Traque en Toscane
*
« Un jour, New-York s’est écroulé.
Le World Trader Center, les Twins Towers.
Toute une maudite architecture s’y était mise. Des tonnes de ferraille et de béton. Des reflets de mort à tous les étages et dans les rues. Du verre, des nuages et le ciel. Oui, un ciel éternel pour une femme, Judith, architecte paysagiste, dans la tour Nord. Et lui, détective privé de renommée internationale, avec de l’ambition, des années d’expérience et de l’amour aussi.
Oui, il y était à New-York, lui, Mike Hammer Junior. « Mickey » pour les intimes, les amis et les amours… Hammer pour les clients, les ennemis parce qu’il frappait toujours fort, très fort comme un knocker.
Il y avait assisté. Vrai de vrai. Au pied de cette satanée tour Sud. Au travers du pare-brise d’un yellow cab qui suivait le taxi driver d’une femme de la «Haute» afin de la piéger en flag pour adultère.
Sa tête avait craqué, une névralgie galopante qui avait fissuré sa tempe à cause d’une ferraille, pareille à une balle dum-dum enfermée dans son crâne. Une danseuse newyorkaise, étrange et familière, une vieille artiste qui poussait des « youpi » insoutenable dans son cerveau.
Quatre mois de coma.
Jusqu’à ce qu’il rouvre les yeux sur le blanc d’une chambre d’hôpital, peuplée de corbeaux pour l’avenir. Mais il trouvait un regard prometteur de vie dans les yeux bleus de son infirmière. Celle qui remontait ses draps. Et souvent, après une piqure, il se sentait emporté dans un ballet de lumière. Direction septième ciel. L’amazone aux flèches était grande, belle, des mains fermes et actives. Des pensées saines.
Elle se prénommait : Velda.
Judith était architecte, une véritable artiste. Ils se complétaient de manière admirable. Elle, si calme et si posée, lui hyperactif et parfois un peu déjanté aussi… Réussir à tempérer un homme comme Mike Hammer Jr n’était pas chose facile mais il fallait bien reconnaître que Judith y était parvenue avec succès. Ils s’étaient mariés en grande pompe, du côté de Manhattan. Une journée inoubliable, tout comme celle de la naissance de leur fille : Juliana.
Si tout semblait « rouler » selon la formule usitée, le 11 septembre 2001, date horrible pour les new-yorkais, pour les américains et finalement pour le monde entier, fut aussi une date terriblement traumatisante pour Hammer. Sa femme qui occupait un bureau dans l’une des tours jumelles avait emmené leur fille pour lui faire découvrir le projet sur lequel elle travaillait avec ses associés – la rénovation totale du Musée d’Art Moderne dont les travaux devaient se terminer en 2005 – malheureusement, on sait tous ce qu’il est advenu pour la majeure partie de celles et ceux qui avaient eu l’infortune de s’installer à leur bureau ce fameux 11 septembre…
Mickey avait eu plus de chance même s’il avait été touché dans sa chair lui aussi. En quelques heures, de ce maudit jour apocalyptique, tout son univers s’était écroulé. Il ne se rendit compte de cette tragédie que plusieurs mois après, lors de sa sortie de coma, pour lui une douloureuse renaissance au monde ».
C’était le début du nouvel ouvrage de Lucas Bicchi. « Prometteur » avait dit son éditeur. « Oui, mais il faudra attendre davantage de temps que prévu pour la livraison » avait répliqué Lucas. L’homme a passé du temps à Londres, Barcelone, Paris, Marseille, Venise ou Monaco. Aujourd’hui une autre ville s’enroule autour de lui : La Spezia, ville portuaire italienne située en Ligurie. Le ciel a toujours tangué sur son passage. Ici, c’est chaleur à col ouvert, pleurs de goudron. Tout grille, carbure, calcine et s’évapore. L’été s’élance, fait fournaise, la ville cherche les caresses de la mer.
Il y a des feux qui passent au vert. Des voitures qui halètent aux carrefours. Aucune place n’est assez ombreuse pour prendre un peu de repos. Un manteau de plomb et d’oxyde de carbone perd sa croûte à hauteur de nuage.
