eveline grieder

Docteure en socio-anthropologie, chercheure indépendante en anthropologie de l'Imaginaire, dans l'esprit d'Edgar Morin, et enseignante de philosophie indienne et de yoga

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Billet de blog 27 juin 2025

eveline grieder

Docteure en socio-anthropologie, chercheure indépendante en anthropologie de l'Imaginaire, dans l'esprit d'Edgar Morin, et enseignante de philosophie indienne et de yoga

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A69 : la guerre des mondes

« Nous avons potentiellement arrêté le projet A69 ». C’est par ces mots que l’un des membres de La Voie est Libre ouvre la conférence de presse qui se tient dans un café-bar, près du Tribunal Administratif. Celui-ci vient de juger le recours sur le fond, pour invalider l’Autorisation Environnementale obtenue par arrêté préfectoral quelques mois plus tôt, en mars 2023. Cette journée du 27 février 2025 est une date historique, et, pour nous, inoubliable. 

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Docteure en socio-anthropologie, chercheure indépendante en anthropologie de l'Imaginaire, dans l'esprit d'Edgar Morin, et enseignante de philosophie indienne et de yoga

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A 69 : La guerre des mondes

Juin 2025

« Nous avons potentiellement arrêté le projet A 69 ».

C’est par ces mots que l’un des membres de La Voie est Libre ouvre la conférence de presse qui se tient dans le café-bar Le Winger, à quelques centaines de mètres du Tribunal Administratif. Celui-ci vient de juger le recours sur le fond, déposé en juin 2023, pour invalider l’Autorisation Environnementale obtenue par arrêté préfectoral quelques mois plus tôt, en mars 2023. Or, pour les juges de ce tribunal, l’Autorisation Environnementale de l’A69 ne satisfait pas à la « raison impérative d’intérêt public majeur[1] », la RIIPM, l’autorisant à déroger à la destruction des espèces protégées.

Cette journée du 27 février 2025 est une date historique, et, pour nous, inoubliable. Dans la salle arrière du café, nous sommes serrés les uns contre les autres, presque en état second, tellement il nous est difficile de croire que nous avons gagné cette première et si fondamentale bataille, après pratiquement 5 ans de combat, pour les plus ancien.ne.s du collectif.

C’est une victoire que nous savourons sans modération, en dansant, chantant et trinquant toute la journée durant, les yeux écarquillés de joie.

Je me reformule, comme un mantra, la célèbre phrase de l’anthropologue Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde, car historiquement, c’est toujours de cette façon que le changement s’est produit. »

Cette victoire est celle de la-citoyenneté-qui-ne-lâche-rien, et il faut reconnaître que c’est la première du genre, pour une infrastructure de cette importance, et à ce niveau d’avancée des travaux. C’est donc une véritable bombe[2] lâchée par les écologistes dans le camp des encravatés technocrates.

Cette citoyenneté-qui-croit-vraiment-en-son-pouvoir-de-faire-bouger-les-lignes s’est d’abord exprimée au sein de deux collectifs historiques et pionniers, le collectif RN126, et le PACT, qui ont planché des années durant sur d’énormes dossiers pour tenter de faire valoir l’alternative à la construction d’une autoroute, le premier dès 2007 et pendant le Débat public, puis le second dès 2014 après l’engagement du Gouvernement en faveur de cette option.

Puis elle reprend du poil de la bête en 2020, après les échecs dus au soutien inconditionnel de l’État à une autoroute concédée, dans le petit village de Montcabrier, lorsque quelques familles voisines décident de se mettre en travers de l’ouverture d’une carrière pour les remblais de cette future et inexorable autoroute. Celles-ci initient, à travers le collectif Stop-Carrière, une lutte d’un nouveau style, se servant avec audace et drôlerie des réseaux sociaux et d’évènements festifs, colorés et railleurs, pour interpeller très largement le public, les politiques et les associations environnementalistes. Ce collectif sera à l’origine de La Voie est Libre[3], qui n’aura de cesse de grossir médiatiquement et sur le terrain, entraînant dans son sillage flamboyant une grande partie de la lutte écologique, au niveau national, et même international, en se déployant tous azimuts, par une stratégie de désobéissance civile non-violente, mais sans concessions.

Une autoroute, pour qui ? pour quoi ?

Le projet d’autoroute pour relier Toulouse à Castres est un vieux serpent de mer, largement documenté[4], porté depuis trente ans par le capitaine d’industrie Pierre Fabre, pharmacien de Castres qui a su créer, en quelques années, un groupe pharmaceutique et dermo-cosmétique d’importance mondiale.

Véritable seigneur dans sa ville et dans le Sud-Tarn, il a su habilement organiser la politique locale au bénéfice de son entreprise, et se faufiler au niveau national, en menant un lobby d’une remarquable ténacité, afin d’obtenir des dirigeants politiques l’aménagement du territoire selon ses vues propres d’expansion économique. C’est ainsi qu’après des années d’âpres pressions, il obtient du Président Hollande la promesse d’une autoroute concédée, dans le cadre privilégié de la catégorie des premières priorités, sur la base d’un rapport de la commission « Mobilité 21 : pour un schéma national de mobilité durable ». Ce rapport est validé par le Gouvernement pour le plan « Investir pour la France », présenté le 10 juillet 2013 par le Premier Ministre, quelques jours avant la mort du grand patron, quittant sans doute notre terre avec le sentiment du travail accompli.

 Il est important de rappeler ces faits pour comprendre comment le verdoyant et tranquille territoire sud-tarnais se trouve aujourd’hui balafré sur 50 kilomètres d’un monstrueux chantier dont nul ne sait ce qu’il en adviendra. En effet, lorsque l’on se penche attentivement sur toutes les étapes de cette longue histoire, il apparaît évident que tout a été fait, et depuis le début du projet, pour écarter les alternatives routières susceptibles d’améliorer la desserte Castres-Toulouse, et privilégier cette construction démesurée et inutile. Inutile puisque, justement, l’entreprise Pierre Fabre s’est développée au plus haut niveau… sans autoroute.

