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Billet de blog 17 juillet 2017

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Lampedusa. Journal d'un été ordinaire. Épisode 4.

Venir à Lampedusa après avoir été à Calais, Paris et Vintimille c'est un peu commencer une histoire par la fin, remonter une rivière à contre courant. JohnWest, Tony et les autres ont 15 et 17 ans. Ils ont connu l'enfer libyen et rêvent de se couper les cheveux.

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Venir à Lampedusa après avoir été à Calais, Paris et Vintimille c'est un peu commencer une histoire par la fin, remonter une rivière à contre courant. Lampedusa c'est le début de l'Europe, c'est la fin de l'enfer. Mais le début du cauchemar administratif.

John West est Guinéen, il a 17 ans et a quitté son pays après avoir passé son bac. Il a appelé sa famille, deux semaines après son départ, du Mali, pour leur annoncer son projet de départ en France. Abou a 14 ans, il a quitté la Côte d'Ivoire pour être footballeur, il a appris à lire et écrire à l'école coranique. Mohamed a 15 ans, tapissier de formation, il a quitté Abidjan avec l'autorisation de ses parents. Celui qui se fait appeler Tony a perdu son père et a pris la route âgé de 15 ans, il n'a jamais été à l'école et ne sait ni lire ni écrire. Ils ont quitté leurs familles et leurs pays depuis 2 ans, 11 mois, 6 mois et 3 mois. Tous les 4 étaient sur le même bateau qui a dérivé pendant 3 jours avant d'être sauvé par les gardes côtes italiens. Aujourd'hui ils partagent une chambre au centre des migrants. Tous les soirs, ils font le mur pour regarder les touristes et se connecter à Facebook chez Papanino. Le dimanche matin, les chrétiens anglophones font le mur, même les femmes enceintes, pour aller à la messe.

Tous les jours, ils en parlent et en reparlent. “On ne peut pas oublier. C'est inscrit dans notre tête et notre corps. On ne pourra jamais oublier.”

Abou a passé de longs mois en Algérie pour gagner de l'argent, les autres sont passés par le Mali et le Niger avant de traverser le désert vers la Libye. Leurs histoires s'entremêlent lorsqu'ils racontent leur route jusqu'à l'Europe. Jusqu'au Niger ou jusqu'en Algérie, le voyage est presque facile, “il suffit de payer et d'éviter les contrôles. Très vite, tu te débarasses de tous tes papiers pour être sûrs de ne pas être rapatrié.” Ensuite l’enfer commence et aucun mot n’existe pour raconter l’enfer qu’ils ont traversé.

Ton passeur tu le choisis, parce qu'on te le conseille, parce que d'autres amis sont passés par lui. Tu le contactes par téléphone mais surtout par Facebook.” Quand le prix est accepté par tous, la route commence, même si souvent il faut payer à chaque passage de frontières. “Après ce n'est que de la chance. Celui qui a de l'argent ou des contacts ou des diplômes ne réussit pas mieux que les autres. C'est la chance qui décide de tout. De ta mort ou de ton passage.” Entre chaque voyage, ils sont gardés dans une pièce d'une maison où chaque “cokseur”, c'est ainsi qu'ils appellent les passeurs, confine ses passagers. Tony précise : “tu ne sais pas quand tu pars, et tu ne sais pas quand tu arrives. Tu n'es rien. Juste une marchandise.”

Pour rejoindre la Libye et la ville de Sebha, il faut traverser le désert.”Le pire de tout. Je ne pensais pas que je pouvais survivre à ça. Nous étions 30, se souvient John West, sur un pickup à traverser le désert pendant 8 jours et 8 nuits. Nous avions de la farine, du pain et des biscuits et de l’eau. Au début. Mais après nous devions boire l’eau du carburateur, de l'urine. Trois sont morts sur notre camion. Deux filles et un garçon. On les a enterrés dans le sable, en faisant un trou. Un jour, les cokseur nous ont donné un jerrican rempli d'eau, mais ils ne l'avaient pas rincé de l'essence. Ça faisait tourner la tête comme si on avait bu de l’alcool. On a passé deux jours sans boire et quatre jours sans manger. Tout le monde pensait être le suivant à fermer les yeux pour toujours. Il n’y a aucune logique. Ce n'est que de la chance.”

