocratique. « La démocratie ne se fera pas du jour au lendemain. C’est, non seulement, une question de durée, mais ce sont aussi les structures sociales qui doivent être transformées. Les démocraties occidentales ne se sont pas construites en un jour et il n’y a pas de raison pour qu’il en soit autrement en Libye, comme d’ailleurs dans les autres pays arabes », a fait valoir Moncef Djaziri, professeur à l’Institut d’Études Politiques et Internationales de l’Université de Lausanne (Suisse) et spécialiste reconnu du système politique libyen dans un article écrit pour l’Observatoire de politiques euro-méditerranéennes.

Depuis quelque temps, il se murmure parmi les têtes pensantes au pouvoir qu’une monarchie constitutionnelle serait non seulement envisageable, mais aussi la solution la plus à même de réunifier le pays et restaurer l’ordre. Le 25 mars 2014, c’est le ministre des Affaires étrangères Mohammed Abdelaziz lui-même qui a estimé qu’un « retour de la monarchie al-Senussi est aujourd’hui la solution et la garantie pour le retour de la sécurité et de la stabilité en Libye ». « Nous avons déjà commencé à nouer des contacts et sommes en relation avec des dignitaires et des chefs de tribus libyennes», a-t-il ajouté.

Il a également fait savoir que la Constitution de 1951, établissant une monarchie constitutionnelle après la guerre et l’indépendance proclamée en 1949, était en cours de révision. Il a ajouté que le texte de cette Constitution était, du point de vue de beaucoup de spécialistes, l’un des meilleurs de l’époque. Élaborée par des représentants des trois provinces de Libye et prenant appui sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, elle instaurait un régime équilibré pour un État islamique réformiste consacrant les libertés fondamentales. Elle prenait garde de laisser la souveraineté aux mains de la nation tandis que le Roi exerçait le pouvoir exécutif dans les limites de la Constitution, avec un gouvernement responsable devant le Parlement bicaméral dont la chambre des représentants pouvait être dissoute. Elle assurait la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

À plus d’un titre, ce texte est tout à fait adaptable aujourd’hui. Bien entendu, il faudrait apporter quelques précisions relatives aux droits des femmes, des minorités ou encore au droit de propriété. Mais cette Constitution n’aurait aucun mal à prendre racine puisqu’elle émane directement de la tradition politique libyenne depuis son indépendance, avant que les longues années de dictature viennent anéantir ses chances de prospérer.

Le peuple libyen, s’il est partagé, n’est pas fondamentalement opposé à un régime de cette nature. Les Libyens en sont très loin (de la démocratie NDLR), raison pour laquelle la transition sera très difficile et laborieuse. Dans ces conditions, un retour à l’autoritarisme n’est pas exclu, car les Libyens ont besoin d’abord de sécurité et de bien-être, c’est ce qui ressort de plusieurs sondages d’opinion récents. Pour cela, ils sont prêts à accepter un pouvoir autoritaire qui leur assure la sécurité et un certain bien-être, qui les réconcilie avec eux-mêmes et avec leur histoire et les fasse progresser lentement vers la liberté » analyse encore Moncef Djaziri.

En effet, les Libyens aspirent à pouvoir de nouveau évoluer dans un environnement sécurisé et réclament un leader capable d’incarner l’unité du pays et la souveraineté du Gouvernement. À ce jour, ce chef charismatique tant attendu n’a pas encore pointé le bout de son nez. La monarchie constituerait une voie alternative qui permettrait de fédérer les différents acteurs du pays autour d’une nouvelle autorité étatique, tout en assurant une continuité avec la tradition politique du pays. C’est en tout cas la voie de transition la plus cohérente avec les exemples qui ont marqué l’histoire de la démocratie.

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