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Imprimeur, ancien de l ecole Estienne promo 1987, éditeur, journaliste, historien de la presse, politologue, psychotechnologue de la communication numérique et sur l'intelligence artificielle

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Billet de blog 23 février 2018

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QUEBEC IA, Métiers, travail et formation

DU QUEBEC.INK, AU QUEBEC.COM, LE NUMÉRIQUE DANS LA SOCIÉTÉ À L'ÈRE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE OU LE NOUVEAU VIRAGE TECHNOLOGIE NÉCESSAIRE DU QUÉBEC DU XXIe SIECLE.

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Illustration 1
le futur de notre vie numérique passe par l'intelligence artificielle

« Les racines historiques d’un projet de société autour du numérique et de l'intelligence artificielle appartient à tout le monde, car ce défi concerne tout le monde. » Éric Le Ray

Un train de retard, ou les résistances des politiques et des universitaires face au nouvel humanisme numérique contemporain

De 2006 à décembre 2008, j’ai coordonné la réalisation et la publication d’un ouvrage collectif avec 30 auteurs autour de la bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique publié aux Presses de l’Université de Montréal (PUM) deux ans avant la sortie de l’iPad en avril 2010Aujourd’hui, le passage du Québec.ink au Québec.com, comme l’explique Michel Cartier, auquel je rends hommage ici, m’oblige à continuer ma réflexion sur ce sujet et je prends l’initiative d’organiser et de coordonner la réalisation d’un nouvel ouvrage collectif sur le QUÉBEC IA, Métiers, travail et formation. Du Québec Ink au Québec Com, le numérique dans la société à l'ère de l'intelligence artificielle ou le nouveau virage technologique du Québec du XXIe siècle ! qui ne sera pas limité à l’imprimerie, l’édition ou la presse comme on le comprend dans le titre.

Après avoir organisé quatre forums TAB-ePaperWorld dans lesquels j’ai invité la plupart des acteurs de la numérisation et du papier électronique au Québec et en France dans l’imprimerie, l’édition et la presse, avec une première mondiale quand E-Ink a présenté son premier écran couleur pour le marché Chinois, le TRITON, à l’UQAM en 2010, il s’agira, cette fois, de faire le point sur la place du numérique dans la société québécoise et sur le projet de plan numérique éventuel qui a été au cœur des débats depuis septembre 2014 lors d’un forum sur les idées qui portait sur l’innovation. Un débat sur un projet de plan numérique, qui concerne donc l’ensemble des secteurs de la société québécoise. Il fut organisé par Jean-François Garneau en partenariat avec le gouvernement libéral québécois et l’Institut de Gouvernance numérique (IGN) dirigé par Jean-François Gauthier. Suite à cette rencontre, le gouvernement libéral du premier ministre Philippe Couillard a déposé le 20 mai 2016 un « Plan d’action en économie numérique, pour l’excellence numérique des entreprises et des organisations québécoises ». S’il a été accueilli favorablement par les organismes de recherche comme le CEFRIO [1]et le milieu des affaires qualifiant ce plan « de démarche nécessaire et encourageante, tout en signalant qu’il s’agit de sommes modestes face à l’ampleur de la tâche »[2]les partis d’opposition, les syndicats ou les spécialistes étaient plus réservés.

Les choses avancent doucement alors que le numérique innove chaque jour et que chaque jour il prend une place de plus en plus dominante dans tous les secteurs de la société civile, avec un impact immédiat et de façon transversale, depuis quelques années, sur les métiers, le travail et les formations. Le forum sur le développement socialement responsable de l’intelligence artificielle[3]de novembre 2017 a repris en compte ces préoccupations alors que Montréal et le Québec deviennent une plaque tournante de la réflexion autour de ce nouvel enjeu du XXIe dans certains milieux universitaires, comme le MILA ouvert aux liens avec le milieu des acteurs socioéconomiques du numérique. Un milieu traditionnellement fermé à ces liens alors que le numérique n’est que la première étape d’un changement plus globale de société ou de civilisation.

