Il ne s'agit pas de comprendre. Il s'agit de croire.
Jean Cocteau, Orphée (1950)
Il était une foi...
Cette invitation de l'ange Heurtebise à l'adresse d'Orphée au moment de la traversée du miroir, à accueillir avec confiance le miracle, définition même de la poésie, m'accompagne depuis longtemps. Comme une évidence, un viatique sur les chemins escarpés de vivre.
Cependant, là où elle peut éclairer et, sinon pacifier, du moins harmoniser notre rapport au monde, en y faisant la part belle à l'éblouissement poétique, cette évidence-là ne peut que se muer en son inquiétant contraire, à l'instant même où elle touche à notre relation à la chose politique, à la vie démocratique, à l'histoire, à l'économie, au progrès et, singulièrement depuis un an et demi maintenant, à la science.
Après avoir été consternée par la censure imposée dans le cadre du présent journal à un billet de Laurent Mucchielli, chercheur dont la qualité du travail d'investigation au fil des mois est pourtant indéniable, et aurait dû pouvoir continuer d'avoir droit de cité ne serait-ce qu'au nom de la richesse d'un débat d'idées qui précisément fait cruellement défaut, ici comme ailleurs.... j'ai entrepris de prendre connaissance de l'article, conçu comme un démenti implicite, de Rozenn Le Saint, en date du 5 août, intitulé Vaccins Covid-19 : pour s’y retrouver face aux fausses informations.
J'ai été frappée par l'intention sous-jacente de ce texte, qui me paraît emblématique de la pensée dominante de notre temps étrange. Une pensée qui confond majorité et incontestabilité, répétition et vérité, raison du plus fort (du plus visible, du plus répandu, du plus bruyant, du plus martelé, du plus adoubé, du plus menaçant, etc. etc.) et raison tout court.
En somme, l'auteure nous demande de croire sur parole les concepteurs des vaccins (dans la mesure où nombre d'arguments avancés proviennent de leurs propres documents de communication) et/ou des scientifiques dont l'indépendance de fait, que ce soit vis-à-vis d'un dogme par définition indiscutable ou de ladite industrie pharmaceutique, reste bien souvent à démontrer. Croire. Sans investigation journalistique véritable, sans volonté d'aller interroger d'autres sources dans un esprit d'ouverture (a-t-on ici une seule fois pris la peine, sans lever par avance les yeux au ciel, d'aller par exemple consulter les solides études sur Reinfocovid ? A-t-on une seule fois daigné prêter l'oreille sans arrière-pensée à une parole scientifique autre, comme dans le cadre du collectif Laissons les médecins prescrire ?). Sans objectivité, et à charge toujours, à charge contre toute "dissidence", tout écart (de conduite) vis-à-vis d'une norme dont la pression féroce, exercée continuellement et conjointement, par tous les pouvoirs à la fois - scientifique, politique, médiatique, financier, social/collectif -, devrait en soi interpeller et, sinon perturber, du moins abondamment questionner un media qui chercherait la vérité, rien que la vérité, et aurait à cœur de le faire par ses propres moyens.
En somme, on nous invite à adopter la foi du charbonnier. Car il est bien question de foi : récemment, sur une chaîne d'information en continu, j'entendais le médecin "orthodoxe" de service exhorter les mécréants, avec du miel dans la voix : "Ayez foi dans la science !" Voilà où nous en sommes. Croire en la Science - mais quelle science ? Est-il encore permis d'en discuter ? de s'interroger à son sujet ? d'émettre des hypothèses, des impressions, des souhaits, des réserves ? ou risque-t-on l'excommunication directe ? Cette science-là elle-même est devenue religion, avec ses apôtres politiques, philosophiques, médiatiques - au rang desquels il faut donc compter Mediapart -, son clergé médical, ses disciples, ses croyants, ses infidèles, et son Inquisition. Et, depuis le 12 juillet officiellement, ses persécutés. Certains sur les ondes n'avaient-ils pas eux-mêmes parlé de croisade ?