Presque vingt années à bourlinguer, lui l’écrivain à succès, à offrir ses plus beaux textes à des populations aux cultures différentes mais qui, s’en rendit-il compte un jour en y pensant, avaient un peu toutes les mêmes problèmes. « Un être humain reste un être humain » se répète-t-il souvent. Ses romans, une quinzaine au total, lui ont ouvert un nombre incalculable de portes et apporté gloire, reconnaissance et fortune.
L’appartement au premier étage d’un joli quartier résidentiel situé à deux pas de la gare a été acheté avec ses premiers droits d’auteur. Pour la première fois depuis près de quinze ans il vient seul à La Spezia. Sans son épouse - dont il s’est séparé au printemps - sans ses trois filles, toutes majeures et dont les préoccupations sont désormais bien différentes de ce qu’elles pouvaient être alors, de manière normale quoi qu’il en soit, le temps faisant inévitablement son œuvre.
Lucas ne baragouine que quelques mots d’italien – il est bien loin d’être bilingue ! - mais sait décocher dans une prononciation quasi parfaite du « grazie mille » avec sourire charmeur adressé aux serveuses pour chaque café consommé.
Il est présent en Ligurie pour un moment spécial. Il est là en « mission » pourrait-on dire, celle de se préparer à entrer dans la cinquantaine. Une étape importante dans une vie que d’avoir cinquante ans, dit-on. Ce moment où l’on prend du recul sur soi : pour s’interroger, réfléchir, méditer, savoir ce que l’on a réussi et ce que l’on a manqué et redonner si besoin un élan à sa vie sur tous les plans.
Lieu pétri de charme où s’entremêlent banquettes sinueuses et poufs carrés, Lucas a ses habitudes dans ce café non loin du port. A l’abri de l’effervescence du centre-ville, la Cantina lui offre cet instant paisible et inestimable du premier café de la journée. Un espresso sans sucre avec vue panoramique sur la grande bleue.
Loger à deux pas de la Stazione a ceci de formidable qu’en deux foulées seulement, Lucas se retrouve dans un train pour une balade prisée des touristes : les Cinque Terre.
Cinq villages, plusieurs fois centenaires, aux maisons colorées et aux terrasses escarpées qui représentent la Riviera italienne. Trattorias qui proposent leurs pâtes agrémentées de pesto dans des conditionnements parfois originaux, vendeurs de glaces aux coups d’œil aussi rieurs que gourmands, sans oublier des paysages à couper le souffle entre la mer et la montagne dans un environnement fleuri. Il y a pire panorama pour faire le point sur sa vie.
Attablé à une terrasse de café baignée d’un soleil assommant sur les hauteurs de Riomaggiore, le troisième espresso de la journée posé devant lui, son téléphone portable se met à chanter et arrache Lucas du monde des songes dans lequel il se trouvait plongé.
Il décroche, s’annonce brièvement. Il lorgne dans ses lunettes de soleil sa belle gueule au teint halé et passe une main dans ses cheveux en bataille pour tenter de les remettre en ordre.
- Lucas, mon cher ami, comment vas-tu ?... La voix d'Edouard, son meilleur ami ancien journaliste qui est installé à Marseille et qui pourrait être son père, résonne avec son habituelle chaleur.
- Edouard ! Ça fait un moment, ça va bien merci. Et vous ? répond Lucas, enthousiaste.
- Écoute, je vais très bien et j'ai une proposition pour toi, commence Edouard, son ton devenant plus sérieux. Je sais que tu es en Italie pour faire le point sur ta vie après ta séparation. Et j'ai pensé que ça pourrait te faire du bien de changer d'air. Que dirais-tu de retrouver un ami à moi, ancien journaliste lui aussi, et qui habite à Florence. Il s’appelle Francisco, il est très curieux au sujet du métier d'écrivain et je me suis dit que ça pourrait être une belle occasion pour toi de partager ton expérience avec lui.
- Ça sonne comme une excellente idée Edouard, répond Lucas, son esprit déjà en train de tracer des plans pour ce voyage spontané. "Quand est-ce que je peux m’y rendre ?
