Polanski/Bruckner, confusion primaire
- 18 nov. 2019
- Par Esther Heboyan
- Blog : Le blog de esther heboyan
Polanski/Bruckner, confusion primaire
Le second dossier de presse révisé du dernier film controversé de Roman Polanski aurait supprimé un passage de l’entretien accordé par le cinéaste à son ami romancier-essayiste-journaliste philosophant Pascal Bruckner. Passons l’analogie à visée promotionnelle entre Dreyfus injustement persécuté par une France antisémite et Polanski pourchassé aux époques ignobles de l’Histoire européenne, puis aux heures infâmantes de son histoire personnelle. Revenons à la défense philosophico-journalistique bâtie par l’ami Bruckner : « [S]urvivrez-vous au maccarthysme néoféministe actuel qui, tout en vous poursuivant dans le monde entier pour empêcher la projection de vos films, a obtenu votre exclusion de l’Académie des Oscars ? »
Excuse me, Mr. Bruckner, mais vous avez tout faux ! Révisez quelques chapitres de l’Histoire du monde, ou de l’Amérique du Nord qui semble être pour vous l’espace géopolitique du mal, en tous cas l’unique référence qui alimente votre discours. Pourquoi n’avoir pas forgé une métaphore ultra mélo à partir d’une autre aire historico-culturelle ? Dans l’Histoire du monde et de la France, les exemples de persécution ne manquent pas.
Le sénateur républicain Joseph McCarthy devint célèbre le 9 février 1950 en accusant de communisme certains fonctionnaires du Ministère des Affaires Etrangères (State Department). Le maccarthysme se mit à l’œuvre pour éliminer toute affiliation officielle ou officieuse au dogme stalinien du communisme tel qu’il se pratiquait dans l’Union Soviétique (d’ailleurs longtemps défendue par des écrivains et philosophes français) et tel qu’il se répandait à travers l’Europe et ailleurs au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Pour ce qui est de l’industrie cinématographique, le maccarthysme a détruit la carrière des acteurs (John Garfield qui en est mort, dit-on) et réalisateurs (Joseph Losey qui s’est exilé en Grande-Bretagne) pour leurs idées politiques et non pas pour leurs agissements sexuels.
Et qu’est-ce que le néoféminisme ? C’est quoi ce « néo », préfixe que l’on met à toutes les sauces pour marquer le passage du temps et la survivance désuète, donc infondée, ou bien régénérée donc légitime, d’un mouvement, d’une tendance, d’une mode ? Le féminisme serait mort ou quasi mort, aurait fait son temps. Sa mort aurait été programmée dans sa naissance même. Encore un mal venu des États-Unis d’Amérique qui éclabousse les mentalités, bouscule les codes et traditions chez nous. Heureusement que les Françaises savent se démarquer des Américaines afin de tenir leur rôle de femmes béatement disposées à être importunées, comme dirait l’intelligentsia parisienne. Et quel néoenchantement pour l’esprit de voir resurgir Nadine Trintignant en défenseur des droits de l’homme violent. Je crois que même les Monty Python n’auraient pu imaginer une telle farce.
Le féminisme a libéré les femmes et la parole des femmes. Cette vérité continue de déranger. Le « néo » du féminisme dans la bouche de Bruckner est un attrape-neurone pseudo-savant, une bulle de savon dans la mediasphère.
Non, Polanski n’est pas victime du « maccarthysme néoféministe », un complot qui sévirait dans une nébuleuse planétaire. Il est accusé par quelques femmes en chair et en os qui ont pris la parole.
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