Je ne connais pas Sarah Roubato. Je ne l'ai jamais rencontrée ni parlé avec elle. Juste quelques brefs messages échangés suite à un contact après la publication, il y a quelques jours, de son dernier billet sur Médiapart. (1) Elle ignore que j'écris ce texte.
Préambule : le buzz
La première fois que j'ai découvert le nom de Sarah Roubato, c'était ici, sur Médiapart, lors d'une nuit d'insomnie un certain 20 novembre à 5h30 du matin. Elle venait de déposer un billet sur le fil du Club. (2) J'ai cliqué, lu, recommandé le billet avec ce commentaire laconique, banal . "Merci, Sarah, pour ce beau texte". Mais le billet n'était pas banal. "Lettre" d'urgence et de résistance, texte à contre-pied, Il distillait, en ces lendemains de tueries, quelque chose de rare, profond, "dérangeant". Je savais bien que mon "merci" était autre chose qu'une politesse bienveillante.
Douze heures plus tard le billet de Sarah Roubato passait en "une" du club de Médiapart...400 abonnés le recommandèrent ! Et puis, magie du partage, très vite le texte a circulé un peu partout sur la "toile". Lu un million de fois, "liké" 300 000 ! Trois cent mille qui avaient "aimé" comme moi, comme nous au petit matin quand nous étions à peine cinq. On appelle ça un "buzz" ! De quoi vous réconcilier avec ce phénomène numérique que je pensais réservé aux niaiseries adolescentes, aux blagues, pastiches, performances et autres clashs ....On pouvait donc aussi "buzzer" avec un texte comme celui de Sarah Roubato ! Mes à-priori se sont pris une belle claque !
Puis - effet direct du buzz ? - un éditeur réputé décide de publier Sarah Roubato. Son premier livre édité ! Fin janvier sort donc, chez Michel Laffon, "lettres à ma génération". Découverte tardive, ce livre, je l'ai acheté et lu il y a seulement trois jours. Il est l'objet de ce billet.
"Lettres à ma génération" de Sarah Roubato
Ca commence, bien entendu, par la republication de la fameuse lettre qui a tant "buzzé". Puis vient une deuxième lettre qui réagit au buzz...et à ses orages! La troisième s'adresse à un marchand de légumes. La quatrième à... son "indifférence" (celle de l'auteur), qu'elle appelle "ma chérie". Suivent une douzaine d'autres adressées à des destinataires aussi variés qu'un éléphant, une ancienne maitresse d'école, un piano, Blanche-neige, une cassette, Denise Glaser, un chanteur vagabond ou Emile Zola.... j'aime l'éclectisme du carnet d'adresses de Sarah Roubato.
Je ne suis pas critique littéraire Je ne vous dirai rien de la qualité d'écriture de Sarah Roubato, de son "talent". Je ne sais pas analyser, développer ces mots-là. Et puis il y a ces autres mots, trop usées peut-être, qui pourtant viennent, circulent, clignotent au fil de ma lecture des "lettres" de Sarah : sensibilité, poésie, intelligence, légèreté, humour, justesse, innocence, gravité, écoute, générosité, profondeur, humanité, liberté.. Prenez, piochez là dedans le mot qu'il vous plaira. Aucun n'est usurpé, j'en mets ma main au feu., Mais cela est peu de choses. Car l'essentiel n'est pas dans ce chapelet de mots. L'essentiel, je crois, c'est ce Vivant qui circule à chaque page , de lettres en lettres. Ce désir de dire l'Autre, de l'attraper, de le rattraper, ce Vivant qui, au fond, ne se résigne pas à ne pas être dans cette exigence qui est celle d' inventer, de construire autrement ou juste construire. D'être, un jour, de ceux qui prendront le pouvoir ! Il y a de la citoyenneté et donc une part évidemment politique dans les textes de Sarah Roubato.
Vendre
Seulement voilà ! Le livre a, parait-il, du mal à se vendre. Quand un livre se "vend mal", au bout de trois mois, le libraire renvoie les invendus. "Invendu". Mot affreux, mot couperet. Dans ce monde-ci, nous le savons tous, ne pas être "vendu" c'est pire que pécher ! C'est l'exclusion. Partout. Ici c 'est la mort d'un livre promis à la pile qu'on entasse ou à la broyeuse . C'est l'abandon d'un auteur dont les prochains manuscrits (elle en a tant en réserve) ne seront peut-être pas publiés. Sauf si....