- Je pensais dès que possible, Qu'en dis-tu ?
- J’en dis que c’est parfait. Je vais faire mes valises. Merci Edouard, du fond du cœur.
Le lendemain matin sous un ciel sans nuage.
Lucas dépose son sac de voyage sur le siège passager du véhicule. Le plein de carburant est fait. Sa Donkervoort grise est décapotée. Le GPS est actionné. Lucas, cheveux au vent, lunettes de soleil sur le nez, met les gaz et dit au revoir à La Spezia. Direction Firenze.
Le trajet vers Florence s'annonce prometteur pour Lucas. La route défile sous les roues de sa Donkervoort lui offrant une sensation de liberté et d'évasion. Le vent fouette son visage tandis qu'il laisse derrière lui La Spezia, avec ses souvenirs. Le paysage défile au rythme de la musique qui s'échappe des enceintes de la voiture. Lucas se perd dans ses pensées... La Toscane, une région empreinte d'histoire, de culture et de beauté, semble être le lieu idéal pour entamer ce nouveau chapitre de sa vie. Arrivé à Florence, Lucas suit les indications du GPS et sa voiture se faufile dans les ruelles étroites de la ville, dévoilant progressivement l'atmosphère enchanteresse de Florence. Les façades colorées, les places animées et l'architecture Renaissance. Lucas gare sa voiture non loin du Caffè Rivoire, célèbre institution. Quelques instants plus tard, il est rejoint par un septuagénaire chaleureux à la chevelure argentée.
- Lucas, bienvenue en Toscane, mon ami !
- Francisco, enchanté de te rencontrer.
Les deux hommes échangent une poignée de main amicale. Un café et direction la maison de Francisco. La journée se passe entre discussions animées sur le football, dégustation de mets délicieux préparés par la maîtresse de maison, et exploration des trésors artistiques de Florence. Francisco se rend régulièrement dans son jardin. Il adore parler aux fleurs, suivre leur évolution de leur naissance jusqu’à leur déclin. Observer les pétales retroussés par le vent ou fripés par la pluie est pour lui un plaisir inestimable. Les fleurs sont comme les femmes pense-t-il. Elles aussi ont leurs caprices et leurs fantaisies. En parlant de femme, la sienne, Paola, se trouve sur la terrasse de leur maison. Lucas est attablé en face d’elle, tous deux sirotent un Martini blanc en faisant connaissance pendant que le chef de famille contemple ses fleurs dans le jardin. Paola, l'épouse de Francisco, septuagénaire comme lui, est une femme classique et élégante. Elle demande à Lucas de le suivre à l’étage une fois sa boisson terminée. Les pas résonnent dans le silence, seulement interrompus par le froissement léger du tissu de la robe de Paola. Ils montent un majestueux escalier en bois, atteignent une porte à l'extrémité d’un petit couloir, dont Paola tourne délicatement la poignée. "Voici la chambre où vous séjournerez " annonce-t-elle d'une voix pleine de sérénité. La pièce dégage une atmosphère paisible. Les rideaux en soie laissent filtrer une lumière douce, caressant le mobilier en bois foncé et les nuances subtiles des tableaux accrochés aux murs. Un lit King-Size orné d'une parure de draps en lin trône au centre de la pièce. "Vous trouverez tout le nécessaire dans la salle de bains attenante. N'hésitez pas à faire comme chez vous. Si vous avez besoin de quelque chose, nous sommes juste en bas," ajoute la maîtresse des lieux. Lucas acquiesce et la remercie. Il lui dit aussi qu’elle peut le tutoyer. "C’est d’accord ! "Paola lui adresse un sourire bienveillant avant de quitter la chambre, laissant Lucas seul avec ses pensées. Installé sur le bord du lit, il contemple la scène apaisante qui s'offre à lui. Cette chambre élégante est un havre de paix, un contraste frappant avec les tourments qui ont secoué sa vie privée au cours des derniers mois. Il ressent une pointe de reconnaissance envers Paola et Francisco, dont la générosité et la compréhension lui offrent un répit bienvenu.