Cette autoroute est un fantasme, celui de la nécessité de « désenclaver[5] » la ville de Castres, brandie comme un hochet par les entrepreneurs du Sud-Tarn, emboîtant allégrement le pas de Pierre Fabre depuis des années, pour justifier leur volonté de se sentir faire partie intégrante d’un monde moderne et rutilant, par opposition à l’appartenance à un terroir, perçu comme arriéré, une enclave vieillotte qu’il convient de développer et de relier à la grande et belle machine du progrès.

L’argument massue, le petit refrain de la chanson de geste autoroutière, est le temps gagné pour relier les deux villes par rapport à la situation actuelle. Mais cet argument s’est rétréci comme peau de chagrin, passant de 35 à 15 minutes. Et pourtant dieu sait si cela paraît essentiel aux soutiens politiques de l’ouvrage : pour elles et eux, aller plus vite est indispensable, compte tenu de la férocité du monde des affaires et de la concurrence. L’accélération, une nécessité[6], point final. Et tant pis pour celles et ceux qui voudraient continuer à vivre tranquillement.

Bon, voilà qui est dit : l’A69 a pour vocation d’être un itinéraire sans aspérité, une sorte de tunnel suspendu au-dessus du territoire, pour le personnel de certaines entreprises, et pour leurs dirigeants, s’ils ne prennent pas leur hélicoptère privé.

En tous cas, le français moyen, celui qui sera miraculeusement « désenclavé », ne prendra pas l’autoroute pour aller à la capitale toulousaine, vu son prix qui avoisine les 9€ aller simple, en augmentant progressivement, à partir d’une promesse de 6,77€, depuis l’obtention du contrat de concession.

Même la petite entreprise n’y fera pas passer ses camions, à 13,50€ l’aller simple. Ceux-ci continueront à polluer les villages, d’autant plus que les deux déviations, payées par le contribuable pour contourner deux gros villages, afin de leur rendre leur tranquillité, au vu de l’accroissement exponentiel du trafic routier des marchandises, seront intégrées à l’autoroute.

Bien sûr, il y aura des tarifs dégressifs pour les abonnés et les heureux propriétaires de voitures électriques.

Mais quand même ! Non, l’A69 est une autoroute pour les grosses entreprises, et elle représente aussi, essentiellement, un certain modèle de développement, basé sur une idéologie délétère et obsolète du Progrès, de la Croissance, de la Modernité.

Qui dit autoroute, dit également zones d’activités sur les « délaissés », ces pans de terre inutilisables, et intégrés dans le catalogue des possibles prestations liées à une infrastructure comme celle-ci : « fermes » solaires, entrepôts pour les Amazon et autres e-commerces, centres commerciaux démesurés, chaînes de restaurants de malbouffe, et pourquoi pas data centers pour les IA à venir.

Bref, une industrialisation du territoire, sa colonisation[7] par le business capitaliste débridé.     

Ainsi, cette autoroute est le symbole même de l’affrontement entre deux mondes, celui des Modernes et celui des Terrestres, selon la terminologie du philosophe Bruno Latour[8] : Modernes enfermés dans l’idéologie du toujours plus de nouveauté technologique et du toujours plus de circulation d’objets et de monnaie ; Terrestres résistants à cette démesure déshumanisante, et ayant pour seul objectif de vivre modestement en harmonie avec leur terre, leur famille, leurs proches.

A 69, la fin ?

Cela fait longtemps que les opposants au projet ont compris que ce qui se jouait là, dans cet acharnement à obtenir l’ouverture de ce chantier coûte que coûte, sous couvert de parcours « démocratique », était le signe d’un monde hors-sol qui refuse d’atterrir, celui de cette idéologie écocide obsédée par une fuite en avant technophile, mais en fait véritablement technopathe, où l’économie doit garder le pouvoir de tout écraser sur son passage, afin de générer plus de profits.

Mais maintenant, depuis qu’une jeune rapporteure courageuse du Tribunal Administratif eut réussi à convaincre les juges que, comme le clamaient les opposants depuis l’Autorisation Environnementale de mars 2023, ce chantier était bien illégal, c’est la guerre ouverte.

Pour une fois, et pour la première fois sur un ouvrage de cette importance, la politique du fait accompli ne passe pas la barre de la justice.

Car bien avant l’arrêté préfectoral autorisant le démarrage des travaux, diverses instances officielles avaient émis des avis très défavorables.

Déjà, en 2017, lors de l’enquête publique, les collectifs et associations qui se battaient sur le terrain juridique, avaient publié un rapport contestant point par point les arguments en faveur de l’autoroute, mettant en avant l’intérêt de l’aménagement de la route existante. Ils avaient reçu l’appui de deux avis très sévères émanant de l’Autorité Environnementale (AE) et du Commissariat Général à l’Investissement (CGI), dont les décideurs n’avaient tenu aucun compte.

En 2022, après que le concessionnaire ait été désigné, et juste avant l’Enquête Environnementale - qui avait d’ailleurs émis 85% d’avis défavorables, et deux réserves des commissaires-enquêteurs - un tollé se fait entendre, émanant à nouveau de certaines institutions environnementales.

