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Billet de blog 2 octobre 2025

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Affaire Sarkozy-Kadhafi : la manipulation du « Point »

Mediapart a recensé 20 erreurs et omissions dans un article de l’hebdomadaire, qui met en cause, ce 2 octobre, notre enquête dans l’affaire des financements libyens. Revue de détails.

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L’hebdomadaire Le Point a publié, dans son édition du 2 octobre, un article signé d’Erwan Seznec, remettant en cause l’enquête de Mediapart dans l’affaire des financements libyens, qui a valu à l’ancien président Nicolas Sarkozy une condamnation à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs.

L’hebdomadaire s’appuie, pour ce faire, sur un commentaire émis par le tribunal de Paris concernant un document libyen révélé en 2012 par Mediapart — la fameuse “note Moussa Koussa” — à propos duquel la justice avait déjà tranché à trois reprises que ce n’était ni un faux intellectuel ni un faux matériel. C’est si vrai que Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux (condamné avec lui pour association de malfaiteurs) avaient dû verser de l’argent à Mediapart, au terme d’une enquête très poussée de plus de trois ans.  

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Les chèques que Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux ont dû verser à Mediapart par décision de justice

Pour la parfaite information des lecteurs du Point, voici une revue de détails des vingt erreurs factuelles grossières et omissions volontaires de l’article de M. Seznec.

1. « Personne n’a jamais vu l’original [de la “note Koussa” – ndlr] », affirme Le Point.

Ce n’est pas parce que Le Point ne l’a pas vu que personne ne l’a jamais vu. Daté de décembre 2006, le document, qui évoque une intention du régime Kadhafi de financer la future campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, existe matériellement, comme l’a démontré l’enquête judiciaire — nous y reviendrons.

2. « Le pacte [de corruption présumé] aurait été conclu lors d’une rencontre en Libye, le 6 octobre 2005, entre des officiels libyens et deux émissaires de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, et Ziad Takieddine, intermédiaire franco-libanais », écrit Le Point au sujet du contenu de la note Koussa.

L’hebdomadaire, curieusement, ne cite pas les « officiels libyens » en question. Parmi eux : un certain Abdallah Senoussi, le n°2 du régime libyen et beau-frère de Kadhafi, condamné six ans plus tôt par la France à la réclusion criminelle à perpétuité pour terrorisme — il est l’organisateur de l’attentat contre l’avion de ligne DC-10, qui a fait 170 morts. Le Point ne dit pas non plus que la rencontre à Tripoli entre Brice Hortefeux et Abdallah Senoussi, révélée par la note Koussa, a réellement existé, mais pas à la date indiquée — nous y reviendrons.

3. « Les juges considèrent que la photo [de la note Koussa] n’a pas été falsifiée, sur la base d’expertises qui n’ont qu’un seul défaut : elles ne se prononcent en aucune façon sur l’authenticité du papier qui a été numérisé », écrit Le Point pour résumer d’une phrase quatre ans d’enquête sur la note Koussa.

Comme nous l’avons indiqué au journaliste du Point dans une longue réponse écrite à ses questions avant parution, et dont il n’a nullement tenu compte dans son article, c’est inexact, partiel et partial. Tout ce qui suit est inconnu des lecteurs du Point, mais connu de son journaliste.

Après des semaines d’auditions, les gendarmes de la Section de recherches (SR) de Paris avaient d’abord établi dans un premier rapport de synthèse que «de l’avis unanime des personnes consultées, le document publié par Mediapart présente toutes les caractéristiques de forme des pièces produites par le gouvernement libyen de l’époque, au vu de la typologie, de la datation et du style employé. De plus, le fonctionnement institutionnel libyen que suggère le document n’est pas manifestement irréaliste».

Patrick Haimzadeh, deuxième conseiller de l’ambassade de France à Tripoli de 2001 à 2004, spécialiste reconnu de la Libye sous Kadhafi, a détaillé tous les signes, écritures, dates, qui rendaient à ses yeux le document crédible.

Sur les vingt notes de la DGSE déclassifiées par le ministre de la Défense sur requête du juge, aucune ne remet en cause l’authenticité du document libyen. Un agent du renseignement, Eric P., qui a été en poste en Libye, a par ailleurs analysé le document et a affirmé sur procès-verbal qu’il provenait sans nul doute du bureau de Moussa Koussa, son auteur.