Vous avez compris. Le "sauf si..." c'est nous, c'est vous ! C'est de nous, ici sur Médiapart, il y a cinq mois à peine, que tout est parti. C'est nous qui avons, par nos commentaires chaleureux (quelques fois grinçants !), nos éloges enflammés, nos "like" par milliers, en quelque sorte propulsé Sarah, qui n'avait rien demandé, vers le "buzz"'! Nous qui avons, pour une part, fait que ce livre édité existe. Mais voilà...le tampon de la "sanction commerciale" prend son élan.. Et c'est nous, encore nous, qui pouvons l'empêcher de s'abattre. Si, bien vite, une centaine d'exemplaires du livre répartis sur vingt librairies de France étaient achetés, cela pourrait convaincre les libraires de ne pas le" renvoyer" et le livre de Sarah vivra encore. Alors...
Résister
Sarah ne disparaitra pas avec son livre. Elle écrit "debout", elle écrira encore. Allez donc sur son site, vous comprendrez. (3) Mais quand même ! Le poids d'un "insuccès" non mérité après celui - moins cruel certes - d'un "buzz" non désiré, ça fait un peu lourd à porter pour une jeune femme de trente ans qui a encore tant à nous dire, tant à nous apprendre, à apprendre de nous, à échanger... Il y a là pire qu'une injustice, une grille qui s'abat sur une rêve. Le sien, le nôtre aussi. Entre le chemin qui va du nôtre au sien.
Alors, modestement, sans bruit ni "buzz", je le lance, ici sur Médiapart, cet "appel", cette" pétition," cet "acte de résistance citoyen", appelez ça comme vous voudrez ! Achetez-le ce livre, faites-le exploser un peu ce putain de chiffre de ventes en librairie ! Il vous reste dix jours pour empêcher l'exécution de la "sentence" ! NOUS avons ce pouvoir-là ! Et puis, ce livre, offrez-le, diffusez-le ! Lisez-les ces lettres dans les Nuits Debout, dans les écoles, les quartiers, dans les théâtres de rue, dans les granges et les ateliers.. partout où les mots de chacun peuvent se faire entendre où le désir et le temps de l'écoute réclament leur part . Achetez "lettres à ma génération" ! Pas seulement pour ces belles pages. Pas seulement pour Sarah Roubato, mais aussi pour les milliers, les millions de Sarah Roubato dans le monde qui, artistes ou non, sont ou deviendront les vrais créateurs. Pas les "créateurs" du Médef et de Macron. Pas ceux du "business" qui veut gagner des millions ! Mais ceux que "LEUR" système étouffe, enchaîne et qui veulent briser ces chaines avant qu'elles ne les brisent ! Une bataille comme celle-là ne se gagne pas seul. Jamais.
Post-scriptum à Sarah Roubato
Quelques mots pour Sarah qui peuvent être lus par tous.
J'ai bien compris, Sarah, que malgré notre différence d'âge, d'origine, de statut, de parcours, de "centres d'intérêt", nous sommes bien de la même génération ! Que vos "lettres" me sont donc adressées. Nos lumières n'ont pas été allumées aux mêmes feux . Nos obscurités ne sont pas nées de la même pénombre. Mais de mon obscurité à la vôtre il existe quelque part un tunnel. De votre lumière à la mienne il existe quelque part un rayon... C'est de ces quelque part, peut-être, que viendra un autre avenir pour les hommes.
Merci à vous.
"Lettres à ma génération" de Sarah Roubato
éd. Michel Laffon 133 pages 11 euros
(1) https://blogs.mediapart.fr/sarah-roubato/blog/070416/nuit-debout-le-reveil-dun-reve
(2 ) https://blogs.mediapart.fr/sarah-roubato/blog/201115/lettre-ma-generation-moi-je-nirai-pas-quen-terrasse
(3) http://www.sarahroubato.com/