Le Conseil National de la Protection de la Nature[9] (CNPN), lui, s’exprime en ces termes : « Ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité, ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat. »

S’exprimant à nouveau, comme en 2017, l’Autorité Environnementale[10] est très claire : « De façon générale, ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de pollution de l’air et des risques sanitaires associés, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire ainsi qu’avec l’évolution des pratiques de mobilité et leurs liens avec l’aménagement des territoires. La justification de raisons impératives d’intérêt public majeur du projet au regard de ses incidences sur les milieux naturels apparaît limitée. »

La question fondamentale est alors celle-ci : pourquoi un État se dote-t-il d’instances compétentes et spécialisées dans des domaines nécessaires à la bonne marche de ses choix pour la société, pour ne pas les écouter ? Réponse : parce qu’il n’est plus au service de l’intérêt général, mais au service de certains intérêts particuliers, parce qu’il n’est plus au service des Terrestres et de leurs besoins, mais au service des Modernes et de leurs profits.

Or l’intérêt général se fonde de plus en plus, depuis de nombreuses années déjà, sur le Droit de l’environnement, qui se constitue peu à peu, eu égard à la crise écologique, et dont les rencontres du Grenelle de l’Environnement en 2007 furent un moment fort, tant les atteintes aux milieux naturels apparaissaient déjà comme de plus en plus graves.

Cependant, la Loi Grenelle de 2009, portée par Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, de l’Énergie et du Développement Durable, avait malheureusement réduit en grande partie les propositions élaborées lors des débats par la société civile et les partis les plus préoccupés par ces problématiques.

C’est d’ailleurs ce même ministre qui donne le blanc-seing pour la mise en concession d’une autoroute Castres-Toulouse. Or, il était a priori opposé au projet, mais Bernard Carayon, alors député du Tarn et grand soutien de Pierre Fabre, a su influer sur son choix en menaçant le Premier Ministre de l’époque, François Fillon, de quitter la majorité gouvernementale si l’autoroute ne voyait pas le jour.

On le voit, l’affaire A69 était déjà au cœur des renoncements écologiques d’il y a 25 ans.

Pourtant, le droit progresse, en particulier au niveau de l’Europe, qui instaure la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur » (la fameuse RIIPM), celle évoquée par l’Autorité Environnementale en 2022.

C’est justement cette notion, incluse dans le Droit de l’environnement, que l’avocate des dix associations requérantes du recours sur le fond en juin 2023 a mise en avant, et qui ébranle le monde politique et juridique depuis le 27 février.

Pour comprendre cette notion, il faut se pencher sur l’évolution du Droit de l’environnement, qui a déjà une longue histoire en France, depuis la fin des années 1980 : après presque une décennie de tergiversations gouvernementales, la loi Barnier relative au renforcement de la protection de l’environnement est votée en 1995, sur la base de principes généraux issus du droit européen, ainsi que de la volonté de véritablement respecter plusieurs conventions internationales signées par la France. Puis le Code de l‘environnement est enfin publié en 2000.

C’est dans l’article 411-2[11] de ce Code de l’environnement que se trouve la fameuse notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur ». Celles-ci sont considérées comme faisant partie des éléments permettant, sous certaines conditions, de déroger au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées (DEP).

Cette notion spécifique trouve sa source dans le Droit européen, et plus particulièrement dans la directive « Habitats, faune, flore » de 1992[12], qui prévoit une stricte règlementation pour protéger les habitats naturels, et instaure également les zones spéciales de conservation Natura 2000, afin de créer un grand réseau écologique européen. 

Ainsi, à peu près lorsque Pierre Fabre commençait à rêver d’avoir une autoroute pour sa bonne ville de Castres, vu que la ville historiquement concurrente d’Albi venait d’avoir la sienne, l’Europe se préoccupait, de façon extrêmement élaborée, de la survie des espèces naturelles, tant animales que végétales. Elle instaurait, il y a pratiquement 35 ans, un ensemble de règles communautaires à visée contraignante pour faire valoir la responsabilité des politiques publiques d’aménagement du territoire. En effet, la protection du vivant, étant considérée comme indispensable pour l’équilibre entre les sociétés humaines et leur environnement, sa dérogation devait se faire pour de très bonnes raisons, impératives et d’intérêt public majeur.

L’État français a fini par suivre cette dynamique européenne, avec quelques années de retard, en la mettant dans sa propre loi, mais … sans en tenir vraiment compte dans l’élaboration des grands projets comme celui de l’A69. Si la volonté de respecter les orientations européennes en matière écologique avait été honnête, l’État aurait écouté la petite musique de l’opposition, déjà bien ancienne, à ce projet ; il aurait respecté la Loi Grenelle qui prévoyait d’étudier sérieusement les alternatives à un imposant chantier pour améliorer une desserte routière ; il aurait pris soin de respecter la parole critique de ses propres services spécialistes de la question ; il aurait pris le pouls de la situation au moment de l’Enquête Environnementale avant de signer les arrêtés autorisant le démarrage des travaux ; il aurait sagement suspendu le chantier de défrichement, à peine commencé lorsque les opposants ont déposé un recours sur le fond pour absence de RIIPM, en se demandant si jamais ceux-ci pouvaient avoir raison.

La guerre est déclarée : Premier épisode (27 février-28 mai 2025)

Si l’État avait juste compris qu’il allait affronter une sérieuse détermination, portée par une grande partie de la société civile, à faire valoir des perspectives économiques respectueuses de la bonne santé des territoires, nous n’en serions pas aujourd’hui au psychodrame national que nous vivons depuis que le Tribunal Administratif a eu le toupet de faire valoir cette RIIPM pour contrer l’arrêté préfectoral autorisant les travaux d’une infrastructure qui n’aurait jamais dû voir le jour, en bloquant l’immense chantier.

Il faut dire que les temps changent, et que les juges de ce tribunal sont jeunes, et que ce sont des femmes. Ce n’est peut-être pas par hasard !

Et ce n’est aussi peut-être pas par hasard qu’elles sont autant vilipendées depuis leur audacieux jugement.