La révolution de l’intelligence artificielle semble bousculer les acteurs et certains universitaires qui en sont encore à se demander, par manque d’inspiration et surtout de vision, comment le Québec va adopter le numérique alors que les enjeux ne sont plus là depuis longtemps. Je pense en particulier au colloque sur « la numérisation généralisée de la société : acteurs, discours, pratiques et enjeux » qui était organisé à l’UQAM, à Montréal, en mai 2018. Pour les politiques, le 13 décembre 2017, la ministre Dominique Anglade a présenté la Stratégie numérique du Québec de son gouvernement, fruit des réflexions entreprises depuis 2016, en dépensant plus de 170 000 $[4]. Une somme évaluée dans un premier temps à 50 000$ dans l'article de Pascal Dugas Bourdon dans le Journal du Québec du 24 janvier 2018 et réévalué à la hausse en mai 2018 par le même journaliste dans Le Journal de Montréal [5]. Un "scandale" pour Mireille Jean, critique péquiste en matière d'économie numérique, à l'époque, remplacé aujourd'hui par Michelle Blanc devenu candidate pour le PQ dans Mercier depuis juin 2018 pour les prochaines élections provinciales. Michelle portera le projet de la stratégie numérique pour le PQ tout en étant consciente que le projet dépasse le côté partisan d’un parti politique. Tous les citoyens étaient invités à se préparer à ce « tsunami numérique »[6]ainsi que tous les acteurs socioéconomiques du Québec. Ces derniers ont été conviés « à se placer en mode solution face aux bouleversements provoqués par la révolution numérique » lors d’un symposium organisé, les 31 janvier et 1er février 2018, au Centre des congrès de Québec. Peu importe le parti la stratégie numérique pour le Québec du XXIesiècle devrait devenir un enjeu électoral car c'est un élément essentiel pour l'avenir du Québec, du Canada et du monde occidental. Il faut le dire ce n’était pas le cas jusqu’à présent.

Cependant le constat est ainsi fait que la société civile a tendance à avancer seule depuis des années dans ce qui devient les bases d’une nouvelle civilisation du numérique, mais on sent que les acteurs socioéconomiques, les politiques comme les universitaires, commencent à s’intéresser à ce secteur porteur de restructuration sociale, mais aussi de restructuration économique porteuse de nouveaux emplois. Le rendez-vous du gouvernement libéral du Québec de 2018 s’intitulait « Prévenir le tsunami numérique : un défi pour l’emploi dans la Capitale-Nationale ». On espère que malgré un train de retard, ces universitaires et ces politiques, seront rattraper les vrais acteurs de la société civile de ces changements qui préparent les bases de notre future vie numérique qui se fait pour l’instant sans eux !

 La nouvelle économie numérique de la demande doit s’arrimer à l’ancienne pour se développer

Sylvain Carle [7], invité au groupe de réflexion gouvernemental en 2016 qui a précédé le dépôt de ce plan, reste « mi-figue, mi-raisin », « parce que le plan d’action en économie numérique (…) n’est encore qu’un petit début. Je crois qu’on a su identifier les bonnes priorités, les bonnes pistes d’actions. On va annoncer des projets porteurs, des initiatives de soutien, des millions en investissements…mais quand on va comparer le montant alloué au numérique à celui du plan nord (et des ressources naturelles) on verra bien qu’on est très loin du plan nerd (…) on sera sérieux quand on aura autant (ou plus) de budget pour l’économie du 21esiècle que pour celle du 20e ». Si Sylvain Carle entrevoit l’idée que l’État coordonne avec le privé une consultation publique, par une sorte de cocréation via le web, pour élaborer une stratégie numérique qui chapeautera les différents plans d’action par secteurs[8], positivement, le chantier n’en est qu'à son début. Surtout que les acteurs du milieu réclament de l’action depuis le Forum des idées organisé en 2014 et plus de débats ou de rapports. Il faut réviser les lois, la fiscalité et développer de nouvelles relations de travail.

 Plan 2016 du gouvernement couillard, cinq axes, 28 mesures

 Dans les cinq axes d’intervention du plan d’action du gouvernement couillard présenté en mai 2016 au grand public, on nous parle de stimuler les innovations par les technologies et les données, d’accélérer la transformation numérique des entreprises et l’adoption du commerce électronique, de renforcer la position du secteur des TIC comme chef de file mondial, de se doter des compétences numériques requises et enfin d’assurer un environnement d’affaires attrayant et favorable au déploiement du numérique. Dans les 28 mesures, on y parle de recherche en mégadonnées, de création d’un fonds d’amorçage pour les jeunes entreprises innovantes, de l’accompagnement des entreprises dans leurs efforts de transformation numérique, d’un nouveau crédit d’impôt pour les grands projets de transformation, d’un appui aux incubateurs d’entreprises, d’une campagne de sensibilisation, de la formation des jeunes, etc. Les enjeux sont importants et pas seulement ceux reliés à l’économie. Il en va de la place de la culture francophone, de l’identité québécoise dans un marché où la mondialisation doit être un réflexe naturel et non plus seulement un débat idéologique pour ou contre. Un enjeu d’autant plus important que la ministre responsable de la Stratégie numérique, Dominique Anglade, a noté, explique Pierre Saint-Arnaud[9]dans les colonnes du Devoir, que « seulement 20% des entreprises québécoises ont un site web et un nombre encore plus restreint, soit 12%, a une capacité de réaliser des transactions par Internet ». Mais le village global de McLuhan n’est plus un débat justement, car il n’est plus un projet ; il est une réalité ici et maintenant depuis longtemps. Le retard est flagrant !

