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Billet de blog 17 octobre 2013

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Coupe du monde de foot au Qatar : la mort s’invite à la fête

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Deux poids, deux mesures. Quel poids a la vie d’un ouvrier au Qatar ? Pas lourd, à côté de l’enjeu que représente le Mondial de football qui se tiendra en 2022 dans la monarchie pétrolière.Le quotidien anglais The Guardian dénonce la mort de quarante-quatre ouvriers de nationalité népalaise cet été, sur les sites en construction. Pendant ce temps, la FIFA, la Fédération internationale de football association, semble faire la sourde oreille. Dans tous les cas, si elle s’est dite préoccupée, elle est restée très discrète.

 Même si les dires du Guardian ont choqué et ont été repris par différents organes de presse à travers le monde, la majorité des médias sportifs ne rendent pas compte de la réalité sur place. Ils ne traitent pas de l’information et encore moins du silence assourdissant de la FIFA. Si rien n’est fait le pire va, hélas, se produire : de nouveaux ouvriers vont périr sous le signe de la démesure et de l’argent roi. C’est ce que prédit la CSI, la Confédération syndicale internationale. À ce rythme, comme prévu, la Coupe du monde de football se déroulera en 2022. Aujourd’hui, peu de monde se préoccupe de savoir que d’autresouvriersvontmourir afin d’achever de construire les infrastructures de Lusail City. 

Comme la FIFA, le petit royaume du Qatar est peu montré du doigt. À la tête de cet émirat du Golfe, règne en maître absolu, la famille Al-Thani. La monarchie ne semble pas compter les morts, quantité négligeable quand les pétrodollars coulent à flots. Les enjeux sanitaires et de sécurité publique sont ignorés. C’est la CSI qui a fait part du nombre de victimes, et les chiffres sont accablants : en 2013, 83 Indiens et 119 Népalais ont trouvé la mort, soit 202 travailleurs émigrés décédés dans les neuf derniers mois. En moyenne, un ouvrier meurt chaque jour. Malheureusement, ces statistiques ne risquent pas de baisser : ce sont 500 000 travailleurs du sous-continent indien de plus, que le Qatar s’apprête à accueillir pour prêter main-forte à ceux déjà sur place.

Dans le petit émirat du Qatar, 99 % de la main-d’œuvre est composée de travailleurs immigrés. Si les travailleurs qataris, 225 000 environ, peuvent se regrouper en syndicats et faire valoir leurs droits, y compris celui de grève, les presque 2 millions d’immigrés, non.

Les ouvriers ne succombent pas forcément à la suite d’accidents du travail, mais de leurs conditions de vie : treize heures de travail quotidiennes au minimum, aucune protection juridique et des températures extrêmement élevées. Certains meurent d’éreintement ailleurs que sur les chantiers. Résultat, pour leurs employeurs, ce ne sont pas des accidents de travail et aucune indemnisation n’est possible.

Cette indifférence et ce désintérêt peuvent s’expliquer par ce qui est appelé la kafala, un dispositif dans lequel l’ouvrier étranger est totalement soumis à son employeur qatari. Dans la pratique, il ne peut pas changer de travail sans l’accord de ce dernier, il rencontre aussi les pires difficultés s’il décide de quitter le pays. Ce système est pervers. Ainsi, Human Rights Watch rapporte que si un ouvrier immigré change de travail, ses employeurs qui sont, par le biais de la kafala, des tuteurs ou des parents adoptifs, peuvent lui reprocher d’avoir voulu fuir et le faireemprisonner.

Quitter le Qatar est une autre paire de manches, car les travailleurs étrangersdoivent obtenir leur visa de sortie via leurs employeurs. Il est fréquent qu’ils soient maintenus de force, à plus forte raison quand un contrat nécessite un « arbitrage ».

Dans ce dossier, la FIFA foule les valeursmêmes du sport. Il est urgent qu’elle interdise la kafala. En attendant, elle a fait savoir qu’elle allait à nouveau s’entretenir avec le pouvoirqatari. Mais en attendant, combien de morts ? Et pour quels résultats in fine ? 

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