L’État a fait appel, ce qui est dans l’ordre des choses, et va tenter d’obtenir un « sursis à exécution », afin que les travaux reprennent en attendant le nouveau jugement, ce qui sera sans doute plus difficile à obtenir.

Tout cela procède du parcours ordinaire d’une justice démocratique.

Cependant, que n’avons pas entendu depuis le 27 février !  

D’abord le fait que cette décision courageuse - qui a été prise, ne l’oublions pas, dans un contexte de grosses pressions politiques, localement et en très haut lieu - était « ubuesque[13] », mettait « en danger tous les projets significatifs[14] » et « sacrifiait l’avenir[15] » : une levée de bouclier contre l’institution judiciaire coupable d’entraver le bon développement de la prospérité économique du pays.

C’est le début d’une bataille rangée où les juristes de haut niveau prennent publiquement la parole[16] pour défendre becs et ongles la séparation des pouvoirs et l’État de droit mis à mal par ces attaques tonitruantes. Ceux-ci avaient déjà publié une tribune[17] défendant vivement le Droit de l’environnement bafoué lors de la tentative de l’État de repousser la décision du tribunal quelques mois plus tôt, en obtenant la réouverture de l’instruction suite à une note en délibéré parfaitement accessoire au dossier.

Ce qui est ubuesque, en tout état de cause, c’est le fait que, suite au recours sur le fond des 10 associations requérantes en juin 2023, les travaux aient suivi leur cours, alors que le projet avait été très critiqué par des organismes officiels en amont de l’Enquête Environnementale ; que les coupes aient eu lieu en pleine nuit dès le début de la période autorisée, dans un contexte très tendu avec les opposants, gazés comme des moustiques, en ayant prétendu à une battue de sangliers pour réduire la circulation dans ce secteur quelques jours auparavant ; que l’entreprise Pierre Fabre ait fait un chantage à l’emploi dès que le Ministre des transports, Clément Beaune, ait juste susurré la possibilité d’un moratoire sur l’A69, à l’automne 2023 ; qu’une répression disproportionnée se soit abattue sur les opposants, gazés à chaque manifestation sur les lieux de résistance, amenant le rapporteur spécial de l’ONU, Michel Forst, à faire le déplacement dans le Tarn lors du siège de 40 jours imposé aux quelques grimpeurs, les « écureuils », perchés dans les arbres pour les défendre, dans un bois à haute valeur environnementale, au risque de leur vie.

Ce qui est ubuesque, c’est la politique du passage en force, accompagné du sentiment d’impunité, dans un immense mépris porté à celles et ceux qui s’opposent à ce grand projet inutile et imposé, malgré tous les signaux d’alerte venant des agences étatiques, de la presse et même des scientifiques ayant pris fait et cause contre ce projet, qui symbolisait pour eux exactement ce qu’il fallait surtout arrêter de faire pour que l’avenir de nos sociétés soit juste soutenable.

Le 8 mars, une spectaculaire manifestation pro-autoroute, a lieu à Castres, initiée par certains élus du Sud-Tarn, impliqués dans le soutien à ce projet écocidaire, aveuglés par leur idéologie du désenclavement et pour leurs bonnes raisons économiques, c’est-à-dire en vertu de leur allégeance au tout puissant groupe Fabre. Celui-ci a d’ailleurs mis la main au portefeuille dans une organisation parfaite, avec bus pour véhiculer les manifestants - essentiellement des personnes qui n’ont pas eu le temps de réfléchir, et qui répètent ce qu’on leur dit, tellement la peur d’un avenir différent, car nécessairement plus sobre en énergie, les angoisse - podiums pour les prises de parole des officiels encravatés, et océan de fanions « A69, on finit », aux couleurs du Castres Olympique, le célèbre club de rugby, soutenu et financé par l’entreprise.

[18], le député Jean Terlier, avocat de formation, marié à une cadre du groupe Fabre, et enivré par ce succès, considérant que les élus ne pouvaient plus «se soumettre à l’aléa d’une décision de justice », propose que le pouvoir législatif reprenne la main sur cette affaire qui tourne au vinaigre, et annonce la proposition d’une loi de validation des arrêtés préfectoraux, ceux-là même qui viennent d’être invalidés par la justice.  

Or, si la notion de « loi de validation » existe bel et bien dans le Droit administratif, elle concerne habituellement des législations permettant de purger des irrégularités de procédure, mais là, c’est une première franchement originale, et malhonnête, d’utiliser cette compétence pour tenter d’annuler une décision de justice. Ainsi, la loi sera peut-être votée avec l’aide de l’extrême-droite à l’Assemblée et au Sénat, mais aura du mal à passer la barre du Conseil Constitutionnel, et même si oui, pourra être retoquée comme non-conventionnelle eu égard aux dispositions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant le droit à laisser la justice faire jusqu’au bout son travail de justice.

Bon courage, Monsieur Terlier, pour vous mettre en travers d’un jugement mûrement réfléchi, et qui va dans le sens de l’histoire.  

Mais ce n’est pas fini.

Dans la foulée du traumatisme politique dû au jugement, voici ce que notre Ministre des transports, Philippe Tabarot a annoncé à la presse[19], le 21 mars :

« Je souhaite changer la loi pour que la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) soit reconnue en même temps que la déclaration d'utilité publique ».

Suite à cela, la Commission Spéciale de l’Assemblée Nationale, chargée d’examiner le projet de Loi de la simplification de la vie économique, fait passer rapido, le 23 mars, plusieurs amendements, portés entre autres par… Jean Terlier, visant à faciliter l’obtention de la Dérogation Espèces Protégées pour les porteurs de projet d’aménagement.