Côté libyen, plusieurs officiels sont venus conforter le document. Le diplomate et traducteur officiel de Kadhafi, Moftah Missouri, a par exemple attesté de son authenticité.

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Nicolas Sarkozy et Carla Bruni au tribunal de Paris le 25 septembre 2025. © Photo Xose Bouzas pour Mediapart

Interrogé à Doha, au Qatar, où il s’est réfugié pendant la guerre de Libye, Moussa Koussa a expliqué que ce qu’évoque le document est vrai sur le fond, mais que le document en tant que tel ne peut pas l’être puisqu’il ne s’agit pas de sa signature. Seulement voilà, il a signé son procès-verbal. Et de retour à Paris, cette signature est expertisée, à la demande des juges, par trois experts qui ont conclu sans la moindre réserve que «les concordances relevées tant sur le plan général que sur le plan du détail permettent de dire que les signatures “Q1” [du document de 2006– nda] et “MK” [des procès-verbaux] sont de la même main».

La justice va par ailleurs avoir recours à un logiciel ultra-sophistiqué, baptisé Tungstene, développé par un ancien fonctionnaire du ministère de la Défense. En effet, la note publiée par Mediapart est une version numérisée. Comment faire parler un papier numérisé ? Comment savoir s’il a été trafiqué, manipulé, altéré ? S’il provient d’un document réel ? Le logiciel Tungstene, mis au point en 2009, répond à toutes ces questions en laissant une place «minime, voire inexistante» à l’incertitude.

Que conclut Tungstene ? 

— Le document publié par Mediapart n’a pas été créé numériquement et n’a fait l’objet d’aucune manipulation antérieure

— Le document «souche» a vraiment existé.

— Ce document papier s’avère d’une «extrême cohérence», excluant par conséquent avec un haut degré de certitude toute trace de falsification originelle.

Le rapport précise qu’une manipulation est en théorie toujours possible. Mais il affirme qu’elle est, ici, plus qu’improbable en pratique, puisqu’il aurait fallu que les «faussaires» aient anticipé, il y a des années, des techniques d’analyse actuelles afin de tromper une éventuelle expertise. 

Tous ces éléments — et tant d’autres — sont ignorés des lecteurs du Point alors que le titre de l’article est « Enquête sur la note de Mediapart »...

4. « Mediapart ne se démonte pas pour si peu. “Les erreurs dans les conversions de date en calendrier chrétien dans les documents officiels libyens étaient très fréquentes”, explique au Point Fabrice Arfi », peut-on lire dans l’article.

L’hebdomadaire ne prend pas en compte le reste de la démonstration que nous lui avions pourtant fournie. Car si des erreurs de date sont « très fréquentes » dans les documents officiels libyens quand l’administration devait les convertir en calendrier chrétien, c’est pour une raison simple que le journaliste du Point n’a pas souhaité expliquer à ses lecteurs.

Entre 1969, date de l’accession au pouvoir de Kadhafi, et 2007, le dictateur a changé plusieurs fois de calendrier, rendant folle son administration. Pourquoi une telle lubie ? Kadhafi était un adorateur de la Révolution française et il voulait son Thermidor libyen, un calendrier “révolutionnaire” qui ne correspondait à aucun calendrier musulman du monde arabe et variait au gré de ses foucades.

L’un des meilleurs spécialistes français de la Libye, Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli déjà cité plus haut, l’avait d’ailleurs expliqué sur procès-verbal aux enquêteurs qui s’étaient penchés sur la note Koussa.

L’erreur de date est le principal élément qui semble fonder le sentiment du tribunal de Paris sur le caractère authentique ou non de la note, une question dont il n’était pas saisi au demeurant. Pour cause, nous devons le répéter : la justice avait définitivement donné raison à Mediapart en 2019 devant la Cour de Cassation ; il y a une autorité de la chose jugée.

En résumé, une erreur de date n’a jamais fait un faux. 

5. Dans son article, Le Point affirme que « Mediapart élabore un scénario de corruption ».

Mediapart n’est pas scénariste, ni juge, nous sommes journalistes. Mais que Le Point se fasse des films, nous n’en avons aucun doute. 

6. « Pourquoi Nicolas Sarkozy aurait-il eu besoin de financement occulte ? Fin 2005, tous les sondages le donnent ultrafavori dans la course à la présidentielle, qui aura lieu dix-huit mois plus tard ? », s’interroge Le Point.

