N’en pouvant plus du «béni oui-ouisme» et de la bien-pensance de Télé Matin, ne supportant plus cette télévision et ces chroniqueurs qui étaient d’abord des idéologues chroniques, nous avions rejoint, en famille, Canal + et sa Matinale en 2005. C'était au lendemain du réferendum et de la victoire du non. Pendant une semaine télé-matin avait invité aux quatre vérités des supporters du oui pour nous expliquer combien ce vote étaient celui de la peur, du racisme, de la xénophobie, combien c'était -excusez moi du mot- une "connerie", une catastrophe. Bref nous n'en pouvions plus et nous nous réfugiâmes sur Canal +.
La Matinale ce fut d’abord un bain de jouvence, une éclaircie, enfin une émission d’infos matinale qui semblait plus polyphonique, en tout cas si des cloches s’y exprimaient au moins avions nous plusieurs sons …
Et puis tout doucement la petite musique monochrome, de ce qui fut un temps appelé un peu rapidement et médiatiquement la pensée unique, a commencé à prendre le dessus, à couvrir de son entêtante ritournelle toutes les autres voix.
Déjà l’an dernier quelques chroniques et chroniqueurs paraissaient particulièrement représentatifs de cette nouvelle ligne éditoriale. Mais cette année, nous atteignons un sommet en matière économique. Avec Nicolas Bouzou c’est « TINA » (There Is No Alternative) à tous les étages et surtout tous les jours.
C’est l’expert économique médiatique par excellence qui déclarait, après le sauvetage de la banque Bear Stearns par la Réserve fédérale américaine et de banques anglaises par le gouvernement britannique, dans une interview pour 20minutes.fr, en avril 2008 : "Le gros de la crise bancaire est passé. (...) C’est en tout cas le moment d’acheter en bourse pour ceux qui ont les reins solides, on est au creux de la vague, les valeurs boursières ne peuvent pas tomber beaucoup plus bas".
Quelques mois plus tard, la bourse s'effondrait,. C’est dire s’il est bon … d’ailleurs prudent il préfère habituellement ne pas trop s’engager sur la pente glissante de la prospective.
C’est l’indépendance faite homme la preuve : il a publié des notes pour la Fondation Nationale pour l'Innovation Politique, c'est à dire le think tank de l'UMP. D'ailleurs il ne s'en cache pas. Ainsi dans son CV, sur le site Asterès, il est bien précisé qu'il est « Auteur pour la Fondation Nationale pour l'Innovation Politique » (Auteur le terme -majuscule comprise- en impose et fait sérieux alors que contributeur ...) C’est dire s’il est libre et dérangeant et moderne et tout et tout …
Pour la bonne bouche et afin de savoir à qui on a affaire quelques lignes de ses déclarations sur Atlantico, site d’information sur internet qui se veut de droite et y arrive parfaitement, mérite le détour : « Nous avons collectivement vécu au-dessus de nos moyens pendant 30 ans. Les marchés nous sanctionnent aujourd’hui. Les politiques doivent agir en conséquence. (…) Le fond du problème, c’est qu’un certain nombre de pays européens ont une croissance économique trop faible depuis longtemps, un chômage de masse opiniâtre et une dépense sociale incontrôlée. »
C’est un économiste libéral cela va sans dire ... d’ailleurs … on ne nous le dit surtout pas …
C’est la nouvelle génération libérale, la précédente s’étant un peu discrédité avec la crise des « subprimes », une nouvelle est apparue et miracle nous ressert le même brouet sans surprise et surtout sans avoir rien retenu des leçons de la crise.
Il fait parti de ces intellectuels ou experts médiatiques qui trouvent dans les médias la source de leur légitimité et qui assoient leur réputation sur leur visibilité et leur visibilité sur leur réputation.
A la télévision il est présenté comme diplômé en économie et en finance, comme fondateur d’une société d'analyse économique et financière, comme enseignant et surtout comme l’auteur d’un livre qui a reçu le prix spécial du Jury Turgot en 2008 (prix qui cette année a récompensé Olivier Pastré et Jean-Marc Sylvestre c’est tout dire). A cette occasion Christine Lagarde le salua d’ailleurs comme une « jeune valeur montante » (c’est encore tout dire). Ce prix est attribué par le Cercle Turgot dont les membres d'honneur sont entre autre Christine Lagarde ; Alain Juppé ; Philippe Marini ; Philippe Douste-Blazy ; Hervé Novelli ; Hervé Morin ; Jean-François Copé ... les membres actifs par exemple Nicolas Barre directeur général délégué de la rédaction des échos ou Nicolas Baverez économiste bien connu. Parmi les vice-président on retrouve Nicolas Bouzou himself et comme membres associés la société Asterès dont il est le fondateur.
Mais dans le « civil », comme par exemple sur le site de sa société Asterès où il fut un temps présenté comme intervenant « (…) régulièrement sur LCI, i>Télé, Radio Classique, France infos… (…) consultant pour le Grand Journal de BFM » et maintenant plus simplement comme «Editorialiste sur Canal + » c'est sa visibilité médiatique qui est l'argument de vente. Légitime car passant à la télévision et passant à la télévision car légitime … le cercle vicieux est bouclé et les idées tournent en rond aussi surement qu’un poisson rouge dans son bocal.
L’honnêteté intellectuelle, ou pour le moins le sens journalistique d’un pluralisme minimal aurait pu (du ?) conduire la Matinale à avoir au moins deux chroniqueurs qui alternativement interviendraient l’un un matin l’autre le suivant. Deux chroniqueurs qui seraient porteur de point de vue différent bien évidemment.
Manifestement à la Matinale, à quelques mois des élections présidentielles, ce n’est pas ce choix là qui a été fait. En économie une seule voix s’exprimera dorénavant et ce sera celle du libéralisme économique et financier, celle d'un Auteur pour la Fondation Nationale pour l'Innovation Politique fréquentant les mêmes cercles qu'Alain Juppé ou Jean-François Copé … mais il est vrai que les succès éclatants du néo-libéralisme ont tout pour faire taire ses contradicteurs … qui de toute façon ne chroniqueront pas à la Matinale sur Canal +.
Canal + a commencé son existence en pariant sur l’impertinence, on pouvait espérer que les émissions d’infos parieraient aussi sur la pertinence, malheureusement le choix a été fait de ne donner la parole qu’aux Diafoirus moderne qui ont échangé le latin de cuisine contre les mathématiques financières, la médecine contre l’économie, mais continue à prodiguer toujours les mêmes remèdes : la saignée et la purge. Si le malade survit c’est qu’ils l’ont sauvé et s’il meurt c’est que les soins prodigués n’étaient pas assez énergiques. Mais quoiqu’il advienne leur science et leur remède ne sont pas en cause.
En guise de post-scriptum et afin de savoir définitivement à qui l'on a à faire cette citation de Christine Lagarde qui parfois se prend les pieds dans le Tapie mais parfois nous éclaire malgré elle : " Nicolas Bouzou est un précieux contributeur de la pédagogie économique"