L’idée est d’élargir la présomption de RIIPM à différents types de projets « déjà reconnus prioritaires pour la Nation », dont les projets ayant obtenu une déclaration d’utilité publique (DUP).

Mais c’est tout de même mélanger les torchons avec les serviettes, car une DUP (déclaration d’utilité publique), visant à permettre les expropriations, n’a vraiment rien à voir avec une DEP (dérogation aux espèces protégées), qui est justement en question dans la Directive européenne et dans le Code de l’environnement.

Il y a là, manifestement, une tentative de faire taire toute contestation de projets  d’artificialisation des sols, sous le prétexte qu’ils sont d’utilité publique, c’est-à-dire tout projet ayant eu l’autorisation d’exproprier pour se réaliser.

C’est une façon comme une autre de tenter de minimiser les spécificités de ce Droit de l’environnement qui dérange, qui devient l’ennemi de l’avenir radieux du développement, et de faire taire les défenseurs du vivant, simples petits gravillons dans le bel engrenage d’un Progrès-qui-ne-doit-jamais-s’arrêter.

D’ailleurs, depuis un mois, les Terrestres que nous sommes entendent ou lisent avec une immense tristesse les déclarations de certains Modernes considérant qu’il y en a assez que le beau, le bon et le vrai déroulement de ce nécessaire progrès technique soit entravé à cause des grenouilles, des loutres d’Europe ou des renoncules à feuille d'ophioglosse[20].

Ainsi ce jugement de tous les espoirs écologiques déclenche une véritable guerre contre les territoires, soupçonnés de vouloir s’enliser dans la misère[21] : dans cette vision du monde, nos belles entreprises sont bien obligées de demander l’autorisation à l’État de bétonner pour notre prospérité et notre maintien dans la modernité qui ne peut se discuter.

Enfin ! Nous avons assisté, médusé.e.s, à un beau psychodrame, vraiment…

En tous cas, pour le moment, nous participons à une victoire éclatante, celle des citoyens qui réfléchissent, qui pensent aux générations futures et ont le courage de mettre en action leurs opinions, quoi qu’il arrive : nous, opposants à l’A69, avons réussi le tour de force de faire tanguer les relations entre l’État et la justice, entre le législatif et le judiciaire.

Toute la sphère médiatico-politique parle de cette lutte, qui est devenue l’emblème du besoin urgent de penser un autre aménagement des territoires.

Tout le monde connaît l’A69, vieux serpent de mer agonisant, désastre pour la terre et pour ses habitants.

Tout le monde attend la suite…

La guerre est déclarée : Deuxième épisode (28 mai-25 juin 2025)

Ainsi, tout le landerneau du pouvoir s’est mis en ordre de bataille pour écraser cette victoire extraordinaire de notre lutte de Terrestres pour la terre, et nous avons attendu, puis éprouvé, semaine après semaine, l’histoire en train de se faire, dans les coulisses des puissants Modernes.

Le 15 mai, le Sénat vote à une large majorité la fameuse loi de validation, permettant, si elle est aussi votée à l’Assemblée, puis validée par le Conseil Constitutionnel, d’annuler le jugement de février et d’enfin donner le sésame de la RIIPM au chantier de l’autoroute. Ce vote est vécu par beaucoup comme un énième passage en force[22] - cette fois-ci législatif - faisant dire au sénateur écologiste Ronan Dantec, qui a déposé une motion d’irrecevabilité : « Nous ne sommes qu’au début d’un festival de trouvailles législatives à faire sauter dans leurs tombes les pères de la Constitution…  Cela veut-il dire que dès qu’un projet sera annulé par un tribunal, le Parlement déposera une loi de validation ? ».

Et son collègue Jacques Fernique de renchérir : « Il arrive que des décisions de justice déplaisent, c’est la vie démocratique, mais aujourd’hui nous débattons de la frontière entre le législatif et le judiciaire, et de la légitimité du Parlement à se substituer aux juges. À une semaine de leur décision, le législateur crée un précédent grave en tentant d’influencer une Cour de Justice ».

Ambiance !

Car en fait, il ne s’agit ni plus ni moins d’un coup monté par les élus, sénateurs et députés pro-autoroute, pour faire pression sur le Tribunal Administratif qui doit se prononcer d’ici peu sur le sursis à exécution du jugement de février.

Grosse déception aussi, car les sénateurs socialistes ont presque tous voté pour cette loi, ce qui est considéré comme une forfaiture par les autres élus de gauche[23], faisant déclarer à Christine Arrighi, député écologiste de Haute-Garonne et grand soutien à la lutte contre l’A69 : « C’est très surprenant de la part des socialistes. On aurait pu s’attendre à un vote contre cette loi, pour protéger notre État de droit et nos principes… Soutenir ce texte, c’est contraire à notre rôle de parlementaire. On est là pour voter la loi, établir une ligne de crête à ne pas dépasser. Et là, on propose carrément d’enjamber le droit, d’enjamber les règles que l’on fixe et que l’on vote. J’espère qu’ils vont se ressaisir ».

Et donc, le 28 mai, soit moins de 15 jours, plus tard, le collège des juges du sursis au Tribunal Administratif se prononce en effet pour la reprise des travaux, dans un jugement lapidaire, de quelques phrases, sans aucune tentative de motivation - contrairement au jugement de février, constitué de nombreuses pages d’un solide argumentaire - se contentant d’évoquer le « sérieux » de la demande de l’État de faire valoir la RIIPM pour ce chantier, et donc d’invalider le jugement de février.  Pourtant, a priori, le rôle de cette cour n’était pas de juger du bien-fondé de ce jugement, mais de permettre ou non sa suspension provisoire jusqu’au jugement en appel, juste pour reprendre l’activité du chantier.