C’est à peu près mot pour mot la version de la défense de Nicolas Sarkozy à l’audience. Libre au Point de la reprendre à son compte. Mais le tribunal, comme le Parquet national financier (PNF), a répondu à cette question dans son jugement : en 2005, Nicolas Sarkozy n’était pas sûr d’être le seul candidat de la droite, eu égard à la menace chiraquienne qui planait et à la bataille féroce qu’il se livrait avec Dominique de Villepin, son ennemi juré.

Comme l’a montré le procès, cette question d’une candidature unique n’a commencé à être purgée qu’à partir du printemps 2006, notamment autour d’un déjeuner au Bristol, à Paris, qui a réuni Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, le diplomate chiraquien Maurice Gourdault-Montagne, le maître-espion Bernard Squarcini et l’intermédiaire Alexandre Djouhri (condamné dans l’affaire libyenne).

Malheureusement, les lecteurs du Point ne seront pas informés de cette partie de l’histoire.

7. « À quoi lui aurait servi une cagnotte secrète de 50 millions d’euros, plus de deux fois le budget d’une campagne ? Mediapart n’a jamais cherché à comprendre », écrit Le Point.

Il y a plusieurs réponses à cette question.

Primo, ce n’est parce qu’il y a un accord de financement à concurrence de 50 millions que la somme est intégralement versée — l’enquête a néanmoins retrouvé au moins 6,5 millions d’euros, mais nous y reviendrons.

Secundo, si le chiffre de 50 millions peut impressionner de prime abord, il n’a en réalité rien de farfelu. Mediapart a cherché à comprendre et a compris, comme toute la France, grâce à l’affaire Bygmalion, qui a valu une autre condamnation à Nicolas Sarkozy pour le financement illégal de sa campagne présidentielle en 2012. Le dossier a en effet permis de découvrir que la campagne de 2012, semblable à celle de 2007, d’après Nicolas Sarkozy lui-même, avait coûté… plus 45 millions d’euros (au lieu des 20 millions autorisés par la loi).

8. « Pourquoi se serait-il [Nicolas Sarkozy] adressé à quelqu’un en qui il n’avait aucune confiance [Kadhafi] ? », s’interroge Le Point.

Mediapart ne sonde pas les cœurs et les âmes des responsables publics, pas plus que ceux des journalistes du Point. Mais la question de la confiance semblait toutefois être telle qu’à deux reprises les plus proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux, ont rencontré secrètement à Tripoli, en compagnie de l’intermédiaire Ziad Takieddine, un terroriste d’État recherché par la France pour avoir tué 170 personnes.

« Les entretiens avec Abdallah Senoussi en marge des déplacements officiels ne peuvent qu’avoir un lien avec un pacte corruptif », écrit d’ailleurs le tribunal de Paris dans son jugement. Cette phrase, cruciale, ne sera pas connue des lecteurs du Point.

La présidence de Nicolas Sarkozy n’avait en outre pas de problème non plus à vendre du nucléaire à la dictature libyenne, et ce, contre l’avis de l’entreprise Areva, comme l’a montré le procès. 

9. « [Kadhafi] va exiger des contreparties. [Il] est reçu en grande pompe à Paris en décembre 2007. Selon Mediapart, voilà le début de la contrepartie. La présidence française permet à un État paria de revenir sur la scène internationale », écrit Le Point.

Alors non, ce n’est pas « selon Mediapart ». Il s’agit des contreparties pointées par les juges d’instruction, les policiers de l’Office anticorruption (OCLCIFF) et le Parquet national financier (PNF) au terme de dix ans d’enquête. Par ailleurs, le tribunal de Paris qui a condamné Nicolas Sarkozy a établi dans son jugement que parmi les contreparties du « pacte corruptif » négocié à l’automne 2005, il y avait bien le retour de la Libye dans le concert des nations avec l’aide de la France.

Parmi les autres contreparties identifiées par le tribunal, on trouve la promesse faite par l’équipe Sarkozy (illusoire ou non) de regarder la situation pénale du terroriste Senoussi en France — ce qui a été fait — et la tentative de vendre du nucléaire au dictateur libyen — ce qui a été évité.

10. « Tentant d’expliquer ces bombardements français, Fabrice Arfi évoque, dans un article publié le 15 septembre 2016, une “guerre privée, une guerre de blanchiment” », écrit Le Point.