 Jean-François Codère [10], dans le journal La Presse, analyse rapidement les 5 axes d’intervention et les 28 mesures accompagnées d’un budget de près de 188 millions de dollars sur cinq ans, associés à 100 millions destinés aux infrastructures d’accès à Internet à haute vitesse, particulièrement en région. Il souligne que le gouvernement souhaite atteindre le 30 mégabits/seconde partout dans la province d’ici 2021. Pour les partis d’oppositions comme le PQ[11]c’est pour lui la preuve que le parti libéral n’a pas de stratégie numérique et qu’il ne fait qu’improviser, précise Mireille Jean, députée de Chicoutimi et porte-parole du Parti Québécois en matière d’économie numérique. Pour la CAQ, par l’intermédiaire de son porte-parole en matière d’innovation, André Lamontagne [12], ce n’est pas un véritable plan stratégique pour voir émerger le Québec numérique, mais une simple feuille de route peu ambitieuse. « S’il a au moins le mérite de poser le bon diagnostic, le document présenté (…) contient peu de pistes de réponses concrètes et efficaces pour appuyer et accompagner les entreprises québécoises dans le virage numérique inévitable ». La CAQ valorise une approche globale et non en silo comme chez le parti libéral. C’est en tout cas l’argument avancé par leur représentant en matière d’innovation.

Petits moyens pour un grand défi

 Michelle Blanc [13]relève pour sa part que ce dépôt d’un Plan d’Action en Économie numérique du Québec s’est fait dans l’indifférence du grand public ou des médias. Même les partis d’opposition sont restés assez discrets sur leurs analyses de ce plan d’action. Peut-être parce que la révolution numérique pour le grand public est déjà une réalité dans le quotidien des gens d’après les études du CEFRIO et qu’il n’est pas forcément nécessaire d’avoir un plan venant de l’État pour faire avancer les choses. Pierre Saint-Arnaud [14]rapporte les propos du président-directeur général du Conseil québécois du commerce de détail, Léopold Turgeon, à ce sujet : « Le consommateur est sur la tablette et le téléphone intelligent et nous, on est en retard ». Ce dernier ajoute : « C’est la première fois que le consommateur est en avance sur les détaillants et ça demande un ajustement majeur, mais les petits détaillants ont peu de moyens et peu de ressources humaines pour aller de l’avant »[15]

 L’analyse de Michelle nous permet cependant de nous montrer les vrais enjeux pas pour ceux qui sont déjà dans cet univers, mais pour la population qui ne prend pas forcément conscience « des changements qui sont déjà là et qui continueront de s’accélérer » même s’ils sont équipés de la technologie numérique mobile dernier cri. Comment réussir cette vie numérique qui s’impose à nous, s’interrogeait Dominique Forget [16]dans un dossier de l’Actualitéde novembre 2014, pour éviter d’en être exclu ? Internet devient en effet comme l’électricité, invisible, vital et ne peut fonctionner sans elle. Une nouvelle révolution se bâtit sur une ancienne, comme la nouvelle économie se construit à partir de l’ancienne. Michelle Blanc nous fait le portrait d’une société un peu dépassée où les acteurs ont dû se débrouiller seuls le plus souvent. Les agences de voyages, les chaines de commerce de détail, le secteur de la fabrication, du commerce en gros, du commerce de détail ou des services vendent aujourd’hui en ligne leurs produits. La délocalisation en Asie est une réalité au Québec depuis des années et pas seulement dans le secteur de l’habillement ou des industries graphiques. L’industrie du taxi va prendre de plein fouet l’arrivée des voitures autonomes ou sans pilotes et l’industrie des télécommunications affiche une réalité pitoyable qui ne sert pas l’intérêt du public, mais ses propres intérêts le plus souvent en conflits d’intérêts, car ils sont en même temps câblo-opérateur, diffuseurs de contenu, producteurs et régie publicitaire. Michelle Blanc nous rappelle que si nous visons le 30 Mbit/s pour 2021 « bien des pays du monde visent le 100 Mbps ou même le 1000 Mbps ».

