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Billet de blog 8 mai 2017

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Pour nous, contre Macron ou Le Pen un même combat ?

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Maintenant qu’il n’y a plus d’enjeu électoral va t’on peut être pouvoir débattre plus sereinement, donc plus au fond, de quelques questions stratégiques pour construire une alternative émancipatrice, solidaire et écologique. Je peux très bien comprendre que dans le feu du débat électoral – et du fait que celui-ci implique des scores compétitifs chiffrés – il est apparu utile à certain-e-s de prioriser les attaques contre Macron : il s’agissait de préparer les lendemains de la victoire de Macron ( inéluctable pour beaucoup de partisans de abstentionnisme ou du vote blanc1) et donc de s’en distinguer au maximum puisqu’il n’y avait pas de risques de fascisation.

Ma démarche est motivée par le souci d’analyser (ou plutôt de commencer à analyser) la stratégie de ce que j’ai nommé dans un billet de blog précèdent un « nouveau bloc bourgeois ».

Nous sommes bien face à un danger autoritaire qui tire sa filiation idéologique de la tradition d’extrême droite (y compris ce fascisme français que nombre d’historiens récusent) mais qui appelle un nouvelle analyse du fascisme de notre temps – nouvelle forme autoritaire d’état capitaliste – que nous avons à combattre.

No pasaran ! qui ne passera pas ?

Il faut mettre sur le doigt sur ce qui change d’avec les années 30 .

D’abord les différences avec les formes les plus radicales du fascisme (la politique d’extermination nazie et l’évolution de l’antisémitisme au sein des régimes fascistes des années 40. Ce rapprochement est aussi absurde de la part d’un Peilllon qui désigne celui-ci comme danger immédiat que de la part d’Onfray qui nie toute évolution autoritaire parce qu’il n’y a pas de danger immédiat de Shoah.

Ensuite les différences sur le processus de fascisation (c’est à dire d’arrivée au pouvoir) et les différences de périodes historique : les fascismes historiques sont des régimes autoritaires particuliers : appuyés sur des classes ils donnent lieu lieu à des mouvements de masse avant la prise du pouvoir. Il faut ici récuser Delanoe qui fait du seul KPD le responsable et aussi ceux qui privilégient le classe ouvrière et les chômeurs dans la montée du fascisme. En Italie comme en Allemagne la classe ouvrière et ses organisations ont résisté à la montée du fascisme, les armes à la main quelquefois (front rouge, front de fer, arditi del popolo) mais aussi jusqu’à la fin par des manifestations de masse. Les organisations de la classe ouvrière (Antonio Gramsci condamné à des décennies de prison « pour empêcher ce cerveau de fonctionner » a dit le procureur fasciste ; l’ouverture de Dachau pour enfermer communistes, syndicalistes socialistes dès 1934) - qui avaient déjà subi des défaites (conseils d’usine de 1920 à Turin en Italie, insurrection spartakiste de 1919 à Berlin …) - ont été brisées par la force . En Italie comme en Allemagne les partis fascistes se sont assuré le soutien de fractions de classe autres que la bourgeoisie ( et en particulier la petite bourgeoise et de ce qu’on appelle aujourd’hui les classes moyennes déclassées) en s’appuyant sur la construction d’une identité nationalitaire.

Aujourd’hui quelles fractions du capital et quelles classes subordonnées (ou fractions de classes) soutiennent le FN ? Nous avons affaire à des globalisations hasardeuses comme le rejet dans le camp du fascisme des ouvrier ou des chômeurs ou à des outils qui évacuent la dimension des rapports de classe au profit de dimension géographiques (les métropoles et les périphéries ) ou pire encore par la reconstruction modernisée d’un peuple qui associe patrons et ouvriers à la lutte commune contre le capital étranger et l’immigré (car c’est cette dimension ethnique qui est la dimension dominante).2

Il serait sans doute utile de travailler certaines questions : quelles fractions du Capital soutiennent une solution autoritaire, et pourquoi ? Y a t’il un espace pour un capitalisme national qui aurait besoin d’une fermeture des frontières pour garantir son existence : l’évolution du Trumpisme et ses actions dans ce domaine nous donnera des pistes sur une éventuelle recomposition de la mondialisation. Question liée : le « discours social » du FN est il la préfiguration d’une nouvelle redistribution permise par la « libération du capital national » de cette mondialisation (peut il aujourd’hui se dégager d’une globalisation financière?) 3ou le positionnement du FN dans le système politique libéral comme « l’idiot utile » chargé de faire peur pour faire accepter les politiques néolibérales et/ou comme outil de contrôle des masses comme « parti contestataire » minoritaire?

