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Billet de blog 1 septembre 2025

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La dernière cliente de l’été

New York, fin août. Le soleil tape fort, mais le bureau de Michael Angelo Hammer reste plongé dans la pénombre, ventilateur grinçant, rideaux tirés. Il pensait que la ville allait lui foutre la paix une semaine ou deux. Il se trompait…

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New York – 29 août, 9h07

Le soleil ne passait pas les stores vénitiens du cinquante-quatrième étage. Dans le bureau de Michael Angelo Hammer, la lumière était une rumeur étouffée, comme tout le reste ici. Seul le ventilateur oscillait lentement, brassant l'air moite de la fin d'été. Hammer était accoudé à son bureau, t-shirt blanc moulant, jean brut et boots en cuir, un mug de café froid à la main. Sa veste en cuir façon aviateur était jetée sur le dossier de la chaise. Il fixait le vide. La ville était calme, à sa façon. Les affaires étaient rares, les gens à la plage ou en train de préparer leur rentrée. Stella toqua deux fois, façon morse. Elle n'entra que lorsqu'il eut grogné un "Ouais" fatigué.

— Y a une cliente. Il leva un sourcil.

— Pas un colis, pas un commercial de m…, une cliente ? En chair et en os ?

Stella haussa les épaules. Son top à fines bretelles laissait deviner un tatouage discret au creux de la clavicule.

— Elle veut te parler. Perso, j'ai eu un mauvais feeling. Hammer se redressa.

— Laisse entrer. Et reste pas loin.

La cliente entra. Talons fins. Chemisier fin, dont la couleur tirait sur le vert et laissait deviner des attributs plutôt avantageux. Elle portait le chagrin comme on porte un sac de luxe : bien visible, mais sans y croire.

— Monsieur Hammer, dit-elle avec une voix douce mais ferme. Mon mari a disparu. Et je crois que ce n'est pas un accident. Il ne répondit pas tout de suite. Les yeux émeraude d’Hammer se posèrent sur elle comme un scanner thermique. Elle était belle. Mais ce n'était pas ça. Il y avait autre chose. Quelque chose de déplacé dans sa manière de s'asseoir. De croiser les jambes. Elle sortit une photo. Un homme brun, la quarantaine dynamique, le genre start-up.

— Il est censé être à Boston pour un séminaire. Mais sa carte bancaire a été utilisée hier soir à New York. Dans un bar de Hell’s Kitchen. Hammer la prit, sans un mot. Il savait déjà que cette histoire était louche. Mais il n'était pas du genre à dire non quand la vie lui envoyait un mystère bien habillé.

New York – 29 août, 23h12

Le bar s'appelait The Brass Knuckle, une planque à whisky et bagarres discrètes. Hammer poussa la porte, salua le vide, et alla s’installer au comptoir.

— Un bourbon sec, dit-il au barman. Il posa la photo du mari disparu sur le bois collant.

 — Tu l'as vu ? Le barman jeta un coup d'œil, puis hocha la tête.

— Hier soir. Avec un type mal sapé, costard clair et tête de fouine. Ils parlaient très bas. Puis ils sont partis en taxi.

— Direction ?

— Aucune idée. Mais le taxi était de chez NY Empire Cabs.

Hammer le remercia d’un billet, vida son verre et sortit. Hell’s Kitchen respirait la sueur, les hot dogs, et les histoires qui ne finissent pas bien. Il aimait ça. Sur le chemin du retour, il s’arrêta au bureau. Stella était encore là, en train de lire un polar suédois en VO.

— J’ai une piste. Le mari est bien à New York. Et il n'est pas venu pour un séminaire. Elle leva les yeux, un sourire ironique au coin des lèvres. Si tu veux mon avis ? C’est pas un mari qui a disparu. C’est un homme qui a fui.

Il acquiesça.

— Ou un homme qu'on a fait fuir…

New York – 30 août, 10h17

L'adresse menait à un loft de Tribeca. Hammer y trouva le mari. Vivant. Nu sous une chemise à fleurs. En train de préparer des mojitos. Accompagné d'un homme plus jeune. Beaucoup plus jeune. Le mari ne nia pas. Il expliqua. La pression. L'envie de tout plaquer. Une vie choisie par d’autres. Un amour interdit. Hammer écouta. Il n'était pas juge. Juste témoin. Il quitta les lieux en laissant une carte.

Et un conseil : "Appelez-la. Mieux vaut une vérité en colère qu’un mensonge qui pourrit." 

New York – 30 août, 19h43

Stella apporta deux bières. Hammer en ouvrit une, leva sa bouteille.

— Fin de l'été. Fin d'une illusion. Elle trinqua.

— Tu sais que t’es pas si mauvais pour un dur à cuire. Il sourit.

— Et toi, t’es pas qu’une belle plante.

Dehors, le ciel était rouge. Comme une promesse. Ou une menace. Hammer regarda au loin. Une sirène déchira la ville.

— Tu entends ça, Stella ? Elle hocha la tête, les yeux toujours posés sur lui.

— Le son d’une autre affaire qui commence ? Il but une gorgée, se leva, attrapa sa veste en cuir.

— Ou celui du monde qui continue de tourner. Avec ou sans nous. Elle le suivit du regard, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans l’ombre du couloir. Puis elle sourit, referma son livre et murmura pour elle-même :

— Avec toi, Michael, il tournera toujours un peu différemment.

FIN

© 2025 Fabrice Balester

Illustration 1
Hammer by Balester © 2025

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