http://carnetsrouges.fr/enfances-de-classe/
Le plus grand mérite de l’ouvrage est sans aucun doute d’avoir redonné à la sociologie de l’éducation toute sa place et d’avoir remis la question des inégalités, notamment scolaires, au cœur des débats. La rigueur de cette enquête balaie tous les arguments de ceux qui, depuis les premiers travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, n’ont eu de cesse de reprocher à la sociologie de l’éducation d’être idéologiquement trop orientée, voire biaisée. L’autre intérêt de cet essai réside dans la perspective d’une explication globale des inégalités. À rebours de la tendance à l’hyper-spécialisation des travaux en sociologie, comme dans d’autres disciplines d’ailleurs, les auteurs prennent en compte à la fois l’influence des facteurs matériels et culturels afin de montrer comment ils se combinent. Dès lors, l’analyse des inégalités en termes de classes sociales reprend tout son sens, alors même qu’elle avait été marginalisée, y compris dans le champ des sciences sociales.
Cela dit, les auteurs ne parviennent pas vraiment à éviter certains écueils assez classiques de la sociologie de l’éducation. Ainsi, tout en expliquant avec beaucoup de pertinence comment les inégalités scolaires se construisent socialement, l’ouvrage renforce d’une certaine façon la légitimité des jugements scolaires, au détriment d’autres critères de jugement, plus répandus dans les familles des couches populaires notamment. Certes, les jugements scolaires, pour arbitraires qu’ils peuvent apparaître, fondent les inégalités et donc les pouvoirs des uns sur les autres ; aussi, il eût été tout aussi regrettable de tomber dans l’écueil inverse, celui de la relativité absolue des normes. Néanmoins, la perspective adoptée dans l’ouvrage tend à atténuer, voire à invisibiliser, les capacités de résistances des classes populaires.
Note de lecture publiée dans Carnets rouges n°19, 2020. À lire sur le site de la revue.