Ceci n’est pas un compte rendu mais une analyse à chaud de l’audience du tribunal de Caen:
Ce matin 17 janvier Franck Mérouze, secrétaire de l’union locale de la CGT, comparaissait une nouvelle fois devant le tribunal .
Aujourd’hui on a parlé du fond et à cette occasion les personnes présentes ont pu prendre connaissance de l’ampleur du travail policier dans cette affaire extrêmement grave comme l’ont dit certains. Nous avons eu lecture de l’enquête détaillée d’un officier de police qui a décrypté et retranscrit les communications radios de ses collègues le jour où le pétard a été lancé pour tenter de prouver que le directeur de la sécurité publique ne pouvait pas avoir ordonné cet acte comme le disait le communiqué de la CGT-Caen. Le PV d’audition d’un manifestant arrêté qui a bénéficié d’un rappel à la loi est aussi mis à contribution. Suivent un interrogatoire serré pour établir où était Franck Mérouze ce jour là, puis pour avoir son avis sur le texte incriminé. Il est difficile pour les magistrats de concevoir que la rédaction d’un texte puisse être collective, que le signataire de l’envoi en sa qualité de secrétaire n’en est pas l’auteur. Nous avons eu là la démonstration que l’individualisation des poursuites oblige à nier la dimension collective. Il eût été possible de poursuivre la CGT en tant que personne morale mais c’eût été une toute autre dimension. La substitut du procureur, par un interrogatoire inquisitorial recherchait même ce que pensait l’accusé du texte. C’est tout à fait significatif de la stratégie adoptée au printemps par les pouvoirs publics : criminaliser des individus pour nier la dimension de mouvement social dans sa radicalité.
Et justifier par là une stratégie de maintien de l’ordre fondée sur la tension jusifiée par le danger pour le public d’un groupe intermittents-lycéens- anarchistes (ou ultragauche ce fantasme des défenseurs de l’ordre depuis Tarnac).
Papineau lui même a situé les enjeux de ce procès par la nécessité, au delà de la défense de son honneur, de combattre un complot dénonçant les provocations policières et mettant en cause la police elle-même dans son action de sécurisation des citoyens. En déportant ainsi le débat le responsable de la police tente d’éviter celui sur la gestion calamiteuse du maintien de l’ordre par les pouvoirs publics. Ce débat est pourtant une nécessité démocratique élémentaire et l’instrumentalisation de l’idéologie « d’état d’urgence » doit pouvoir être dénoncée.Tout citoyen, tout groupe de citoyen a le droit, et même le devoir de citoyenneté, de critiquer l’action des autorités publiques si elles mettent en cause les droits et libertés : refuser ce débat politique c’est un déni démocratique.
L’avocat du plaignant est aussi l’avocat des pouvoirs publics et à ce titre je trouve très inquiétant qu’il puisse intervenir avec cette violence verbale contre l’accusé allant même jusqu’à dénoncer les soutiens présents devant le tribunal et dans la salle d’audience. Il est scandaleux d’entendre un avocat payé par l’Etat remettre en cause le droit de manifester . Admettant se partager le travail avec le procureur , il individualise au maximum en discréditant personnellement l’accusé parlant de lâcheté ( pour avoir basé sa défense sur la validité juridique d’un délit l’outrage). Par l’outrance verbale il cherche à tout prix à accréditer l ’idée d’une utilisation par F Mérouze de la fonction syndicale pour éviter ses responsabilités personnelles. Bref, il est un individu qui utilise le syndicat et que ses camarades "ont lâché" ( mais qui sont donc les personnes présentes ? Des copains, des complices déguisés en syndicalistes, devant et dans le tribunal). Emporté -par sa haine de classe ?- il traite de torchon un écrit des membres de la commission exécutive la la CGT Caen qui atteste de la responsabilité collective du communiqué.
Bien sur, la substitut du procureur qui prend le relais, refuser d’emblée toute évocation du contexte et nie de fait les tensions, les actions de la police, un maintien de l’ordre contestable et contesté... pour prétendre s’en tenir aux faits tels qu’ils ressortent de la seule enquête de police. Elle des mots très significatifs sur la nécessité d’en revenir aux « fondamentaux », et pour elle les fondamentaux c’est le code pénal et ses articles. Ce n’est pas la constitution, la déclaration des droits ( de l’Homme et du citoyen, ou les déclarations universelle ou européenne) mais les textes qui permette de punir. Cette attitude d’enfermement dans le pénal lui permet de refuser tout débat sur la liberté d’expression. Bien sût, nous comprenons bien que ceci a pour but que de ne pas désavouer le parquet qui, initialemment, a engagé les poursuites pour outrage.
Par un revirement total par rapport aux propos de sa collègue en novembre, elle maintient le délit d’outrage en tentant de s'appuyer sur un changement de jurisprudence de la Cour de cassation.
Nous avons assisté à une argumentation juridique qui prouve que la substitut a passé beaucoup de temps à préparer cette audience et beaucoup de travail à tenter de fonder en droit une condamnation. C’est là un signe supplémentaire d’acharnement des parquets aujourd’hui contre des acteurs des mouvements sociaux. Avons nous affaire à une nouvelle politique pénale de criminalisation des mouvement sociaux qui se traduit par des poursuites prolongées contre des militants : à Nice le procurateur fait appel de la relaxe et continue des poursuites dissuasives contre des militants solidaires des réfugiés, à Caen le procureur va en cassation suite à la relaxe par la cour d’appel de l’auteur havrais d’un délit de solidarité.
Il est inquiétant dans l’affaire d’aujourd’hui que la criminalisation passe par le refus du débat sur la primauté de la liberté d’expression, droit fondamental.
Alors certes la procureure ne retient pas la responsabilité du syndicat (ce serait, rappelons le,se situer à un tout autre niveau impossible à assumer juridiquement et politiquement). Il y aurait de quoi sourire en l’entendant dire que cette action porte atteinte à la crédibilité de la fonction syndicale si elle ne demandait une lourde amende de 3000€ !
Une telle somme, après des semaines de procédures, de mise en cause d’une personne , d’interrogatoires, participe d’une intimidation délibérée vis à vis de militants. N’importe qui est capable de comprendre qu’on ne sort pas indemne d’une telle « aventure ». Ce n’est pas acceptable car derrière c’est la liberté de manifester, la liberté d’expression qui sont insidieusement rognées.
Dans sa plaidoirie Maître Brand, avocate de F Mérouze, remontant de façon très précise (et compréhensible pour un non juriste) le soi-disant changement de la Cour de cassation et elle a rappelé avec force toutes les jurisprudences y compris de la Cour européenne des droits de l’homme : la liberté d’expression a une valeur absolue et la France a déjà été condamnée pour avoir tenté de la réduire.
Elle demande donc la relaxe, le jugement est mis en délibéré.
A l’heure où l’on prétend nous faire accepter la restrictions des droits au nom de l’état d’urgence et de la lutte contre le terrorisme il est pour le moins contradictoire et inconséquent que les moyens de l’Etat soit ainsi utilisés ( d’après l’avocat de la police 25 membres de la section d’intervention ont été mobilisés toute la matinée pour protéger le tribunal, de qui?) dans une affaire qui n’a connu une telle publicité que par les poursuites contre F Mérouze. Faut il remercier Mr Papineau d’avoir porté plainte et de permettre ainsi que continue le débat sur l’utilisation des forces de l’ordre ? Oui, si Franck Mérouze est relaxé.