Les jours qui suivent sont remplis d'échanges enrichissants, de moments de réflexion solitaire dans les rues pittoresques de la ville, et de découvertes culinaires. Lucas trouve l'inspiration dans ce cadre idyllique, propice à la création littéraire et à la remise en question. Alors que le soleil se couche sur les collines toscanes, il réalise que ce voyage n'était pas seulement une escapade, mais le début d'une vraie aventure introspective. La quête de vérité à laquelle il s'est engagé prend forme au cœur de la Toscane, dans cette atmosphère imprégnée d'art, d'amitié, et de magie.
Le lendemain, nouvelle balade, puis Francisco demande à Lucas de lui raconter ses secrets d’écrivain. Installés sur la terrasse avec une vue imprenable sur les collines toscanes, Lucas et Francisco poursuivent leur conversation, explorant le monde fascinant de l'écriture. "Francisco, tu sais, le travail d'un écrivain, c'est un peu comme être un alchimiste des mots. On jongle avec les lettres et les phrases pour créer quelque chose de magique, quelque chose qui transcende le quotidien et transporte le lecteur dans un autre univers. C'est une alchimie où les mots deviennent des potions, des formules magiques." Francisco écoute attentivement, un sourire curieux sur le visage. "L'écrivain doit être un observateur, un témoin du monde qui l'entoure. On puise dans nos expériences, nos émotions, nos rêves, et on les transpose sur le papier. C'est un peu comme tisser une toile où chaque mot est une couleur, chaque phrase est un fil, et l'histoire qui en résulte est une œuvre d'art en soi." Francisco prend une gorgée de vin, hochant la tête avec compréhension. "Il y a une danse entre la réalité et l'imagination. L'écrivain explore les recoins de son esprit, dévoile des vérités cachées, crée des mondes fictifs qui résonnent étrangement avec notre propre réalité. Et c'est là que réside la magie : toucher le cœur du lecteur, éveiller des émotions, laisser une empreinte." Le soleil commence à se coucher, peignant le ciel de nuances chaudes. Lucas continue, plongeant dans ses réflexions. "Le processus créatif est parfois solitaire, mais c'est dans cette solitude qu'on trouve la véritable essence de notre art. C'est un voyage intérieur où l'écrivain explore ses propres abysses, défie ses propres limites, et trouve une sorte de catharsis à travers les mots." Francisco prend une pause, puis répond avec une sagesse acquise au fil des années. "C'est une belle perspective, Lucas. Une sorte de magie littéraire. Et je suppose que chaque écrivain a son propre style, sa propre manière de mêler les ingrédients de cette alchimie. " Exactement, Francisco. Chacun apporte sa propre saveur à la grande marmite de l'imagination. Et c'est là toute la beauté de la diversité littéraire." Ils continuent à discuter, partageant leurs points de vue sur la créativité, l'art, et la vie, sous le ciel toscan qui se pare de couleurs éclatantes à mesure que la nuit s'installe.
Le salon est éclairé par des lampes tamisées qui crée une ambiance accueillante et intime. Les murs sont ornés d'œuvres d'art, de clichés de paysages, de monuments emblématiques et de moments de la vie quotidienne photographiés par Francisco lui-même.