C’est faux. Dans l’article en question, qui porte sur les conclusions d’un rapport du parlement britannique ayant remis en cause les raisons de la guerre en Libye voulue par Nicolas Sarkozy, Mediapart écrivait précisément : « En résumé, Sarkozy a-t-il mené une guerre privée, une guerre de blanchiment ? Le parlement britannique, évidemment, n’a pas les moyens de répondre à cette question ».

C’est tout-à-fait différent.

11. « Nicolas Sarkozy aurait ordonné d’attaquer la Libye pour tuer des témoins gênants et détruire des preuves », écrit Le Point, pour résumer ce qui serait la position de Mediapart.

Dans un article publié le 29 septembre, bien avant la publication du Point, voici ce que Mediapart écrivait : « Jamais, nous ne dirons que la guerre a été fabriquée, comme certains complotistes l’affirment. Une révolution est bien née à Benghazi en février 2011 dans le sillage des printemps arabes en Tunisie et en Égypte, et le régime Kadhafi a commencé à réprimer la dissidence dans le sang, y compris à l’aide de moyens technologiques vendus… par la France en 2008. Il n’y a aucun doute là-dessus. Des populations civiles étaient en danger et des groupes révolutionnaires armés violemment combattus par le régime, c’est certain. Mais les questions sont légitimes. Par exemple : pourquoi la France a-t-elle bombardé en août 2011 la maison d’Abdallah Senoussi dans un quartier résidentiel, faisant au moins un mort civil, selon l’AFP à l’époque ? Cette maison, qui avait accueilli six ans plus tôt les pourparlers secrets de Brice Hortefeux avec Abdallah Senoussi en compagnie de l’intermédiaire Ziad Takieddine, était-elle une cible militaire stratégique ? La mort de Senoussi était-elle un objectif de guerre validée par l’ONU ? Des archives ont-elles disparu ? Ces interrogations méritent plus que jamais des réponses. »

La nuance et la précision ne semblent pas être une option pour Le Point.

12. « Pourquoi [Kadhafi] ne s’est-il pas vengé dans les sept mois précédents [avant sa mort en octobre 2011] ? », interroge Le Point.

Les débats du procès libyen, auxquels Erwan Seznec n’a de toute évidence pas assisté, ont permis d’apporter des réponses à cette question. Une note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), datée de septembre 2011, c’est-à-dire en pleine guerre, explique que c’est le directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, Béchir Saleh, qui avait accès au plus grand nombre d’éléments compromettants et qu’il avait « fait obstacle » à leur diffusion juste avant la chute de Tripoli. Tout ceci a été débattu à l’audience. 

Quelques jours après la rédaction de la note de la DCRI, Béchir Saleh sera exfiltré de la Libye avec l’assentiment de Nicolas Sarkozy. Et moins d’un an plus tard, en mai 2012, il sera de nouveau exfiltré, cette fois-ci de France, avec le concours du patron de la DCRI et d’Alexandre Djouhri, quelques jours après la publication de la note Koussa par Mediapart, alors qu’il était recherché par Interpol.

13. Le Point parle dans son article de la journaliste « Louise Minoui ».

Il doit s’agir de Delphine Minoui, grand reporter au Figaro.

14. « “Kadhafi enregistrait tout le monde [...] tous les gens qu’il recevait”, écrivent de leur côté Fabrice Arfi et Karl Laske dans un livre paru en 2018 », affirme Le Point.

C’est inexact. Il ne s’agit pas d’une citation de nous, mais celle d’un témoin libyen, Mohamed Albichari, qui s’était confié avant de mourir à un ancien eurodéputé français. C’est écrit dans notre livre Avec les compliments du Guide (Fayard, 2017), que le journaliste du Point a lu de travers. 

15. « “Mouammar Kadhafi n’avait aucun intérêt à produire ces éléments de preuve tant que les relations avec la France n’étaient pas totalement rompues”, nous a répondu Fabrice Arfi », écrit Le Point.

Je n’ai jamais affirmé cela au journaliste du Point. Ce dernier m’attribue une phrase qui est, en fait, un extrait du réquisitoire du PNF, dont voici le passage complet : « Au-delà du fait que Mouammar Kadhafi n’avait aucun intérêt à produire ces éléments de preuves tant que les relations avec la France n’étaient pas totalement rompues, vous ne pourrez que constater que Béchir Saleh a effectivement négocié avec les services de renseignements français, notamment lorsqu’il était détenu en Libye après son arrestation en septembre 2011 mais aussi et surtout comme le souligne la note DCRI n°2138 du 25/02/2012 et comme l’ont très justement souligné hier les avocates de l’État libyen qu’il est le seul dignitaire libyen de premier rang à avoir pu trouver refuge en France avec sa famille ».

