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Billet de blog 14 février 2017

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Macron et Le Pen, les sauveurs du système

En mettant en avant une contestation de l’establishment politique, les principaux "contestataires" offrent une parte de sortir à un système politique qu'ils prétendent combattre. Et si l'on sortait des schémas bien établis qui prétendent tout prévoir ?

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Il, et elle, se présentent volontiers comme « anti-système », en rupture avec le fonctionnement traditionnel du champ politique. Pourtant en analysant la crise politique, la crise de représentation, on découvre qu’ils permettraient à l’Etat et aux appareils politiques de continuer à fonctionner.

L’un comme l’autre s’accommodent bien de la concentration des pouvoirs dans l’exécutif, de la logique de réduction du contrôle parlementaire avec la primauté du gouvernement, Il et elle profitent même de la logique de personnalisation de la présidentielle qu’ils ne remettent pas en cause . Cce modèle de construction d’un leadership sur le système politique leur va particulièrement bien : de ce point de vue croire que l’on peut les combattre avec les mêmes armes, qu’un tribun peut être le sauveur suprême c’est ne pas comprendre la profondeur de la crise politique.

Latente depuis quelques années, elle a pris une acuité particulière avec les mouvements qui ont «travaillé » cette société et fait la démonstration que les représentants traditionnels ne sont plus capables de fédérer suffisamment de forces sociales pour exercer une hégémonie ou asseoir une réponse autoritaire.

La crise politique , crise de fonctionnement instituitionnel

Elle se traduit par l’incapacité des appareils politiques à assurer un consensus minimum pour rendre possible même des actes administratifs qui semblaient pouvoir échapper à toute contestation publique. Le barrage de Stivens et l’aéroport de Notre Dame des Landes en sont des exemples éclairants : dans les 2 cas, les assemblées, les échelons administratifs ont « bien fonctionné » si l’on s’en tient aux critères d’un fonctionnement normal. Et pourtant ni le barrage, ni l’aéroport ne se construisent parce que les appareils politiques n’ont pas été capables de neutraliser les opposants : ni dans le débat public, ni par la force publique. La contestation de plus en plus large de la délégation aux élus, aux administratifs, aux savants et aux techniciens ne peut être contenue par le fonctionnement actuel du système politique. Nous avons vu la même chose pour la loi Macron ( mais j’y reviendrai ) et surtout pour la loi travail. Certes cette dernière a été adoptée par défaut comme le permet un 49-3, les décrets d’application ont été pris dans des délais records mais après ?

Le patronat découvre que l’espace de la « démocratie sociale » ( joli nom pour désigner la suprématie du contractuel sur le législatif) est mis à mal par les méthodes autoritaires de Valls : les acquis patronaux de la loi El Khomri peuvent-ils dès lors donner tous les résultats promis? Rien n’est moins sûr. Là où il devait y avoir large accord, neutralisation des opposants, c’est la contestation qui frappe de suspicion le dispositif.

Le côté autoritaire et bureaucratique du fonctionnement de l’Etat et du système politique devient inadéquat au fonctionnement du système capitaliste dans sa phase actuelle et en particulier contradictoire avec les modes de gestion du salariat et ses pratique managériales.

Les outils de fonctionnement habituels de ce système montrent leurs limites à assumer ce changement, LR et le PS ne sont probablement plus en état de la faire.

La crise politique crise de représentation

La droite mal fédérée par les primaires de LR a mis en avant un homme porté par les courants les plus traditionnels, catholiques appuyés sur le « mariage pour tous », la dernière mobilisation de masse en date de la droite. Cette radicalisation à droite qui pouvait il y encore quelques semaines sembler un atout face aux progrès du FN. Elle se révèle aujourd’hui problématique pour construire une hégémonie suffisante sur la société à moins de s’allier au FN pour constituer un bloc des droites suffisamment fort. Le retour en arrière sociétal promis constitue aussi une difficulté pour que puisse s’imposer une direction LR, il est aussi devenu un véritable boulet depuis le « Fillongate ». D’ailleurs le seul fait que les informations sur les emplois de la famille Fillon soient venues dans l’espace public avec autant de force, est significatif que personne à droite ne peut aujourd’hui structurer un bloc majoritaire. Néanmoins une candidature de droite peut être un plan B si ce qui se dessine (le face à face Macron-Le Pen) ne fonctionne pas.

