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Billet de blog 25 février 2023

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Marianne Williamson, un regard éclairé d’outre-Atlantique sur la guerre en Ukraine

Entre désastres d’hier, guerre d’aujourd’hui et paix à inventer demain, le fil du funambule. Le regard que pose sur la guerre en Ukraine depuis les États-Unis Marianne Williamson, ex et future candidate à l’investiture démocrate, apporte nuance et complexité au débat, aux antipodes d’un campisme tristement prévisible et d’une polarisation délétère.

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Quadrature du cercle. Comment répondre aujourd’hui à la guerre, dans toute son atrocité, sans se défausser sur un pacifisme à contretemps de l’horreur, et sans renier son idéal de paix ? Errements d’hier, à ne pas oublier opportunément, guerre d’aujourd’hui, à regarder en face sans ciller, et monde de demain, qui reste à inventer : équation complexe pour une époque folle. C’est dans ce genre de passages dangereux que certains regards sont particulièrement précieux.

En ce sinistre anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, je relaie ici le point de vue éclairé de Marianne Williamson, auteure, candidate à l’investiture démocrate en 2020 – et s’apprêtant à déclarer officiellement une nouvelle candidature pour 2024 –, fondatrice de l’association à vocation humanitaire Project Angel Food, puis de The Peace Alliance, vouée à la création d’un Ministère de la Paix aux États-Unis. Elle est par ailleurs l’un des fervents soutiens de Julian Assange comme de l’avocat militant écologiste Steven Donziger, persécuté judiciairement depuis de très longues années par Chevron pour avoir cherché à défendre les droits des peuples indigènes de l’Amazonie équatorienne face à l’écocide et à la catastrophe sanitaire infligés en toute impunité à leurs terres ancestrales et à leurs vies par ce fleuron de Big Oil.

Si la pensée de Marianne Williamson paraît d’emblée différente, c’est non seulement parce qu’elle est capable d’une critique constructive de la politique de son propre pays tout autant que de celle des autres États, en dehors de toute logique de blocs, de camps, d’allégeances favorisant nécessairement une perception déformée des événements et une polarisation mortifère du monde, mais aussi parce que la forme d’engagement citoyen qu’elle prône relève autant du politique que du spirituel (à ne pas confondre avec religieux, même si chacun reste libre de donner à ce mot la coloration qu’il souhaite). Voici ce qu’elle écrit en ce sens ce 25 février même :

« Vivons-nous aujourd'hui dans un pays de justice - justice pénale, justice économique, justice raciale, justice environnementale ? Certainement pas. Pourtant, cela ne changera pas tant que nous ne le changerons pas. Il nous faut nous préparer intérieurement à la tâche monumentale qui nous attend. Nous vivons dans une époque corrompue et corruptrice, et la seule façon de changer cela passe par un activisme spirituel aussi bien que politique. Comme l'a dit le Mahatma Gandhi en parlant des principes de la révolution non violente, "Il faut d'abord se purifier soi-même". Le reste se développera à partir de là1. »

Parce que la vision qu’ont des États-Unis trop de personnes, a fortiori dans le contexte tragique de la guerre en Ukraine, selon un vieux tropisme – voire un atavisme ! - "anti-américain" de principe (la moindre tentative de nuancer la charge rituelle étant alors automatiquement taxée d’atlantisme), et souvent sous l’influence avérée, mais plus ou moins assumée, plus ou moins consciente, de la propagande made in Kremlin, oui, parce que cette vision-là est trop souvent monolithique, binaire, "campiste", en somme simplificatrice voire simpliste, parce que cette vision dualiste ne saurait refléter toute la complexité et la variété des sensibilités actuelles, j’avais à cœur de donner à lire les réflexions de cet esprit distingué, singulier, inspiré et inspirant, dont les États-Unis comme les autres pays feraient bien de méditer la portée salutaire.