16. « Nicolas Sarkozy a bien été condamné pour dépassement du plafond de ses comptes de campagne, mais celle de 2012. Il avait joué de son statut de président candidat pour ne pas intégrer certains déplacements électoraux à ses dépenses », écrit Le Point.

Pas du tout. Nicolas Sarkozy a été condamné en première instance et en appel pour le financement illicite de la campagne présidentielle de 2012 parce que son parti a dissimulé le dépassement de 25 millions euros de dépenses grâce à un système de fausses factures avec la complicité de la société Bygmalion. La Cour de Cassation se penchera sur l’affaire le 8 octobre prochain.

17. « Le Parquet national financier n’aurait sans doute pas réussi à mettre l’affaire Sarkozy-Kadhafi en orbite à lui seul. Son propulseur d’appoint a été l’enquête de Mediapart », écrit Le Point.

C’est doublement faux. Les premières révélations de Mediapart sur l’affaire libyenne datent de 2011. L’enquête judiciaire est ouverte en avril 2013 à la suite de déclarations télévisuelles de l’intermédiaire Ziad Takieddine. L’information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris et non pas par le PNF, qui, à l’époque, n’existait tout simplement pas. Il récupèrera le dossier plus tard.

18. « Nicolas Sarkozy a été relaxé des chefs d’accusation de corruption passive, de financement illégal et de recel de fonds publics libyens. Son trésorier de campagne, Éric Woerth, est relaxé, puisqu’il n’y a pas eu un centime d’argent libyen dans la campagne de 2007 », écrit Le Point.

C’est doublement faux, factuellement et juridiquement. Selon le tribunal de Paris, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux sont reconnus coupables d’avoir formé à l’automne 2005 une entente pour négocier secrètement, à Tripoli, avec le régime Kadhafi, un pacte de corruption en vue du financement illégal par la Libye de la campagne présidentielle à venir, en 2007.

Mais cela va plus loin que cela pour le tribunal. En exécution du « pacte », le régime Kadhafi a effectivement versé 6,5 millions d’euros dans le but de financer la campagne de Nicolas Sarkozy, dont la trace bancaire a été retrouvée sur un compte au Liban de Ziad Takieddine et un autre à Singapour d’Alexandre Djouhri. L’intentionnalité du financement occulte de la campagne par les Libyens, après les rencontres secrètes entre MM. Guéant et Hortefeux avec le terroriste Senoussi, est, elle, prouvée par un autre élément matériel, les fameux carnets Ghanem.

Ce n’est pas tout, comme nous l’avions expliqué au journaliste du Point, qui n’a pas cru bon en informer ses lecteurs. Une partie des millions d’euros d’argent du régime Kadhafi touché par Ziad Takieddine, dans le but de financer la campagne de 2007, ont par ailleurs « donné lieu à des retraits d’espèces importants dans une temporalité compatibles avec la campagne électorale », d’après le jugement.

« Tous les flux n’ont pu être mis à jour », concède le tribunal précisément parce que passé maître dans la dissimulation — c’est même pour cela que certains faisaient appel à lui — Ziad Takieddine avait réussi à« considérablement opacifier le circuit de l’argent jusqu’à le rendre intraçable ».

Pour autant, le jugement établit que des espèces en grosses coupures ont bien circulé dans la campagne Sarkozy, alors qu’elles auraient dû être déclarée par son trésorier Éric Woerth. Ce dernier avait expliqué à la barre du tribunal que le cash en question — il a reconnu la circulation de 35 000 euros — avait été envoyé anonymement par La Poste par des militants, ce qui a été démenti par l’enquête. Pour le tribunal, les explications d’Éric Woerth sont « dénuées de toute crédibilité ».

Les juges ajoutent : « En l’espèce, le tribunal, bien que n’accordant aucun crédit aux explications avancées par Éric Woerth, constate qu’il ne ressort pas, de manière indubitable, de la procédure, que ces sommes seraient issues de fonds libyens ».

Pourquoi, alors que des espèces non déclarées ont bien circulé pendant la campagne, il n’y a pas de condamnation pour financement illicite de campagne ? La réponse offerte par le tribunal est technique.