C’est sans réponses à ces interrogations de fond sur les bases de classe de la reconfiguration politique en cours, que je pensais que nous pouvions avoir un accident de l’histoire et qu’il fallait ne pas prendre de risques (la grande bourgeoisie allemande des années 30 a soutenu Hitler parce qu’elle pensait l’instrumentaliser!). Je persiste à penser qu’en réaction aux luttes des années 60 la bourgeoisie a mené une contre offensive globale – politique, économique culturelle- qui conduit à une remise en cause des formes démocratiques issues du compromis social de la Libération. Si cette offensive n’est pas gagnée - comme le montre les études où une majorité persiste à refuser le capitalisme et les luttes populaires multiples- elle est bien engagée : du coup la bourgeoisie est elle prête à mettre en place une forme d’Etat plus explicitement répressif autoritaire ?

Le retour du social-facisme ou le retour de l’economicisme ?

L’amalgame, l’équivalence mise entre Macron et Lepen me semble dangereuse pour la suite.

D’abord parce qu’elle persévère dans la sous-estimation du danger FN (que j’ai évoqué plus haut ) mais aussi en sous-estimant le danger social- libéral de Macron

En premier en mettant en avant une conception mécaniste du libéralisme : toute poursuite du libéralisme ne peut qu’inexorablement conduire à une aggravation de la situation des salarié-e-s et donc à une révolte contre ces politiques . Cette révolte n’ayant profité électoralement qu’à Lepen, elle arrivera au pouvoir la prochaine fois.4

Cette manière de penser est totalement défaitiste, et part du principe qu’il ne se passe rien en dehors des processus électoraux . Nous venons d’avoir sous les yeux le contraire : des mouvements populaires ont conduit à une crise sans précédent du système politique qui a bouleversé les « bon déroulement » des élections. La crise politique est elle close ? A t’elle trouvé une issue stable dans la durée ? Pourquoi un bloc populaire porteur d’une révolution démocratique solidaire et écologique ne pourrait-il pas trouver un espace - même si les législatives ne sont pas gagnées ? Pense t’on que toutes les pratiques politico-sociales de transformation radicale de la société vont se fracasser sur un échec électoral ?

Mais ceci n’est concevable que si la lutte des classes, la lutte des opprimés ne se limite pas à la lutte économique pour une plus grande part du gâteau de la production qui est le fondement de la crise de la social-démocratie. Le champ du politique n’est pas seulement celui de l’occupation et l’utilisation d’un état-redistributeur. Penser ainsi c’est réduire le champ la lutte des classes et méconnaître l’autonomie relative du politique et de l’Etat réduit à un simple reflet de l’économie.

Le politique c’est la production de normes de fonctionnement de la société. La production de ces normes est dans une grande partie le fait des appareils d’Etat par le biais de la production législative- dont les appareils répressifs de l’Etat assurent l’exécution. Mais aucune domination ne peut se fonder uniquement sur les appareils répressifs et ces derniers ne peuvent fonctionner sans s’assurer de l’hégémonie : c’est l’hégémonie qui fait accepter comme normal le coup de matraque mais aussi la perte de salaire pour sauver l’emploi... c’est à dire l’acceptation par les dominés de la subordination à la logique du capital et des possédants qui fixent la règle du jeu. Et ce que propose Macron à ces derniers c’est la reconstruction d’une hégémonie face à la crise de l’ultralibéralisme de la social démocratie (dans une même démarche May désavoue Thatcher et Schulz désavoue Schroeder). Il propose un changement politique, symbolique et culturel dont nous aurions intérêt à prendre la mesure sans se contenter de dénoncer le libéral extrémiste5