 Michelle Blanc précise lors de son passage dans l’émission 24/60 animée par Anne-Marie Dussault, sur Radio Canada, le vendredi 20 mai 2016, que 100 % des citoyens de l’Europe sont équipés depuis 2013 du 30 Mbps et que l’Union européenne vise le 100 Mbps pour 50 % des citoyens européens d’ici 2020. En comparaison, la connexion moyenne au Canada est de 11,9 Mbps (21erang mondial) d’après la firme Akamai. Michelle Blanc [17]ajoute toujours dans cette même émission que ce plan manque d’ambition et si l’on compare le secteur des forêts réuni avec celui des mines on arrive à 3,2 % du PIB pour moins de  110 000 emplois, alors que le secteur des TIC représente à lui seul 4,7 % du PIB en 2014 pour plus de  130 000 emplois. Alors, pourquoi investir 51 milliards dans ces deux premiers secteurs à l’intérieur d’un plan nord contesté et seulement 300 millions dans le second ? Michelle Blanc dénonce aux gouvernements actuels du Québec une vision économique du XIXe siècle non adaptée à celle du XXIe siècle. Elle propose la création d’un ministère du Numérique et trois modèles de développement pour financer ces nouvelles infrastructures. Soit la nationalisation pure et simple comme pour Hydro Québec, mais dans le secteur du numérique. Mais si l’électricité est facile à nationaliser, comment nationaliser le numérique ? Une notion plus abstraite, plus dématérialisée et qui touche tous les secteurs de la société québécoise ? La seconde solution est dans le privé en donnant de l’argent à des compagnies, comme Bell ou Rogers par exemple, qui feront le travail, mais en risquant le monopole d’entreprises par rapport à d’autres et une confiscation des intérêts du public dans ceux des entreprises du secteur privé avec une remise en cause de la notion de service public associé au rôle contesté du CRTC. Faut-il prendre ce risque ? La troisième solution qui trouve plus de soutien est le PPP, partenariat public-privé. Nous verrons, après la consultation prévue dans les mois qui suivent le dépôt de ce second plan d’action sur l’économie, dans quelle direction le public voudra aller, vers quel projet de société il voudra opter.

 Reste que ces projets de plans d’action ne pourront se mettre en place et être soutenus qu’en préparant les esprits en amont grâce aux réseaux d’éducation de toutes sortes et grâce aux réseaux familiaux, mais aussi aux réseaux professionnels. Le directeur principal aux affaires publiques du Conseil du patronat, Benjamin Laplatte, affirme ainsi « qu’il faut une mobilisation des réseaux d’éducation au niveau de la formation continue, la formation professionnelle et technique. On peut beaucoup parler d’acquisition d’innovation technologique, il reste que l’innovation est portée par des compétences »[18]. Mais le numérique a tendance à faire fermer les portes en réaction plutôt que de les ouvrir, car on y perd beaucoup d’argent et aussi de pouvoir !

Bâtir le Québec numérique autour du nouveau virage technologique du XXIesiècle

Un projet de plan numérique aujourd’hui doit s’inscrire dans les initiatives du passé pour préparer l’avenir. La révolution d’aujourd’hui s’inspire des révolutions du passé. Un plan numérique digne de ce nom pourrait ainsi s’inspirer du projet rendu public le 6 septembre 1979 par Bernard Landry, alors ministre d’État au Développement économique du Québec. C’était un énoncé de politique économique de 523 pages intitulé « Bâtir le Québec ». Cet énoncé passe en revue tous les secteurs de l’économie québécoise et suggère des orientations à prendre pour favoriser le développement de ces secteurs. Il faut faire la même chose aujourd’hui dans le numérique pour ces mêmes secteurs. Évaluer pour chaque secteur ses besoins en développement numérique et publier un second énoncé, comme il fut fait en 1982 avec la publication de la phase II de « Bâtir le Québec » sur « Le Virage technologique » [19]. On y explique « qu’il faut miser sur l’introduction et le développement des nouvelles technologies pour permettre au Québec de sortir de la crise économique » là aussi en 1982, comme en 2016, la concertation est importante.

