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Billet de blog 30 décembre 2023

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Hier tirailleurs, aujourd'hui boucs émissaires

La loi néofasciste votée sur asile et immigration viole nos principes constitutionnels fondamentaux mais viole aussi l'histoire, celle de la contribution des tirailleurs venus de nos colonies à notre victoire en 1918 et à notre Libération en 1945. 

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Hier tirailleurs, aujourd'hui boucs émissaires

La loi « asile et immigration » votée le 19 décembre 2023 par quelques députés et sénateurs français restera dans l'histoire, précisément comme la preuve de l'amnésie qu'elle manifeste à l'égard de notre histoire. Cette loi co-rédigée par le Rassemblement National et Les Républicains est non seulement la pire des multiples lois votées en trente ans pour durcir les conditions de vie et de travail des étrangers venus de nos anciennes colonies ; elle est non seulement une loi qui viole plusieurs principes fondamentaux de notre dernière Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme  de 1789; mais outre le fait qu'elle signe l'entrée de la France dans un régime pré ou néo-fasciste pactisant avec l'extrême-droite, elle est avant tout la négation du rôle clé joué pendant la Première Guerre mondiale comme la Seconde par les combattants venus renforcer les rangs de l'armée française depuis les territoires conquis par la France. Elle efface l'histoire pour la réécrire.

Si près de 300 000 tirailleurs venus de toute l'Afrique Occidentale dite française sont venus combattre au front en 1917, dont 30 000 sont morts, ils ont été honorés en défilant sur les Champs-Elysées le 14 Juillet 1919.

Par contre, les 300 000 soldats Nord-Africains et les 300 000 soldats des autres colonies (sur 5,3 millions de mobilisés) qui se sont battus au sein des Forces de la France Libre sur tous les secteurs du front lors de la seconde guerre mondiale, avec des pertes sévères, ceux qui ont contribué à la libération de l'Italie et au débarquement de Provence en 1944, n'ont jamais été remerciés, et de Gaulle ne voulut pas les voir défiler sur les Champs-Elysées le jour de la victoire... 300 d'entre eux, sénégalais, ont même été massacrés dans le camp de Thiaroye par  des soldats français en décembre 1945 pour avoir réclamé le paiement des arriérés de leur solde.

Lors des guerres coloniales de la France contre l'Indochine, puis contre l'Algérie, ils furent encore nombreux venus des anciennes colonies à se battre aux côtés de la puissance coloniale, jusqu'en 1960 et l'advenue des indépendances. Le corps des tirailleurs sénégalais fut alors dissous et leurs pensions de retraite et  d'invalidité « cristallisées ». Il leur fallut attendre Dominique de Villepin pour les toucher, en 2006 pour les anciens combattants, et en 2010 pour tous les ressortissants de nos colonies.

Si de nombreux cimetières en France sont remplis des tombes de ces combattants, les  lois successives édictées sous Sarkozy, Hollande et Macron n'ont cessé de dénier des droits fondamentaux à leurs descendants, venus travailler en France faute de pouvoir vivre dans leur pays toujours sous domination occidentale déguisée.

Aujourd'hui, nous sommes au summum de la négation de l'histoire, avec un Président  de la République mal élu et devant chercher des renforts à droite, qui fait des immigrés dans notre pays des boucs-émissaires, décrits comme un danger, de potentiels terroristes, des fraudeurs et des fainéants, venus profiter de la France sans rien lui apporter.

C'est oublier tout à la fois les travailleurs et travailleuses décrit·es comme des « premiers de cordée » pendant le Covid par ce même Président, mais plus largement ceux qui font tourner notre économie en subissant des conditions d'exploitation dignes d'un nouvel esclavage (travail en sous-traitance sans certificat d'emploi ni déclaration, ubérisation), que ce soit dans les métiers du nettoyage, des transports, du soin, dits en tension.

C'est pourquoi cette loi pré- ou néo-fasciste qui viole nos principes fondamentaux et salit la mémoire de ces anciens combattants, nous la refusons et nous serons des milliers à lui désobéir, à l'abolir, par la multiplication des refus de l'appliquer, des manifestations et grèves capables de bloquer l'économie, dès maintenant, et avec un rendez-vous public le 14 janvier à l'appel des collectifs de sans papiers et de tous ceux qui les soutiennent.

Evelyne Perrin, économiste, née sous la Résistance

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