Les garçons sont arrivés en Libye et découvrent ce qu'aujourd'hui ils appellent tous l'enfer libyen et les “Asmaboys”, ces hommes sans foi ni loi qui kidnappent les noirs pour les vendre. “C'est un business, on est une marchandise.” Vendre ça veut dire en réalité atterrir en prison, se faire torturer pendant que les hommes de main d'”Ali le monstre” réclament de l’argent à la famille contre une hypothétique libération. Abou a été emprisonné ainsi deux fois, JohnWest une seule fois et Tony trois fois.

Mais l’objectif de tous en Libye reste de gagner de l'argent pour poursuivre le voyage. “Les hommes travaillent dans les cultures de dattes ou dans le bâtiment. Les femmes se prostituent. Elles n'ont pas le choix. Sinon elles sont violées. Mais même si tu trouves un travail, si tu es malchanceux tu te refais attraper et tu retournes prison.”

En prison, le quotidien n'est que douleur et torture. “Tu supportes la torture parce que tu sais que ça peut être pire. Il y a des corps par terre. Des morts. Tu entends les coups de feu.” Les tortionnaires appellent les familles pour réclamer de l'argent, Mohamed souffle alors, en regardant le sol, “ma famille a emprunté beaucoup pour me faire libérer", il sait que dorénavant il devra rembourser. Le cercle vicieux ne fait que commencer : être obligé d'arriver pour rembourser, pour laver l’affront, pour retrouver son honneur. Pour sauver sa vie.

Pour ceux qui ont gagné assez d'argent se dessine alors ce qu’ils imaginent la fin de l'enfer : la traversée de la Méditerranée. Après quelques nuits ou quelques semaines cachés dans une nouvelle maison, ils sont emmenés, cachés dans un camion, en bord de mer à Sabratah. “Quand j'ai vu le pneumatique, je me suis dit que je n'irais jamais dessus, se souvient JohnWest, mais en même temps je priais pour partir car pour rien au monde je ne serais rester en Libye.” Mohamed, JohnWest, Tony et Abou se retrouvent alors. Ils ne se connaissent pas. Ils vont passer 3 jours et 3 nuits sur ce canot, sans eau ni nourriture. Avec leurs t-shirts pour éponger l’eau qui s'infiltre dans le bateau. “Certains sont tombés, se sont noyés sous nos yeux. Mais on devait tenir. Nous ne sentions ni la faim, ni la soif, tu vois juste ta vie en face.” Tony interrompt son récit et ajoute en essuyant une larme, “j’ai essayé trois fois de traverser. La première fois j'ai été arrêté par les Asmaboys, la seconde de fois le bateau sa dérivé sur les côtes libyennes. La dernière fois j'ai réussi. Mais j'ai perdu beaucoup d’amis sur la route, beaucoup.” JohnWest ajoute : “ Chacun a sa chance, il n’y a pas de règle. Le courage amène le courage.”

Aucun des quatre ne regrettent son choix. JohnWest est très rationnel : “tu fais une étude comparative, tu vois ta vie au pays et la vie de tes frères en France et tu décides de venir car tu sais que tu auras des projets et une vie en France. Alors qu'en Afrique c'est corruption, arnaque. Aucun avenir ne s'offre à  toi. La France c'est notre ancien colonisateur, on parle français. C'est normal qu'on veuille venir.” Ils n'ont jamais entendu parler de Vintimille, Menton, Nice ou La Chapelle. Comme les anglophones n'ont jamais entendu parler de Calais ou de Stalingrad. Ils ne savent pas que la route est encore longue, qu'ils dormiront dehors en France et qu'ils se feront renvoyés s'ils prennent le train entre Vintimille et Menton. Ils savent juste qu'ils veulent faire des études, devenir tapissier, mécanicien, pilote d'avion et footballeur. Et en attendant ils vont se baigner dans les criques de Lampedusa, admirent les touristes tatoués, rêvent de trouver un bon coiffeur et font le mur pour se connecter à Facebook.

Illustration 1
Lampedusa, côté face. À 18h, les evhoppes envahissent la via Roma. Juillet 2017. © Evangeline MD
Illustration 2
Lampedusa, côté pile. A 18h, JohnWest et Tony sautent la barrière pour sortir du hotspot. Juillet 2017. © Evangeline MD

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