Et n'oublions pas, comme toute foi absolue se doit d'être transmise, la nécessaire évangélisation des foules mécréantes, j'ai nommé la fameuse pédagogie censée ramener dans le droit chemin les brebis égarées. L'effort national pour, toujours dans un élan religieux, convaincre, le mot repris de chaîne d'information en chaîne d'information, de minute en minute, dans un mouvement perpétuel, une spirale ascendante, qui, du Nudge1 plus ou moins subtil à la menace plus ou moins voilée, en passant par tous les ressorts et les degrés de la communication et de la propagande, toutes les mesures de rétorsion légalement envisageables - quitte à modifier la loi au pas de charge - et autres pass dits sanitaires, tend vers un but ultime, à atteindre coûte que coûte : la vaccination de masse. Convaincre : "Forcer quelqu'un par des raisons à reconnaître que…", "Faire entrer dans l'esprit une opinion", nous rappelle le Littré. Quand ce n'est pas dans son autre acception, qui semble tout particulièrement appropriée ici : "Prouver coupable de. On le convainquit d'avoir entretenu des intelligences avec l'ennemi." Avant de pouvoir investir les corps, il s'agit bien de se frayer un chemin dans les esprits récalcitrants ; mais si d'aventure cela ne suffit pas, ce sera l'inverse : en agissant sur les premiers, en réduisant drastiquement la liberté d'aller et de venir, on saura bien ramener dans le giron de l’Église les âmes en perdition.
Croire ou ne pas croire
Oui, voilà où nous en sommes. En pays laïc, tout cela est devenu affaire de religion. Quel paradoxe. Croire, ou ne pas croire, telle est manifestement désormais l'unique question. Avec au demeurant une seule réponse tolérée - et, pour les hérétiques qui ne voudraient décidément pas se rendre à l'évidence et se laisser convaincre, la conversion forcée, sous forme d'obligation vaccinale.
Une religion d’État, avec catéchisme quotidien, prosélytisme à tous les étages, et méthodes dignes de l'Inquisition (potentialisée par la technologie) au travers de la mise en place du fameux pass.
On nous demande d'avoir suffisamment de foi pour traverser le feu les yeux bandés, pour marcher le cœur léger sur des braises. La foi, certes, déplace des montagnes. Mais chercher à l'imposer, vouloir à toute force remplacer ce qu'on considère comme une croyance par ce qui reste jusqu'à nouvel ordre une autre croyance, fût-elle la doxa du moment, revient à piétiner non seulement l'intime conviction et la conscience des personnes qui choisissent de ne pas croire, mais le socle même de notre démocratie, les droits pour le coup sacrés dont elle s'est dotée, "droits naturels et imprescriptibles de l'Homme", ainsi que le rappelle l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression". L'oppression tendant clairement depuis le 12 juillet 2021 à prendre un visage et un virage spécifiques, il convient en l'occurrence de mentionner également l'article 10, qui souligne : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi." Les lois se changent certes, nous venons d'en faire l'amère expérience, jusqu'à vider de leur substance les acquis les plus fondamentaux. Mais il y a la lettre de lois à géométrie variable, opportunément modelées sur les supposés impératifs du moment... et il y a l'esprit de droits humains intemporels et inaliénables, quels que puissent être les chiffons rouges agités et les lignes rouges franchies.
Qu'il me soit donc permis de ne pas faire allégeance à cette religion dominante, et, face à tant de zèle adorateur, que celui-ci émane de la rédaction de ce journal ou de mille, dix mille autres instances, de rester incrédule, c'est-à-dire... incroyante, irréductiblement.
... A moins qu'en exerçant de la sorte ma liberté de penser - et de culte -, je ne vienne encore entraver quelque liberté des autres qu'on ne manquera pas de brandir tel un étendard croisé face à mon coupable agnosticisme ? Mais ce dévoiement des mots et des maximes fera l'objet d'un autre billet...
Comme Jan Hus, l'hérétique tchèque, ayant failli au dogme, je finirai peut-être en exil, persona non grata, voire sur le bûcher, qui sait. Mais j'ai fait mienne depuis longtemps sa devise, qui est aussi celle de la République Tchèque : Pravda vítězí - Vérité vaincra...
Vérité, celle qui de toute façon restera, celle qui de toute façon ressurgira, au bout de tous ces chemins, par-delà même la blessure mortelle infligée à la liberté, lorsque le temps aura fait son œuvre, mis en perspective une époque et ses dérives, et sécularisé les plus prosélytes des religions officielles.
1 "Le nudge, c’est une technique, un dispositif qui vise à orienter vos choix, en douceur, pour votre bien ou celui de la collectivité, sans que vous ayez toujours conscience d’en être l’objet. (...) Cette technique, bien connue des publicitaires, est aujourd’hui de plus en plus utilisée dans le cadre des politiques publiques. L’intention se veut vertueuse : c’est le bien commun qui est visé. Mais elle pose des problèmes d’ordre éthique : où s’arrête l’orientation des comportements, où commence la manipulation ?" cf. France Culture, 07/12/2017, Le Nudge, une technique de persuasion sous influence ?
[N.B. Ce billet est une version revue et augmentée de mon commentaire de l'article sus-cité de Rozenn Le Saint.]