Le 24 février de l’année dernière, aux premières heures de l’invasion russe, voici ce que consignait Marianne Williamson, dans un bref texte intitulé Une nuit de tragédies cumulées. La mort de la moindre illusion d'ordre2 :

« Lorsque la Russie a fait pleuvoir des bombes sur l'Ukraine la nuit dernière, beaucoup de choses ont été violemment détruites. Des bâtiments, des routes et des corps humains, certes, mais bien plus que cela aussi. Tout l'ordre de l'après-guerre, laborieusement - bien qu'imparfaitement - créé par des hommes qui étaient des intendants du monde infiniment plus responsables que nous, s'est effondré autour de nous. La diplomatie semblait futile. Les Nations Unies semblaient impuissantes. L'Europe semblait désemparée. Et les États-Unis semblaient tragiquement, pathétiquement hors sujet. […]

Vladimir Poutine est un fou. Mais à sa folie est venue s'ajouter une folie qui nous est propre : l'hypocrisie, la folie des grandeurs, l'aventurisme militaire et la cupidité du monde des affaires qui nous ont fait perdre notre âme. Pourtant, il y a une chose qui pourrait faire toute la différence maintenant, et c'est combien d'entre nous éprouvent un sentiment sain de honte. Les Américains qui sont écœurés à l'idée de ce que le peuple ukrainien traverse actuellement feraient bien de penser à ce que les habitants de Bagdad ont vécu lorsque nous les avons envahis il y a 20 ans. C'est nous, et non la Russie, qui avons mené la première grande invasion criminelle du 21ème siècle. […]

Il nous faut réfléchir longuement et sérieusement au monde actuel et longuement et sérieusement à nous-mêmes. La seule façon de modifier fondamentalement un état de guerre jusque-là inimaginable est de faire preuve de la volonté et du courage nécessaires pour créer une paix jusque-là inimaginable. »

On notera, et c’est essentiel, par honnêteté intellectuelle, de le faire, que Marianne Williamson n’établit pas de lien de cause à effet entre ces deux folies, comme en ont trop souvent la tentation, à (l’extrême) gauche, certains observateurs prompts à délester volontairement ou non Poutine de l’énorme responsabilité qui est et reste la sienne au regard de l’Histoire, mais parle bien de folies parallèles, ayant toutes deux plongé le monde dans le chaos – sans pour autant s’appuyer sur l’une pour justifier l’autre, et renvoyer ainsi les deux dos à dos, comme on le voit faire par ailleurs, ad nauseam.

Si, au-delà de toutes leurs différences, ces folies-là sont comparables, c’est dans leur arbitraire et leur violence que réside cette similitude – et leur incarnation d’un paradigme éculé qu’il s’agit de changer, de toute urgence, en commençant par un changement qui ne peut prendre racine qu’au plus profond de nos pensées, de notre propre rapport au monde. Si le malheur naît d’une pensée malade, avant que de devenir réalité tangible, brute et brutale, alors c’est bien au niveau de la pensée que nous devons commencer par opérer ce changement si désespérément nécessaire. La révolution sera d’abord intérieure, philosophique, spirituelle, ou ne sera pas.

Un an de guerre d’agression impérialiste, néo-colonialiste, barbare s’il en fut, un an de crimes contre l’humanité plus tard, Marianne Williamson, dont les fondements sont pacifistes – elle a fondé la Peace Alliance, rappelons-le ici, et s’inscrit dans une proximité philosophique avec Gandhi ou Martin Luther King –, comme c’est le cas pour nombre d’entre nous, relève et résout le paradoxe apparent de l’aide armée à l’Ukraine face à la barbarie des armées et milices russes, dans cet autre texte3 en date du 24 février 2023, que je tenais à relayer, étant pleinement en accord avec lui, prise dans le même dilemme cornélien, mais parvenant aux mêmes conclusions :

« LE CASSE-TÊTE TRAGIQUE DE L'UKRAINE


Ce que les États-Unis devraient et ne devraient pas faire

par Marianne Williamson


Alors que le président Biden a réaffirmé son soutien à l'Ukraine lors de sa visite dans le pays cette semaine, les avis divergent quant à la question de savoir si ce soutien est une bonne idée.