 Michel Cartier, un ancien typographe, un des pionniers de l’étude de l’informatisation au Québec et de son enseignement, se souvient de cette époque où en 1981 il acheta l’un des cinq premiers Apple 2 au Canada. Il assista à la création du premier club des admirateurs d’Apple. « De vrai évangélistes » se souvient Cartier pour qui les membres de ce club et leurs fans étaient de vrais missionnaires de la bonne parole, digne d’une nouvelle religion, « celle de la micro-informatique qui donne plus d’EMPOWERING PEOPLE » (plus de pouvoir aux individus et aux peuples), grâce a l’apparition de cet ordinateur individuel. Cartier donna les premiers cours sur la télématique ou la vidéo texte à l’UQAM. C’était l’apparition des premiers téléphones portables. L’apparition des premiers câblodistributeurs comme celui d’André Chagnon, dont l’œuvre sera vendu par le fils a Quebecor pour devenir Vidéotron. C’est aussi les premiers micro-ordinateurs à l’UQAM à l’initiative de Jean-Paul Lafrance fondateur du département de communication. IBM fournissait encore les premiers matériels informatiques et on voyait les prémices du multimédia avec le TELIDON de chez NORPAC au Québec ou l’Antioche en France. Michel Cartier va fonder entre 1990 et 1992 un des premiers réseaux de veille sur les technologies RVTI au Québec qui va prendre la forme d’une création collective en réunissant différents chercheurs d’univers tout aussi différents.  À partir de ses analyses et de ses cours, Cartier publiera un de ses premiers livres sur le sujet aux éditions Fides en 1997 sur « Le nouveau monde des infostructures ». Les réflexions de Cartier semblent, parmi d’autres sources d’informations américaines ou européennes, avoir inspiré Louis Berlinguet qui va produire un rapport, tout aussi important que l’énoncé sur « Le Virage technologique »de 1982, sur « L’inforoute Québec, Plan d’action pour la mise en œuvre de l’autoroute de l’information ». Il sera rendu public en juillet 1995. En 2000 le réseau RVTI de Cartier devient le réseau Constellation avec un site web puis autour de 2013 le réseau devient le réseau du XXIe siècle. En 2016 les résultats des recherches sont confrontés à la logique internationale du multiplateformes qui nécessite une traduction des textes en plusieurs langues. Une difficulté supplémentaire, car chaque langue à ses concepts et chaque concept à son langage qu’il est difficile de traduire.

 1995 – 2000 : période charnière pour le Québec numérique

 En 1995 c’est l’apparition de la Toile du Québecfondée par Yves Williams et Chrystian Guy, un ancien du Devoir.Elle va compter jusqu'à 45 000 sites internet avant d’être fermée par Quebecor[20]en novembre 2014. Marc Copti et Normand Drolet fondent la société Netgraphe. En mars 1996 est fondé Canoé, un portail informatique bilingue québécois. Canoé tire son nom de l’acronyme Canadian online Explorer. Ces différentes entreprises seront regroupées comme on le sait au sein du groupe Quebecor Médias. 1996 c’est aussi la naissance de Thot Cursus fondé par Denys Lamontagne. Un site dédié à la promotion de la formation et de l’utilisation des outils numériques pour l’éducation et la culture. On trouve sur cette plateforme des articles sur les stratégies et pratiques pédagogiques relatives à l’utilisation des outils numériques pour l’éducation et la culture. Lamontagne donna ce nom de Thotà son projet, car il est l’inventeur de l’écriture et patron des scribes, Thot est aussi le Dieu de la connaissance. Lamontagne fut un pionnier en matière de formation à distance.

Entre 1996 et 1997, les PUM vont fonder une Direction des publications électroniques dont les activités porteront principalement sur la transition des revues savantes vers le numérique. Le projet pilote fut mené par Guylaine Beaudry, dans le cadre de sa formation à la maitrise de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, sous la direction d’Yves Marcoux, autour de deux revues : Géographie physique et quaternaire et Surface. Martin Boucher, Tanja Niemann et Gérard Boismenu vont encadrer cette initiative et vont ainsi fonder la première maison d’édition numérique du Québec, Érudit, qui va influencer aussi de nombreux projets à l’étranger. Guylaine Beaudry devenue directrice d’Érudit va coordonner pour l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL) la première étude sur « Les enjeux de l’édition du livre dans le monde numérique ». Une étude réalisée à l’été 2007, auquel j’ai modestement participé et qui va permettre à l’ANEL, en partenariat avec la société De Marque[21], de créer la première plateforme numérique du Québec en 2008 autour d’un ensemble de livres numériques en association avec différents éditeurs. Une plateforme de plus de 17 000 ouvrages québécois ou canadien français, que l’on nomme aujourd’hui l’Entrepôt numérique[22]