Le parti socialiste connaît lui aussi une crise sans précédent dont on peut mesurer l’ampleur avec le renoncement de son dirigeant naturel, Hollande puis la défaite de son successeur naturel Valls. Tout au long du septennat on pouvait penser que se mettait en place la transformation du PS en parti démocrate à l’américaine ou plus précisément à l’italienne (Valls-Renzi même profil, même combat!). Je dois avouer que j’ai longtemps partagé cette analyse. Pour beaucoup d’entre nous, la défaite des frondeurs sur la motion de censure était encore le signe tangible du succès de l’orientation sociale-libérale. Nous aurions du prêter un peu d’attention à ce qui se passait à l’extérieur de l’hexagone : nous n’avons pas prêté attention à ce qui se passait en Italie avec la crise du Renzisme ( échec au referendum constitutionnel , le job act – loi travail italienne- soumis à un référendum révocatoire avec le soutien des syndicats et d’une partie du parti démocrate) mais aussi Corbyn portant une social-démocratie antilibérale, le PS portugais qui s’allie avec nos amis du Bloco et le PCP , la crise non terminée du PSOE... autant de signes de la crise du social-libéralisme.

Dès lors le succès de Hamon ne peut se réduire une tentative de ressourcer le PS « à gauche ».

En réduisant la crise politique à celle des partis insitutionnels, certains peuvent penser que le PS a encore un avenir et dès lors l’urgence est de le liquider (ce qui est contradictoire avec l’idée qu’il a encore un avenir) ou de continuer à s’en distinguer.

Ceux là ne voient pas la reconfiguration politique qui se met en place au tour de Macron : c’est autour de lui et non plus du PS que se retrouvent les acteurs du social- libéralisme dont nombre de dirigeants du PS1. Ce n’est plus autour du PS que va constituer une perspective d’avenir.

Quelle reconfiguration politique ?

Pour le Capital, l’heure est peut être venue de se passer des partis traditionnels et de reconstituer un camp politique polarisé par Macron et Le Pen, les semaines qui viennent nous dirons quelles sont les chances de succès d’une telle entreprise.

Le Pen gagnant ou Le Pen faire valoir?

Je ne crois pas que le Capital joue Le Pen gagnante : dangers d’instabilité institutionnelle, trop de conflictualités possibles et un écart idéologique avec le « totalitarisme soft » du management, des contradictions avec les programme économique « trop à gauche » , la question de l’Europe comme champ d’appui des multinationales (aux USA le repli national est aussi un repli continental moins risqué par les multinationales). Le prix à payer pour un régime autoritaire bénéficiant d’une certaine autonomie pour être crédible est sans doute lourd à payer .

Par contre Le Pen joue un rôle essentiel dans la configuration politique : celui de repoussoir pour faire apparaître l’utilité de l’alternative Macron en jouant sur les peurs que suscitent le FN. Avec MLP comme adversaire, voilà un score assuré à son contradicteur  : le FN comme moyen de légitimation de son adversaire -même si ce dernier n’est pas bon comme Chirac en 2002- peut encore fonctionner ( c’est du moins ce que décrivent les sondages).

« Peut fonctionner » ne nous met pas à l’abri d’un accident comme aux USA et il n’est pas totalement exclu que MLP puisse être élue. Qui peut fermer les yeux sur ce risque ? L’organisation de la résistance à « la présidente » n’est même pas esquissée, au motif qu’il faut maintenir une dynamique de campagne et combattre le défaitisme.

Dans tous les cas de figure, nous subirons une défaite politique : elle est intronisée dans le rôle de défense des petits, des ouvriers... installée dans la fonction protestataire qui lui est promise depuis quelques années par le think thank « de gauche » Terra Nova.

Macron l’espoir ?

Cette répartition des rôles a bien sur l’agrément du « poulain » (disciple) de Terra Nova, Emmanuel Macron, promis à un beau rôle : reconstruire un consensus autour d’un capitalisme libéral qui ferait le choix de ne pas fonctionner à l’autoritarisme. La "bulle médiatique" autour de lui signifie qu'il est un candidat crédible ( souhaité?) par les froces économiques qui contrôlent la presse.

La « loi Macron » a été adoptée grâce au 49-3 mais il faut se souvenir que Macron avait dit son désaccord sur cet usage ( comme à l’occasion de la loi travail) se faisant fort d’obtenir un consensus large. A d’autres occasion Macron a pris ses distances avec le sécuritaire, notamment contre la déchéance de nationalité.