Pour ceux d'entre nous qui ont passé des années à s'opposer à l'influence du complexe militaro-industriel sur la politique étrangère des États-Unis, la situation représente un défi particulier. Il est possible de considérer que l'influence indue de la machine de guerre américaine - aidée à Washington par le "Blob" des experts en politique étrangère - est bien réelle, et en même temps de considérer que l'invasion russe de l'Ukraine est une entreprise criminelle qui ne peut être tolérée par le monde.

Les États-Unis ont perpétré leurs propres menées impérialistes odieuses, un fait qui ne doit être ignoré par personne. Il n'est pas exagéré de dire que des millions de personnes à travers le monde - dont des milliers de militaires américains - sont mortes à la suite de nos propres égarements. Mais cela ne donne pas, et ne devrait pas donner, un blanc-seing à Vladimir Poutine pour perpétrer sa propre guerre impérialiste.

Il est clair que toutes les guerres ne sont pas les mêmes. Tout comme certains ont fait remarquer que la guerre en Ukraine ne constituait pas une répétition de la Seconde Guerre mondiale, il est important de se rappeler qu'il ne s'agit pas non plus d'une réplique de l'Irak ou de l'Afghanistan. Les erreurs de la politique étrangère américaine ont-elles contribué à la guerre en Ukraine ? Oui. Mais cela ne signifie pas que nous soyons ultimement responsables de l'invasion de Poutine, ni que nos intérêts plus larges, les intérêts du peuple ukrainien ou les intérêts du reste du monde, soient mieux servis si nous restons en dehors du conflit maintenant.

La guerre du Vietnam n'aurait jamais dû être menée. La guerre en Irak n'aurait jamais dû être menée. La guerre en Afghanistan - à l'exception de ses premières phases - n'aurait jamais dû être menée. Toutes ces guerres ont été des exemples de malfaisance militaire américaine. La guerre en Ukraine, cependant, est une situation très différente. Je pense que le soutien militaire apporté à l'Ukraine par les alliés occidentaux, y compris les États-Unis, est légitime et justifié.

Certains ont mentionné ce qu'ils perçoivent comme une contradiction entre mon soutien à la création d'un Département américain de la Paix et mon soutien à l'aide militaire à l'Ukraine. Dans mon esprit, il n'y a là absolument aucune contradiction. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le complexe militaro-industriel américain a progressivement dominé la politique étrangère américaine, tandis que la diplomatie et la véritable construction de la paix ont été reléguées au second plan. J'ai écrit des livres et des articles à ce sujet et j'en ai parlé publiquement pendant des décennies. J'ai même été candidate à la présidence en épousant ce point de vue. C'était le cœur de ma campagne présidentielle en 2020, et ce serait le cœur de ma campagne en 2024.

Notre Département de la Défense reçoit 858 milliards de dollars par an, tandis que notre Département d'État reçoit 60,4 milliards de dollars par an. L'USAID, notre Agence pour le Développement International, reçoit 1,9 milliard de dollars par an. Et de tous ces organismes, le travail effectué par l'USAID est de loin celui qui contribue le plus à créer les conditions de l'émergence de la paix dans le monde. Partout où il y a de plus grandes opportunités économiques pour les femmes, de plus grandes opportunités éducatives pour les enfants, la diminution de la violence faite aux femmes et la réduction générale du désespoir humain, il y a statistiquement une plus grande incidence de la paix et moins d'incidence de la violence. Ce sont les principaux facteurs impliqués dans la construction de la paix, qui seraient au cœur du Département américain de la Paix ainsi que de l'orientation de mon administration tant au niveau national qu'international.