Ce qui est invraisemblable dans ce jugement, compte tenu de la gravité de la situation écologique dans laquelle nous sommes plongé.e.s, c’est qu’il considère qu’une autoroute répond « par nature » à une RIIPM, l’autorisant à déroger à la protection des espèces vivantes.

C’est donc bien une décision politique, et non pas « de Droit », qui s’exprime, et qui montre, de façon paradigmatique, comment avance inexorablement le bulldozer des collusions en très haut lieu lorsque les intérêts économiques sont attaqués, et lorsque l’idéologie de la modernité triomphante est égratignée.

Et puis, le 2 juin, la loi de validation arrive à l’Assemblée Nationale, et les député.e.s de gauche tentent de proposer de nombreux amendements, afin que soit discuté le fond de la problématique écologique de l’A69, mais les députés de la majorité hurlent à l’obstruction. Du coup, LFI propose une motion de rejet de cette loi, laquelle, dans un méli-mélo politique très agité, sera votée par l’ensemble de la droite, en parfaite contradiction avec leur demande qu’une loi voie le jour, poussant ainsi cette fameuse loi purement stratégique à être votée en Commission Mixte Paritaire, où elle est adoptée finalement adoptée par une poignée d’élus, députés et sénateurs le 25 juin… De là, elle sera ratifiée par les deux assemblées, sans débat, début juillet.

Maintenant, nous attendons le passage éventuel par le Conseil Constitutionnel, où nous espérons qu’elle sera retoquée pour non-respect d’un Motif Impérieux d’Intérêt Général, à moins que le Droit soit encore distordu par les partisans de ce massacre.

Car les élus pro-autoroute n’ont cure des dispositions règlementaires. Ce qu’ils veulent, c’est faire parler d’eux, faire pression sur la justice et tordre le cou de l’État de droit, pour garder intacte leur vision de l’avenir, dans un coupable déni des réalités écologiques, mais aussi pour préserver coûte que coûte les intérêts de leurs donneurs d’ordre, les grands de ce capitalisme en perdition.

Ainsi va la trumpisation du monde.

Que de plus en plus de Terrestres, responsables et lucides, contestent la trajectoire du paquebot de la modernité, qui pourtant fuit déjà de toutes parts, et fonce sur un iceberg géant, et c’est la guerre ouverte, une sale guerre, qui cherche à faire table rase des questions posées en écrasant celles et ceux qui lèvent le doigt.

Une guerre écocidaire.

Un désastre écologique

Car toutes les personnes qui réfléchissent un tant soit peu sur l’avenir de nos sociétés malades reconnaissent que cette autoroute est un désastre.

Un désastre pour les centaines de personnes expropriées[24] ou expulsées.

Un désastre pour les 800 ouvriers qui ont fait confiance à l’entreprise de travaux publics et se retrouvent au chômage.

Un désastre pour les opposants blessés, car tombés des arbres, ou tabassés lors d’une manifestation ou d’une interpellation.

Mais surtout, c’est plus particulièrement un désastre pour la terre, balafrée de cet ignoble ruban de sol à nu, après l’abattage de milliers d’arbres et d’arbustes, devenue une plaie béante où toute vie a disparu.

Un désastre surtout dans la façon dont les travaux se sont déroulés, tant le concessionnaire Atosca, filiale du groupe NGE, dans sa précipitation et son mépris de l’environnement, a avancé en pratiquant les irrégularités en toute bonne conscience, et ce malgré la façade scintillante brandie dans sa communication, celle d’une première autoroute véritablement écologique, « l’autoroute du XXIème siècle », intégrant « les dernières normes les plus strictes sur les plans environnemental et climatique ».

Une promesse qui se solde, en moins de deux ans de chantier, par 42 rapports de manquement administratif et 15 arrêtés préfectoraux de mise en demeure, selon un rapport[25] de France Nature Environnement, mis à jour en janvier 2025, peu avant l’arrêt des travaux.

Et cela avait commencé… avant même l’obtention de l’arrêté préfectoral, en janvier 2023 : le concessionnaire, se croyant tout-puissant, avait alors fait procéder à un rebouchage en règle de cavités dans les arbres devant être abattus à terme, afin d’empêcher la nidification qui aurait repoussé la date de l’abattage.

Le problème c’est que ces cavités pouvaient parfaitement abriter des chiroptères, mignons mammifères volants, comme les pipistrelles et autres chauves-souris, qui sont des espèces protégées et étaient alors en pleine hibernation, ce qui aurait conduit à leur mort certaine si les opposants n’avaient pas surveillé attentivement ces arbres, et n’avaient pas alerté l’Office Français de la Biodiversité (OFB), et les autorités judiciaires.

Ce premier abus de pouvoir choquant a joué dans la méfiance que les collectifs ont développée, et qui a contribué à leur donner des ailes pour s’opposer à ce qui apparaissait comme un véritable rouleau compresseur de destruction du milieu naturel, un écocide programmé.

Ainsi, dès les premières semaines suivant la fin de l’Enquête Environnementale, nous savions à quoi nous en tenir, et nous commencions à écrire avec rage la malheureuse chronique d’une mort annoncée de notre vert pays.

A partir de là, le regard perçant des opposants n’a pas cessé de fouiller le chantier, de constater de constantes irrégularités et infractions, et de les signaler aux autorités compétentes.

Un véritable et triste inventaire à la Jacques Prévert :

Coupes d’arbres abritant des espèces protégées d’oiseaux ; Non-respect d’habitats de chauves-souris ; Destruction illégale de zones humides ; Destruction d’espèces protégées ; Abattages illégaux d’arbres d’alignement ou d’arbres malades ; Non-conformité aux mesures d’évitement de réduction ou de compensation[26], pourtant obligatoires pour un chantier ayant obtenu une Autorisation Environnementale ; Multiples violations des dispositions concernant la question de l’eau : nappes polluées, bassins de rétention illicites ou/et poreux, assèchements illégaux, ouvrages hydrauliques non-conformes, prélèvement d’eau excessif, mauvaise gestion des eaux pluviales, systèmes de filtration défectueux, mauvaise prise en compte du caractère inondable de la vallée du Girou.