Ce n’est pas là une posture mais le signe d’une orientation , largement dans le prolongement des discours sociaux-libéraux et du modernisme, qui vise à s’appuyer sur d’autres catégories sociales que les banquiers. J’avais déjà noté qu’il se réclame de la défense des « outsiders » contre les « insiders » arc-boutés sur leurs acquis au détriment des plus fragiles: voir mon article de mars: https://blogs.mediapart.fr/etienneadamanpagorg/blog/070316/macron-au-secours-des-chomeurs-ou-de-medef

Ce discours « social » vise à rallier certaines catégories du salariat, et à les dresser contre d’autres, tout en prétendant s’occuper des pauvres . Nous ne devons pas négliger son efficacité surtout chez des jeunes qui ont déjà intériorisé les discours sur les baby-boomers privilégiés qui défendent leur privilèges. Mais cette vision peut aussi rencontrer un écho parmi celles et ceux qui ont fait du travail précaire la seule pratique possible de la mobilité à laquelle ils aspirent, une rupture avec la subordination salariale. Avec cela et avec d’autres propositions Macron tente de surfer « moderne » sur le thème du rapport au travail en proposant des réponses bien sûr en conformité avec le capitalisme. Il n’empêche que nous devrions prendre un peu plus garde à répondre sur le fond à une stratégie plutôt que de penser qu’il se dégonflera tout seul ou sous la seule dénonciation d’un entre soi de gauche radicale. Dans la gauche de gauche il est de bon ton de négliger Macron, de ne pas mener vis à vis de lui la bataille politique et idéologique : nous ne pouvons lui abandonner le terrain de la lutte contre la subordination, les aspirations à l’autonomie professionnelle, à la maîtrise de son travail. Nous devons être capable de poser la question « oubliée par Macron de la propriété, ce doit d’user et d’abuser de la chose possédée : ce pouvoir du propriétaire c’est celui qui permet la subordination en dehors des garanties du salariat.

Bien sûr le programme de Macron se situe dans la suite des mesures prises ces dernières années : il assume le bilan tout en regrettant que le gouvernement soit resté en deçà de ce qui était nécessaire. Il appelle donc à la poursuites des réformes pour transformer profondément le modèle social. Mais son projet brouille les pistes et les repères, car il a aussi réussi à prendre ses distances avec l’économisme régnant pour présenter un projet de société, une vision d’avenir qui fait trop défaut y compris en ayant recours à la philosophie humaniste. Il tient aussi un discours anti-bureaucratique de modernisation propre à séduire largement : en fait il vise à remodeler les fonctionnement des appareils d’ Etat en le rapprochant de la gestion des entreprises et en donnant plus de poids aux multinationales baptisées pour l’occasion acteurs de la société civile.

En fait Macron est le véritable héritier de François Hollande et du courant social libéral même s’il s’en défend pour mieux rallier une diversité de secteurs à sa candidature. Mais il est aussi l’héritier du centre et de son projet de dépassement des conflits droite-gauche, et même celui du Giscard d’un français sur 3. Le même phénomène de « renaissance du centrisme » se voit en Europe sous des modalités diverses dont Ciudanados (le Podemos de droite en Espagne ) ou d’autres en Autriche ou ceux qui dans le mouvement « 5 Stelle » tentent le rapprochement avec les libéraux belges par exemple. La caractéristique de ces mouvements est de se situer dans la critique, la contestation des régimes en place tout en sauvegardant le libéralisme : la revendication de la rupture reste au niveau du seul système politique de représentation:tous prétendent créer une « bonne représentation » comme solution à la crise de la démocratie avec un rapport au peuple somme toute populiste modéré . En fait le libéralisme se donne comme solution de secours des forces qui contestent les partis qui jusqu’alors le représentaient et qui lui ont permis de se construire et de dominer.

Macron se sert aussi de cette fonction « contestataire » pour regrouper autour de lui des groupes sociaux aux intérêts différents : le flou de son programme est délibéré, il participe de cette rupture avec les élites qui savent tout, et cette imprécision permet des rassembler large.

Plus encore que la droite, une victoire de Macron -devenu le défenseur de la démocratie face au FN- aurait des conséquences catastrophique en termes de « désarmement idéologique » de celles et ceux qui veulent encore changer ce monde. Il répond en novlangue libérale à cette aspiration au changement : « il faut que tout change pour que rien ne change».

1On peut m’objecter que pour l’instant les départs du PS sont limités, mais je crois qu’une partie de ces cadres et élus PS sont encore dans l’expectative et n’ont pas mesuré la crise du PS : ils compte reprendre en mains un appareil contre le vote des primaires, est ce jouable? Pour quels résultats ?.

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