Ce matin au cours de la matinale un échange rapide entre Maïtena Biraben et Gilles Delafon nous redonne à voir l'état dans lequel se trouve aujourd'hui l'idée démocratique. Réagissant à une remarque de la présentatrice, qui s'interroge sur la légitimité de la tutelle des marchés, Gilles Delafon, avec un air de chat satisfait, a une réplique immédiate rappelant de façon abrupte que c'est parce que l'on a été irresponsable que l'on est mis sous tutelle.
Une petite phrase comme une incidente, une banalité que l'on se dit entre ami(s); une petite phrase comme un clou sur lequel l'on revient régulièrement, sur la tête duquel l'on frappe dès que possible, pour qu'il s'enfonce, qu'il tienne, qu'il ne bouge plus et que surtout il ne ressorte plus, qu'on ne le retrouve plus jamais dans sa chaussure.
Les peuples auraient été irresponsables et les marchés se doivent donc de mettre sous tutelle ces adultes immatures, ces sots joyeux, ces enfants turbulents. Au regard de ce que l'on appelle la démocratie la chose est plaisante : le peuple qui, au final, est quand même le souverain, aurait donc agit avec légèreté, de façon parfaitement irresponsable et ne doit pas aujourd'hui s'étonner d'être mis sous tutelle.
Les marchés seraient donc un tuteur nécessaire, une sorte de Régent mis en place pour éviter au souverain de s'égarer. On pourrait longuement épiloguer sur la sagesse, la rationnalité, le sens rassis des marchés qui produisent bulles spéculatives sur bulles spéculatives, les font gonfler jusqu'à l'éclatement final, la catastrophe financière planétaire et qui de bulle en bulle, de crise en crise vacillent et titubent.
Si en moyenne sur le long terme les marchés tendent vers l'équilibre, ils le font comme l'ivrogne qui, en moyenne, marche droit . Pour autant il ne viendrait à l'idée de personne de lui demander d'ouvrir la route, d'être le premier de cordée, lui qui frole le précipice et se jette l'instant d'après contre la paroi. Mais aux marchés qui de bulle immobilière en bulle internet, de nouvelle bulle immobilière en crise des subprimes nous précipitent régulièrement dans toutes les ornières, dans le moindre le fossé, il est donné les rênes du char de l'Etat.
En fait soyons honnête, les marchés n'y sont pour rien, ils ne font qu'aller au bout de leur logique, qu'exprimer leur nature profonde. Ceux qui sont responsables au premier chef, ce sont les serviteurs du souverain, celles et ceux qui sont normalement à son service et qui depuis quelques années se targuent d'être l'élite, l'assurent qu'ils savent bien mieux que lui ce qu'il faut faire tout en se gobergeant depuis trente ans à sa santé.
Depuis maintenant plus de trente ans (les trentes piteuses) nous les voyons qui enjoignent le souverain de rassurer les marchés, de libéraliser, de privatiser, de déréglementer et de mettre en application avec constance toutes les recettes qui ont prouvé leur validité et leur efficacité en Afrique, en Amérique latine, en Amérique centrale, en Asie du sud-est. Le souverain se laisse un peu faire, parfois s'agite et même proteste, mais au bout du compte n'osant pas prendre de serviteurs lui proposant d'autre alternative il finit par laisser en place ceux de la veille qui en profitent pour accuser le souverain, c'est à dire le peuple, d'avoir été irresponsable et trouvent normal de le mettre sous tutelle.
Manifestement l'idée démocratique est un joli quolifichet, une breloque que l'on accroche au fronton de nos monuments mais il faudrait voir à ce qu'elle ne prenne pas trop de vigueur, qu'elle ne vienne pas à se renforcer et que les 99% se mettent à exiger une politique qui leur soit favorable à eux et non aux 1% qui possèdent la part essentielle des richesses.
Le peuple n'est pas irresponsable, les choix qu'il fait ne sont pas toujours les mieux éclairés, il peut se tromper mais c'est toujours parce qu'il a suivi un temps les conseils peu aviser de certains.
Ce qu'il faut dans un moment comme celui dans lequel nous sommes, ce n'est certainement pas de s'en remettre aux choix et décisions d'un petit nombre (qui se sont beaucoup trompé et pour certains beaucoup enrichis) mais au contraire une grande bouffée de démocratie, un vrai renouveau du débat démocratique. Les experts ne sont pas là pour délivrer des solutions toutes prêtes mais ils doivent exposer les raisons, les arguments, les preuves qui conduisent à proposer une solution plus qu'une autre.
Quant au peuple souverain il décidera car c'est à lui et à lui seul de le faire.