Où là là !

Quand on se sent appartenir au peuple des Terrestres, il y a de quoi se poser d’abyssales questions sur les compétences, le sérieux et la probité de ceux qui prennent et exécutent des décisions d’envergure pour le fonctionnement de nos sociétés.

Dans le cas de ce chantier, non seulement les agences gouvernementales alertent en vain, depuis dix ans déjà, sur le fait que cette autoroute est anachronique et en contradiction avec les engagements de l’État en matière de protection de l’environnement, mais le concessionnaire qui remporte l’appel d’offres se conduit en terrain conquis, et en violant la légalité dès les premières opérations.

Notre société et nos territoires doivent-ils être ainsi victimes d’un système qui accepte la malhonnêteté ?

En voyant de près comment fonctionne ce chantier, irrespectueux du vivant, on peut dès lors avoir l’impression que ces négligences, cette précipitation, ce passage en force sont là pour signifier à quel point le Droit de l’environnement n’a aucune valeur aux yeux des décideurs et des porteurs du projet, assumant de contredire tous les avertissements des experts et des scientifiques qui s’égosillent depuis longtemps déjà pour leur faire entendre raison sur l’avenir de notre pays, et même sur l’habitabilité de notre monde.

On pourrait même peut-être dire qu’ils se conduisent en ennemis de la terre, en bandits de grands chemins, dans leur déni de la réalité, pourtant martelée depuis des décennies par les spécialistes de la question : notre modèle capitaliste est à bout de souffle, la terre ne le supporte plus.

Le déni de la parole scientifique

A l’automne 2023, dans la foulée de la forte médiatisation concernant l’A69, deux tribunes de scientifiques sont publiées dans la presse, la première émanant de la totalité des 200 scientifiques, toutes disciplines confondues, de l’Atécopol de Toulouse[27], et la seconde de Scientifiques en rébellion[28], qui recueille presque 2000 signatures, dont certaines très prestigieuses, venant de responsables du Giec comme Valérie Masson-Delmotte et Christophe Cassou.

Pour beaucoup d’entre elles et eux, il y a un avant et un après A69, car cette autoroute est l’exemple symbolique de ce à quoi il est absolument impératif de renoncer, afin d’orienter les décisions d’aménagement dans le sens d’un futur soutenable pour notre planète et ses habitants.

Leurs arguments sont simples à comprendre. On peut les résumer en 4 points :

Une autoroute produit invariablement plus de voitures : l’argument de l’autoroute essentiellement conçue pour futures voitures électriques ne tient pas, car la construction de voitures électriques coûte énormément en termes d’extraction de matériaux pour les batteries (lithium, manganèse, cobalt, graphite, acier et nickel), dans un contexte de futures et très prochaines pénuries. C’est donc une vue de l’esprit que de penser remplacer le parc automobile thermique d’un pays par un parc électrique. Comment tenter d’imaginer la question au niveau mondial ? N’y pensons même pas ; d’autre part, le plus efficace pour faire baisser les émissions de CO2 est de réduire la vitesse sur les autoroutes. A ce moment-là, l’argument du gain de temps par rapport à la situation actuelle ne tient plus.

Le lien entre création d’une nouvelle infrastructure autoroutière et le développement économique du bassin d’emploi de villes moyennes est très critiquée par les universitaires et même par les études d’aménagement : au lieu de bénéficier à celles-ci, c’est plutôt l’effet inverse qui a été constaté : la dynamique du territoire se déverse vers la métropole de région, au détriment de sa logique locale, entraînant les villes moyennes dans une accélération des flux marchands, en une course sans fin à toujours plus d’échange de marchandises, toujours plus de superflu, s’opposant à toujours moins de respect des besoins fondamentaux. De cette façon, ces villes dépérissent, ainsi que leurs territoires.

Ce qui est crucial, c’est une politique de transports en commun[29] : le trajet Castres-Toulouse en voiture thermique émet 3 fois plus de CO2 qu’un TER, fût-il thermique, et 25 fois plus qu’une ligne de train électrifiée. Quant à la voiture électrique, elle fera baisser de 10 fois le CO2 par rapport à la voiture thermique, mais… cette baisse interviendra seulement au bout de 150.000 kilomètres, tellement elle consomme de matériaux, et donc de CO2 pour les produire, durant sa fabrication ; en ce qui concerne la liaison Castres-Toulouse, la politique de desserte par voie ferrée a été et reste volontairement négligée par les choix du Conseil Régional, et c’est bien cela qu’il faudrait corriger en urgence.  

Compte tenu de la situation gravissime concernant le climat et la biodiversité, rien de justifie aujourd’hui de porter atteinte aux terres agricoles, nos terres nourricières, ni d’artificialiser les terres sauvages ;  l’émission d’énormes quantités de CO2, ou l’utilisation de millions de litres d’une eau de plus en plus rare, pour continuer à construire, bétonner et bitumer, sont un non-sens écologique et un risque grave pour la santé des populations ;  la fameuse notion de compensation carbone est un mensonge : les services écosystémiques que rendent les arbres et les zones humides de plusieurs décennies ou siècles ne sont même pas comparables à ceux des zones de compensation, faites de bric et de broc, simplement pour respecter les normes (si tant est qu’elles le soient), avec des arbres nouveau-nés dont beaucoup mourront avant d’atteindre l’âge adulte, et des pataugeoires pour remplacer les mares et marais.