Nous aurions intérêt à poursuivre l’analyse du macronisme que certains ont déjà enterré depuis des mois. Ne faudrait il pas chercher du côté du management de firmes capitalistes le projet de nouvelle construction politique ? Celui qui a remplacé les despotisme de fabrique par la fabrique

Nous aurions intérêt à comprendre que nous ne pouvons pas nous enfermer dans une défense des acquis, sans compléter avec des propositions alternatives qui prennent en compte les modifications du salariat par exemple , modifications moments et produits d’une vision du monde différente du capitalisme. Nous n’avons pas « un acquis de la vraie gauche » qui nous permet de résister. Défendre les droits ne suffit pas il faut se poser la question des nouveaux : nous avons une reconstruction à faire qui mêle mouvements de terrains, bataille politique, production symboliques et culturelle.

Un seul exemple : Macron va nous proposer une nationalisation des indemnisations chômage : allons nous défendre les acquis de la CFDT et du MEDEF ou défendre le principe assurentiel comme bien commun des salariés et des chômeurs et que ceux là seuls doivent gérer ?

Mais ceci est il possible dans un cadre où on laisse le pouvoir d’user et d’abuser à la propriété ? Ou faut il mettre dans le débat public l’appropriation collective, des communs qui donnent à toutes et à tous le droit de gérer, de décider ? Oui nous avons reculé dans la lutte idéologique, oui c’est une défaite pour nous que les thèmes du FN envahissent l’espace politique, oui même sur le terrain de la culture au sens classique, des artistes nationalisme et libéralisme ont obtenu un droit de cité impensable 20 ans auparavant ! Bien sûr l’idée révolutionnaire a reculé avec le recul de l’idée du grand soir mais elle n’a pas disparu ! Peut on pour autant affirmer que la défaite est consommée ?

Je fini sur une note optimiste : quel décalage entre un camp politique dominé par le racisme ( modernisé) la xénophobie et le comportement de plus en plus tolérant ouvert des membres de cette société. Macron l’a compris qui met le libéralisme politique et sociétal au coeur de sa stratégie : ceci n’est pas simplement un masque pour cacher la régression sociale, c’est la compréhension que la politique n’est pas simplement des actes de gestion mais la fourniture d’un imaginaire collectif.

Allons nous lui laisser ce terrain, pourtant central pour l’émancipation ?

1J’avoue ne pas comprendre le soutien au vote blanc symbole pour moi de l’individualisme libéral (ou libertarien ou narcissique seul l’engagement de mon moi compte) d’un vote de consommation politique (on a le droit de ne pas acheter un produit) . Mais ceci nécessitera de reprendre le débat sur la politique comme action collective comme construction d’un nous contradictoire avec le refus de choisir

2Je fais l’impasse pour ne pas être encore plus long sur la dimension historique (l’après guerre le désastreux traité de Versailles, les caractéristiques de l’Etat italien ou de la république de Weimar ...)

3Je pense ici à la redistribution particulière effectuée par le nazisme après la prise du pouvoir : redistribution des biens juifs.Aujourd’hui la redistribution des coûts des étrangers ne suffit pas, il faudrait faire une opération de me ampleur vis à vis de « musulmans » !

4Je ne peux m’empêcher de constater la similitude avec la démarche économiciste de la IIIème internationale, démarche qui l’a conduit à gravement sous estimer le danger fasciste même après la victoire de Mussolini en Italie et après avoir été incapable de la prévoir dans ce dernier pays. Je dis plus bas l’importance de ne pas réduire la politique et la lutte de classes a sa seule dimension d’analyse des politiques économiques.

5La palme de la bétise théorique (pour ne pas dire de la grossièreté, du mépris digne de Lepen) revenant à la comparaison des ordonnances de macron sur le code du travail avec les mesures de Pinochet « imposés »(sic) aux syndicats chiliens . Combien de militants, de syndicalistes chiliens auraient préféré cette méthode aux torture aux élèvements et aux exécutions ?

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