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Billet de blog 9 juin 2010

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Les auvergnats sont-ils ethniques ?

L'usage des catégories ethniques pour désigner les immigrés est-il un phénomène nouveau ?

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L'usage des catégories ethniques pour désigner les immigrés est-il un phénomène nouveau ?

Un regard même rapide sur les catégories utilisées par l’État et les élites républicaines à partir de la fin du XIXème siècle montre que la problématisation ethnique a toujours été présente. Ce fut évident dans les colonies, mais aussi parce que les républicains ne manquaient pas d’arguments raciaux (ou ethniques) lorsqu’il s’agissait de penser les populations issues de l’immigration. Les Italiens, les Espagnols… étaient souvent présentés comme des « races » spécifiques. Ce n’est pas mettre en cause l’idéal universaliste républicain que de dire que sa réalité fut relative.

Même si le souvenir de l’expérience nazie a contribué à éliminer l’usage de ces catégories après la seconde guerre mondiale, ces types d’identification des immigrés réapparaissent ouvertement sous d’autres formes à partir des années quatre-vingt. On ne parle plus de« race », mais une partie de la classe politique et intellectuelle réinvestit le thème de la différence radicale pour expliquer ce qui estprésenté comme une « crise » de l’intégration. Les mots de Musulmans, Arabes, Magrébins prennent le pas sur des problématiques sociales, économiques ou politiques. Plus étonnant encore, la notion de "culture" (initialement inventée pour contester la validité de celle de race) contribue à racialiser les comportements des personnes étrangères.

La question est alors de savoir qui est « ethnique » ? Des Noirs ou ceuxqui ne sont pas de confession chrétienne… ils n’ont, dans les faits, aucune raison d’être plus « ethnique » que d’autres, ils sont simplement minoritaires dans leur couleur de peau ou dans leurs présumées appartenances religieuses.

- Mais qu’est que ces catégories signifient pour l’historien ?

Les catégories « ethniques » sont justement une manière de ne pas fairede l’histoire. Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar était un modèle du genre : l’Afrique « n’est pas entré dans l’histoire ». Ils’agit en fait d’une vieille lune coloniale et ethnologique qui considère que certaines sociétés sont plus historiques que d’autres.

Elle illustre cette tendance à refuser l’histoire pour ceux que l’on considère comme « ethnique ». Lorsqu’il s’agit d’analyser des phénomènes contemporains, certaines populations sont alors considérées comme davantage prisonnières d’une histoire ancienne que d’autres. Viendrait-il à l’idée d’un commentateur d’analyser les actes perpétrés par un délinquant dont tous lesaïeux sont auvergnats en recourant à l’histoire de l’Auvergne du 7èmeou du 19ème siècle ? C’est pourtant ce que font nombre d’intellectuels lorsqu’il s’agit de comprendre des populations immigrées enprovenance du Maghreb. On fait comme si elles reproduisaient plus que d’autres un passé très ancien.

Or justement, lorsque l’on s’intéresse aux histoires de ces populations, onperçoit combien les catégories ethniques ne fonctionnent pas lorsqu’il s’agit d’expliquer et de comprendre. Les origines rurales ou urbaines, les appartenances sociales et territoriales, les conditions économiques d’existence, les histoires familiales, les contextes sociaux et urbains d’arrivée en France…nous disent l’essentiel. On a trop vite fait de mettre les comportements des immigrés sur le compte d’une culture et de présumer que cette culture est homogène.

- Mais si ces catégories « ethniques » ne sont finalement passi récentes, peut-on quand même parler d’une influence actuelle dumulticulturalisme américain ?

Les Français n’ont jamais eu besoin des Etats-Unis pour inventer leurs propres mots et désigner les mêmes choses. La singularité française, c’est de refuser de parler d’ethnicité et de parler de « communautés ». Depuis plusieurs années, on assiste à une inflation médiatique et intellectuelle consistant à évoquer des « communautés » pour retraduire certains problèmes sociaux. Cemot est devenu le lieu de tous les stéréotypes. Lorsqu’après les émeutes de 2005, on invite des imams, des prêtres et des rabbins à mettre en scène une réconciliation ou lorsque Brice Hortefeux se déplace en banlieue à la suite d’une altercation entre jeunes pour dénoncer le communautarisme, non seulement onlaisse pantois les habitants des quartiers populaires, mais on défend une vision ethnique de la société sans avoir l’air d’y toucher. Ces catégories communautaires ne sont qu’une manière de construire des amalgames enfermant ensemble des individus qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

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