Au tournant des années 2000, Henri-François Gautrin va sortir son rapport sur le Gouvernement en ligne vers un Québec branché pour ses citoyens, il sera rendu public en juin 2004. Michelle Blanc, après la soutenance de son mémoire de maitrise en commerce électronique en aout 2003, va y collaborer avant d’entreprendre elle-même une campagne de sensibilisation. Michelle va être rejointe, suite à son billet sur Le Québec en retard sur le Canada sur le plan des acheteurs en lignediffusée le 22 octobre 2008, par Patricia Tessier membre de l’organisation Yulbiz.org, par l’intermédiaire d’une lettre adressée à Jean Charest. Elle sera relayée le 28 octobre sur différents blogues http://www.michelleblanc.com/2008/10/28/lettre-ouverte-au-premier-ministre-du-quebec/et dans les médias traditionnels. Cette campagne de sensibilisation va se poursuivre en juin 2010 par un colloque du CEFRIO pour un Québec numérique et performant ! Puis le 16 octobre 2010 Communautique lance un nouvel appel au gouvernement du Québec pour un plan numérique http://www.communautique.qc.ca/reflexion-et-enjeux/internet-citoyen/manifeste-plan-numerique.html. En novembre 2012 un rapport d’étonnement sur Un Québec numérique : qu’attendons-nous ? Http://www.michelleblanc.com/wp-content/uploads/RapportEtonnement_final.pdfest rédigé par une douzaine de spécialistes de la question.

 Septembre 2016 sortons nous enfin du Thiers-monde numérique ?

Michelle Blanc rappelle dans un billet du 9 septembre 2016 qu’il est de plus en plus question des infrastructures numériques au Québec et au Canada. La consultante vedette au Québec sur ces questions numériques ne cache pas sa satisfaction tout en insistant sur la nécessité d’investir dans les infrastructures numériques en proposant à chaque citoyen et citoyenne québécoise une large bande passante digne de ce nom pour permettre au Québec de sortir du tiers-monde numérique[23]dans lequel se trouve cette province francophone canadienne depuis des années.

Comme le souligne Sophie Bernard[24]suite à la présentation de son plan d’action suivit d’une consultation visant à doter le Québec d’une stratégie numérique, à partir du 26 mai 2016, la ministre de l’Économie, de la Science et de l’innovation, Dominique Anglade, a dévoilé le 14 septembre 2016, la plateforme Objectif numérique[25], mise en place dans le cadre de la consultation. Cette plateforme sera utilisée par le gouvernement du Québec afin de recueillir des avis sur sept thèmes[26]pour lui permettre d’élaborer une politique sur le numérique qui devrait être dévoilée au printemps 2017. On parle ainsi des thèmes autour des infrastructures numériques; du développement économique à l’ère du numérique; l’administration publique; l’éducation et le développement des compétences numériques; les villes et les territoires intelligents; la santé et le numérique et enfin la culture numérique. Pour soutenir les entreprises québécoises dans l’adoption de technologies numériques, le programme PME 2.0[27]a été aussi mis en place par le CEFRIO, à la demande du ministère, pour soutenir la productivité des PME québécoise par le numérique et participer à cette mise en place d’une stratégie numérique globale.

 Martin LaSalle[28]analyse cette quatrième révolution du numérique, associé à une nouvelle vague de mondialisation, qu’il considère à tort industriel alors qu’elle est surtout postindustrielle et postcapitaliste. Il a raison cependant de rappeler que si des millions d’emplois vont disparaître dans le monde d’ici 20 ans, d’autres, encore inconnus, seront créés. Mais c’est déjà le cas depuis la naissance d’Internet dans les années 1980. On a déjà perdu des millions d’emplois et on en a créé des millions aussi avec Internet, mais aussi avec les trois révolutions industrielles associées à différentes vagues de mondialisation qui ont précédé cette révolution du numérique. N’est-ce pas aussi le propre des révolutions ou des innovations qui s’enracinent dans les anciennes révolutions ou dans les anciennes innovations ?