La voici, en trois temps : 1) selon la loi, l’auteur principal d’un financement illégal de campagne ne peut être que le candidat à l’élection, tous ses subordonnés sont, en droit, ses complices ; 2) il n’y a pas d’éléments de preuve dans le dossier que Nicolas Sarkozy, le candidat donc, avait personnellement connaissance de la circulation de ces espèces (au contraire de son trésorier), raison pour laquelle il doit être relaxé ; 3) si l’auteur principal est relaxé, les complices présumés ne peuvent pas être condamnés. Voilà pourquoi Éric Woerth, qui ne s’est même pas présenté au tribunal pour le jugement, a été relaxé.

Mais alors pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il été relaxé sur la corruption alors qu’il existe un pacte corruptif ? L’explication du tribunal sur ce point est encore plus technique que pour le financement illicite de campagne. Les juges, comme on l’a vu, ont estimé qu’un pacte corruptif avait bien été négocié à l’automne 2005 à Tripoli — ce pacte est contenu dans l’association de malfaiteurs. En outre, l’argent de la corruption n’a pas besoin, en droit, d’arriver à bon port (ici dans la campagne présidentielle) pour que ladite corruption soit caractérisée.

Alors pourquoi une relaxe ? Pour une raison très précise, selon les juges : la corruption n’est possible que si le corrompu est dépositaire d’une autorité publique susceptible d’assurer la promesse d’une contrepartie à son corrupteur.

Or, au moment du pacte, Nicolas Sarkozy « pas encore dépositaire de l’autorité publique, laquelle ne lui sera conférée qu’ultérieurement par la fonction [de président de la République - ndlr] ».  Il n’est “que” candidat, ce qui n’est pas juridiquement une autorité publique. « Il apparait que les agissements de Nicolas Sarkozy pouvaient caractériser le délit de corruption s’il exécutait, après son entrée en fonction, le pacte passé avant », écrivent les juges. « Or une action positive en ce sens de Nicolas Sarkozy une fois élu à la présidence de la République ne ressort pas clairement de la procédure », concluent-ils.

De tout cela, les lecteurs de l’article de M. Seznec ne sauront rien.

Pas plus qu’ils ne disposeront finalement des éléments pour comprendre que la note Koussa révélée par Mediapart est donc un document qui parle d’un financement (qui a existé), à partir d’une réunion (qui a eu lieu) entre des protagonistes (qui ont été condamnés).

Il est fort, ce « faux ».

19. « Le site [Mediapart] a aussi entretenu la thèse selon laquelle la mort de Choukri Ghanem pourrait être en lien avec l’affaire. Mediapart évoque “une mort hautement suspecte” », écrit Le Point.

Définitivement fâché avec l’origine d’une citation, le journaliste du Point se méprend. Le caractère « hautement suspect » de la mort de Choukri Ghanem n’est pas une considération de Mediapart, mais celle d’un conseiller de l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton.

20. « Les abonnés du site n’ont jamais su que ce témoin tardif à la moralité vacillante s’était vu refuser l’asile politique en France, et que sa parole, dix ans après les faits, était, au minimum, sujette à caution », écrit Le Point au sujet d’une ancienne dignitaire libyenne, Mabrouka Chérif.

Mediapart a publié plus de 200 articles sur l’affaire, dont un en 2023 relatant la déposition devant la justice de Mabrouka Chérif dans l’affaire libyenne. Voici que nous écrivions à son propos : « Brièvement mariée à un colonel, chef de la sécurité du Guide, Mabrouka Cherif figure dans les archives du ministère des affaires étrangères français parmi les vingt personnalités clés de l’entourage de Kadhafi. Mais elle a gagné une plus sombre réputation après sa mise en cause pour des faits de violence ou de séquestration présumées par plusieurs femmes enrôlées de force dans la garde personnelle de Kadhafi – dans le livre de la journaliste Annick Cojean Les Proies (Grasset, 2012) ».

Quant à savoir si on peut lui accorder du crédit ou non, ce n’est pas Mediapart qui a été pris en photo en sa compagnie dans les salons privés de l’Élysée en 2007, mais le président Nicolas Sarkozy et son ex-femme Cécilia Attias. Nous avions publié les clichés dans le même article.

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Nicolas Sarkozy, son ex-femme Cécilia Attias et Mabrouka Chérif dans les salons de l’Élysée en 2007. © Document Mediapart.