 Épilogue

Voilà, c’est pourtant simple, et tout le monde devrait le comprendre : nous avons dramatiquement besoin de notre terre, de nos haies, de nos forêts, de nos zones humides, de nos fleurs, de nos mammifères sauvages, de nos oiseaux et nos insectes.

Nous avons besoin de tous les non-humains, qui font partie de notre grande famille des vivants, si nous voulons maintenir ou rétablir un équilibre déjà branlant, à court et moyen terme, et même si nous voulons survivre, en tant qu’espèce, à long terme.

Il est indispensable que la voix des Terrestres continue à se faire entendre de plus en plus fort, malgré les menaces constantes d’étouffement venant des Modernes qui refusent de voir la réalité en face : notre planète est malade de son humanité, à cause de l’hubris de ses dirigeants.  

Nous vivons bien une guerre des mondes.

Mais nous sommes déterminé.e.s. à nous battre avec tout notre cœur pour la gagner, cette guerre, car nous sommes la terre qui se défend.

Eveline Grieder

Chercheure en anthropologie de l’imaginaire et membre de LVEL

Juin 2025

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NO MACADAM

 Notes

[1] Voir également p.4.

[2] https://vert.eco/articles/arnaud-gossement-docteur-en-droit-larret-de-la69-est-un-coup-de-tonnerre-juridique

[3] Pour se faire une idée approfondie de cette lutte, aller sur le site de La voie est libre : www.lvel.fr.

[4] Pour une vision globale et simplifiée de la question, il est possible de se procurer le livre de Geneviève Azam, Il était une fois l’A69, Cairn 2024 ; consulter également le blog de InfosTarn sur Médiapart ; ou consulter mes articles : « C’est notre Terre », dans mon blog de Mediapart, daté de septembre 2023, et « A69 l’autoroute de la honte », dans La Pensée Ecologique, en mai 2024.

[5] https://www.politis.fr/articles/2023/10/la69-enclave-industrielle/

[6]  « L’idée de la colonie est très importante… Pour l’instant, la globalisation est un phénomène d’endo-colonisation. Et le colonisateur, c’est la vitesse, engendrée par le progrès de la technique (transports, transmissions, etc.). C’est le pouvoir de la vitesse, qui nous enferme, nous conditionne. » Paul Virilio, in Le Saker Francophone : https://lesakerfrancophone.fr/paul-virilio-et-lere-de-la-dissuasion-global

7 Voir notes 5 et 6

[8] Bruno Latour considère la modernité comme un temps historique dépassé, institué dès le XVIIème siècle sur un clivage, unique dans l’histoire de l’humanité, entre l’homme et la nature.

Voir : https://desequilibres.net/2020/03/06/bruno-latour-en-route-pour-le-terrestre/ 

[9] https://blogs.mediapart.fr/bettinazourli/blog/131023/la69-une-aberration-ecologique-et-sociale-qui-peut-etre-evitee

[10] https://www.lejournaltoulousain.fr/occitanie/lautorite-environnementale-tacle-lautoroute-toulouse-castre-182248/

[11] https://risr.fr/data/raison%20imp%E9rative%20d%27int%E9r%EAt%20public%20majeur.pdf

[12] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:31992L0043

[13] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/autoroute-toulouse-castres-la-justice-annule-l-arrete-prefectoral-autorisant-le-chantier-de-l-a69-8124191

[14] https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/autoroute-a69-arretee-la-decision-met-en-danger-tous-les-projets-significatifs-estime-le-maire-de-toulouse_62313787.html

[15] Voir note 16

[16] https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/ce-serait-dommage-que-les-elus-passent-pour-de-mauvais-perdants-des-juristes-denoncent-les-propos-d-elus-apres-la-decision-de-justice-sur-l-a69-3115123.html

[17] https://www.francetvinfo.fr/environnement/tribune-a69-le-droit-de-l-environnement-sert-il-encore-a-quelque-chose_7001981.html

[18]https://www.facebook.com/watch/?v=577138358698826

[19] https://www.ledauphine.com/politique/2025/03/21/philippe-tabarot-ministre-des-transports-sur-l-arret-de-l-a69-tous-les-territoires-sont-concernes-par-cette-decision

[20] La fleur dont était spécialiste le jeune naturaliste Rémi Fraisse, tué en 2014 lors d’affrontements avec les gendarmes sur le site du Sivens, dans le Tarn, en opposition à la construction d’un barrage qui a finalement été jugé illégal.

[21] Voir l’entretien de Carole Delga à Public Sénat, déclarant que le sud du Tarn est « un territoire où la misère suinte » :  https://www.facebook.com/watch/?v=232526656489816

[22] https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/autoroute-a-69-le-senat-adopte-une-proposition-de-loi-pour-relancer-le-chantier-controverse

[23] https://reporterre.net/Soutien-a-l-A69-le-grand-malaise-au-Parti-socialiste

[24] https://www.youtube.com/watch?v=AwHN_5GkwxQ

[25] https://www.fne-op.fr/2025/01/23/a69-un-chantier-pave-de-non-conformites-environnementales-aux-impacts-cumules-majeurs/

[26] https://www.ofb.gouv.fr/mettre-en-oeuvre-la-sequence-eviter-reduire-compenser

[27]https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/240923/les-200-scientifiques-de-l-atecopol-demandent-l-arret-immediat-des-trav

[28] https://www.nouvelobs.com/ecologie/20231004.OBS79024/pour-nous-scientifiques-l-autoroute-a69-est-un-de-ces-projets-auxquels-il-faut-renoncer.html

Voit aussi : https://www.natura-sciences.com/agir/a69-arguments-scientifiques-contre-projet-autoroute.html

[29] https://la-goose.com/comparatif-de-la-pollution-des-differents-moyens-de-transport/

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