 Le numérique perturbe le monde du travail avec une automatisation qui tend à faire reculer le modèle salarial dans tous les secteurs de l’économie confrontée à une mondialisation toujours plus proche de nous grâce aux nouvelles technologies comme l’avait présenté Mc Luhan avec sa célèbre notion de villages globaux. Plus que le modèle c’est aussi la valeur du travail qui en vient à être contesté face à la dictature et l’illusion du gratuit. L’atomisation du travail qui en résulte permet aussi de moins au moins aux individus de se regrouper « pour exiger de meilleures conditions de travail ». La mondialisation met en péril les modèles sociaux progressistes vus comme un handicap alors qu’ils étaient vus comme un progrès il y a peine quelques années. Ils mettent à leur tout en péril les économies locales alors que ces modèles sociaux semblaient avant en être le moteur. La concurrence est féroce, mais en même temps permet à un plus grand nombre d’acteurs d’intervenir dans le marché et d’y grignoter sa modeste part. Les transferts technologiques et de savoir-faire accentuent cette concurrence des modèles sociaux et des modèles économiques, cette réalité du village globale, car elle touche notre portefeuille et notre autonomie financière.

 Dans le même temps, analyse Michelle Blanc[29], cette révolution du numérique permet le développement du travail à domicile avec pour effet de réduire le trafic routier, les congestions routières. On économise de l’énergie, on limite la pollution et l’utilisation d’espaces commerciaux. On développe de nouvelles sources d’énergie avec des technologies nouvelles comme le train ou la voiture électrique. Cela favorise le développement et la croissance des régions qui avaient tendance jusqu'à maintenant à perdre leurs populations. On assiste petit à petit à une décentralisation et à un désengorgement des centres urbains en proportion du développement des réseaux numériques à large bande passante. « La connexion permet de travailler de n’importe où sur cette planète ». N’importe où pour n’importe qui !

 Face à cette numérisation globale, la société civile, les partis politiques et les représentants de l’État réagissent chacun en fonction de leurs opinions politiques ou leur rapport au projet souverainiste québécois ou fédéraliste canadien. On l’a vu récemment Martine Ouellet candidate à la chefferie du Parti Québécois propose un projet de nationalisation des accès à internet pour obtenir des tarifs plus uniformes[30]ou des télécommunications[31]. Les libéraux ont une autre position plus libre marché. La CAQ propose une solution globale qui ne semble vouloir ne rien dire. Le PQ semble rejoindre les positions de QS ou d’Option national puisque l’État, pour eux, doit être présent dans ce marché. Les conservateurs ont aussi une autre position plus libertarienne ou classique libérale, où l’État au contraire doit être absent de ce marché. En fait il existe plusieurs modèles de développement numérique, plusieurs modèles d’affaires ou le gratuit est en concurrence avec le payant.

 2017-2018 encore des résistances à la conversion au nouvel humanisme numérique 

Mais au-delà des modèles d’affaires, les régions développées coexistent avec des régions sous-développées au sein d’un même pays comme le Canada ou d’une même province comme le Québec. Au niveau des relations internationales, les sociétés traditionnelles vivent en parallèle ou en même temps qu’avec des sociétés évolutives modernes connectées. Des sociétés sous-développées avec les sociétés dites développées, des sociétés moteurs, centrales, avec des sociétés périphériques.  Comme le souligne Jean-François Fogel et Bruno Patino il faut conserver un peu de modestie numérique, car « malgré l’abondance des écrans qui nous entourent, malgré ces téléphones portables si souvent tenus en main, malgré les ordinateurs, les consoles, les télévisions, les tablettes et les liseuses, l’homo sapiens n’est pas devenu homo numericus ». Les auteurs du livre sur la condition numérique[32]ajoutent que « la parole, les gestes, les mimiques restent d’usage courant dans les échanges au sein des sociétés humaines ». Le fait que différents modèles de développements coexistent dans un même village global empêche les gens de vivre au sein d’une pure société de communication numérique ou le temps de l’homme coexiste avec le temps de la connexion permanente universelle. Où les trois humanismes identifiés par Claude Lévi-Strauss[33]comme l’humanisme aristocratique de la Renaissance, l’humanisme bourgeois et l’humanisme démocratique, qui ont permis l’émergence de la science et de la technique après les temps de la religion et de la philosophie, laissent place à un nouvel humanisme numérique. Mais cette conversion du monde analogique au monde numérique explique Milad Doueihi, ne va pas sans résistances, car l’enjeu d’aujourd’hui est de « Réussir ou non sa vie numérique »[34]source d’une nouvelle forme d’intégration ou d’exclusion sociale. On le voit au Québec dans le transport avec Uber, dans les médias, la presse, la télévision, l’édition, dans le secteur de la santé ou de l’éducation. Dans tous les secteurs de la société québécoise où le numérique a un impact.