Je considère l'armée américaine un peu comme un chirurgien. Si nous avons besoin d'un chirurgien, alors l'Amérique doit avoir le meilleur, mais toute personne raisonnable essaie d'éviter autant que possible la chirurgie. La meilleure façon de résoudre les conflits est de commencer par les empêcher de se produire. Si j'en avais eu le choix, j'aurais pris des décisions de politique étrangère très différentes concernant la Russie au cours des 40 dernières années. Cela ne change cependant rien au fait que les agissements actuels de Vladimir Poutine constituent une menace à laquelle le monde occidental se doit désormais de répondre.

Certains ont également exprimé leur inquiétude quant à la quantité d'argent allant à l'Ukraine à un moment où trop peu d'argent est dépensé pour des dépenses nécessaires ici, chez nous. Pourtant, il s'agit d'un faux débat, car l'argent destiné à l'Ukraine, s'il n'est pas utilisé pour cette guerre, ne sera pas pour autant dépensé en vue de répondre aux besoins humanitaires et économiques de nos concitoyens, ici, chez nous. La bataille pour l'âme économique de l'Amérique existe séparément, bien que de manière annexe, de nos exigences en matière de politique étrangère. Franklin Roosevelt a fait passer le New Deal et nous a conduits au travers de la Seconde Guerre mondiale.

Les États-Unis se doivent de soutenir les solutions diplomatiques à tout conflit, en Ukraine comme partout ailleurs. Sur ce point, nous ne devrions jamais tergiverser. Mais dans le cas de la guerre en Ukraine, la Russie ne répondrait à toute ouverture de ce type que par une nouvelle agression, jusqu'à ce que les conditions militaires lui rendent difficile le refus de l'offre. Pourquoi agirait-il autrement, alors que dans son esprit il est en train de gagner la guerre ? Son régime brutal et autocratique en Russie et les atrocités commises par ses troupes en Ukraine nous donnent une vision très claire de ce que signifierait sa conquête de l'Ukraine. Tout retrait du soutien américain à l'Ukraine à ce stade ne signifie qu'une chose : la fin de l'Ukraine.

L'Ukraine devrait-elle recevoir un chèque en blanc des États-Unis ? Non. Mais devrait-elle recevoir un soutien accru afin de repousser un agresseur qui voudrait mettre fin à son droit souverain d'exister? Je suis convaincue que oui. »

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1 JUSTICE, JUSTICE THY SHALL PURSUE (substack.com)

(Je traduis, ce passage ainsi que tous les autres extraits.) Dans le texte original : « Are we living in a land of justice now - criminal justice, economic justice, racial justice, environmental justice? Surely not. Yet that will not change until we change it. We must inwardly prepare ourselves for the monumental task at hand. We are living in a corrupt and corrupting age, and the only way to change that is through spiritual as well as political activism. In the words of Mahatma Gandhi when speaking about the principles of non-violent revolution, “Self-purification is necessary first.” The rest will unfold from there. »

2 A Night of Compounded Tragedies (substack.com)

Dans le texte original : « As Russia rained bombs on Ukraine last night, many things were violently destroyed. Buildings and roads and human bodies, yes - but more than that as well. An entire post-WW2 order, painstakingly if imperfectly created by men who were far, far more responsible stewards of the world than we, came crashing down around us. Diplomacy seemed futile. The United Nations seemed impotent. Europe seemed flummoxed. And the United States seemed tragically, pathetically irrelevant. […]

Vladimir Putin is a madman. But his madness has been matched by a madness of our own: hypocrisy, delusions of grandeur, military adventurism, and corporate greed that have hollowed out our very soul. Still, there is one thing that could make a difference now, and that is how many of us do have a healthy sense of shame. Americans who are sickened by the thought of what the Ukrainian people are going through now, might do well to consider what the people of Baghdad went through when we invaded them 20 years ago. It is we, not Russia, who mounted the first great criminal invasion of the 21st Century. […]

We need to think long and hard about the world right now and long and hard about ourselves. The only way we can fundamentally alter a previously unimaginable state of war is if we are willing, and courageous enough, to create a previously unimaginable peace. » 

3 Pour consulter le texte original en intégralité : THE TRAGIC CONUNDRUM OF UKRAINE (substack.com)

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