Éric Le Ray Ph.D.

Psychotechnologue de la communication numérique

et de l’intelligence artificielle

[1]Le CEFRIO accueille très favorablement le Plan d’action en économie numérique du gouvernement du Québec, Communiqué de presse, 20 mai 2016

[2]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/471499/de-petits-moyens-pour-relever-l-immense-defi-numerique

[3]https://sites.grenadine.co/sites/forumiaresponsableumontreal/fr/forumiaresponsableumontreal

[4]Pascal Dugas Bourdon, « 50 000$ pour une conférence de presse sur la Stratégie numérique ». Le Journal de Québec, 24 janvier 2018

[5]Pascal Dugas Bourdon, « Le lancement de la stratégie numérique a coûté 170 000$ », Le Journal de Montréal, 03 mai 2018.

[6]Martin Lavoie, « Québec se prépare au « tsunami numérique », Le Journal de Montréal, 06 décembre 2017

[7]https://medium.com/@froginthevalley/de-plans-et-de-stratégies-du-numérique-à-léconomique-déception-et-espoir-3dc574ade3e#.w8mo0iez1

[8]Économie numérique 2016, secteur culturel juin 2014, celui sur les technologies de l’information au sein du gouvernement dévoilé en 2015, un prochain en 2017 sur l’éducation puis ce sera autour de la santé

[9]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/471499/de-petits-moyens-pour-relever-l-immense-defi-numerique

[10]http://affaires.lapresse.ca/economie/technologie/201605/20/01-4983564-quebec-investit-288-millions-pour-le-numerique.php

[11]http://pq.org/nouvelle/plan-gouvernemental-pour-leconomie-numerique-mais/

[12]https://coalitionavenirquebec.org/fr/blog/2016/05/20/strategie-numerique-toutresteafaire/

[13]http://www.michelleblanc.com/2016/05/24/la-strategie-numerique-du-quebec-cest-sans-doute-pour-avoir-un-meilleur-facebook/

[14]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/471499/de-petits-moyens-pour-relever-l-immense-defi-numerique

[15]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/471499/de-petits-moyens-pour-relever-l-immense-defi-numerique

[16]L’actualité, Réussir sa vie numérique, volume 39, numéro 15, 1er novembre 2014

[17]http://www.michelleblanc.com/2016/04/07/le-quebec-et-sa-vision-economique-du-19e-siecle/print/

[18]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/471499/de-petits-moyens-pour-relever-l-immense-defi-numerique

[19]Ministère d'État au Développement économique, «Le Virage technologique. Bâtir le Québec, phase II: programme d'action économique 1982-1986», gouvernement du Québec, 1982, 248 p.

[20] Jean-Francois Codère, « La Toile du Québec n’est plus », La Presse, 21-11-14

[21]http://www.demarque.com/qui-sommes-nous/

[22]http://anel.qc.ca/dossiers/lentrepotumerique/

[23]Michelle Blanc, « Pourquoi devrions-nous investir massivement dans les infrastructures numériques », 09-09-2016. http://www.michelleblanc.com/2016/09/09/pourquoi-devrions-nous-investirmassivement-dans-les-infrastructures-numeriques

[24]Sophie Bernard, « Dominique Anglade présente une étape de plus vers la stratégie numérique du Québec », Le Lien multimédia, 19-09-16

[25]www.numerique.economie.gouv.qc.ca

[26]Agence QMI, « Sept thèmes pour les consultations en vue d’une politique sur le numérique », 13-09-16.

[27] http://www.pmenumerique.ca

[28]Martin Lasalle, « La quatrième révolution industrielle sous la loupe des chercheurs », Le Devoir, 06-02-16.

[29] idem

[30]Agence QMI, «  Martine Ouellet prête à nationaliser l ‘accès à internet et aimerait des tarifs uniformisés » 29-09-16

[31] Lia Lévesque, « Ouellet prête à nationaliser les télécommunications », Le Devoir, 30-08-16

[32] Jean-François Fogel – Bruno Patino, La condition numérique, essai, Ed Grasset, 2013

[33]Mélanie Le Forestier, Notes de lecture sur le livre Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Sciences de la société, 92 – 2014, pp.209-210.

[34]L’Actualité, novembre 2014

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