La soirée débute autour d'une grande table basse, sur laquelle trône une bouteille de vin italien, du rouge pétillant, soigneusement choisi par Francisco qui lance à Lucas : "il n’y a pas que les français qui savent faire du bon vin ! ". Dégustation d’olives marinées, de fromage parfumé, de bruschettas garnies de tomates fraîches et de basilic. L’Italie des gastronomes en l’honneur de la venue de Lucas avec en toile de fond des discussions sur le sport, le football bien sûr, mais aussi sur l’écriture, un art que Paola semble beaucoup apprécier, elle aussi. Eclats de rire et anecdotes partagées, Lucas se dit que Francisco et Paola sont vraiment des hôtes extraordinaires, captivants par leur passion pour la vie en général et par leur amour de la bonne cuisine. Ils ont partagé des souvenirs de leur Toscane, évoquant les ruelles pavées, les lieux et monuments historiques de Florence ainsi que les fêtes familiales. Le couple suggère avec enthousiasme : " Pourquoi ne pas sortir et profiter de la vie nocturne Lucas ? Tu pourrais te changer les idées. Ça fait une semaine que tu es ici. Nous, nous sommes trop vieux pour faire la fête, mais toi ?!... " Les yeux de Lucas pétillent alors d'une lueur d'excitation, et il se dit que cela pourrait en effet être une expérience mémorable. " Tu sais quoi ? dit Francisco en pointant du doigt une clé accrochée au mur, j'ai une idée pour rendre cette soirée encore plus spéciale pour toi. Pourquoi ne prendrais-tu pas ma moto ? Ce sera plus facile pour te garer que d’y aller en voiture. Tu trouveras un beau casque intégral sur une étagère dans ta chambre. Qu’en penses-tu ? " Lucas acquiesce, excité par l’idée. "Je ne ferai pas de bruit en rentrant " prévient-il. "Ne t’inquiète pas pour nous" lui répond Francisco avec bienveillance.
Lucas entre dans un nightclub animé, attiré par la musique envoûtante et les lumières tamisées qui créent une ambiance électrique. Alors qu'il se fraye un chemin à travers la foule dansante, il remarque une jeune femme magnifique et richement tatouée, se démarquant avec son style unique. Ses yeux sont immédiatement attirés par la façon dont la lumière joue avec les motifs artistiques qui ornent sa peau. Intrigué, il décide de s'approcher d'elle, cherchant à en savoir plus sur cette mystérieuse beauté.
Il engage la conversation, complimentant ses tatouages et exprimant son admiration pour cet art. La jeune femme sourit, reconnaissante pour l'appréciation de l'homme envers son expression artistique. Elle se prénomme Valentina et parle français. Au fur et à mesure que la soirée se déroule, ils découvrent des intérêts communs, partagent des fous rires riches de complicité. La musique palpitante et l'énergie de la piste de danse les attirent, et ils se joignent à la foule, dansant ensemble avec une connexion grandissante. Lucas propose à Valentina de rentrer en moto avec lui pour, lui dit-il, explorer davantage les mystères que la vie pourrait leur réserver. Elle accepte après qu’ils aient échangé un premier baiser.
Valentina et Luca montent sur la moto, le moteur démarre et la jeune femme enlace Lucas par la taille, sentant la chaleur de son corps à travers les vêtements. La soirée passée ensemble a créé une atmosphère intime. Le bruit d’un vent léger et du moteur créent une mélodie douce qui accompagne leur retour à la maison des Berti. La moto trace son chemin à travers la nuit, symbole de leur voyage commun. Les émotions de la soirée se reflètent dans le scintillement des étoiles au-dessus d'eux.
Arrivés à l’étage qui est dédié à Lucas, la clé tourne dans la serrure et ils échangent des rires complices et des murmures qui se perdent sur le seuil de la porte. Très vite le lit King Size les accueille.
Lucas observe plus attentivement que jamais le beau visage de Valentina. Ses traits sensuels, ses yeux verts, son tatouage au milieu du cou, la boucle de piercing qu'elle porte entre ses narines et celui en forme de petite boule qui lui transperce le milieu de la langue. Sa bouche est épaisse et pulpeuse et il se demande si elle a eu recours à la chirurgie esthétique. Sa pensée est rapidement balayée et le voilà qui respire l'odeur de son souffle, de sa peau. Valentina se coule tout contre son corps, effleure sa joue de ses lèvres puis semble lui voler un baiser entre ses lèvres mouillées.
Bientôt les deux inconnus se lancent dans un corps à corps endiablé. Valentina joue à repousser les caresses de Lucas pour mieux les accepter. Ses mimiques la rendent encore plus désirable. Lucas la maîtrise tout en prenant son temps, et son comportement crée une douce intimité entre eux tout en stimulant une nouvelle énergie...
Le lendemain matin.
la chambre est baignée d'une pénombre étrange, la lumière filtre à travers les rideaux à moitié fermés. L’esprit de Lucas est embrumé. Les souvenirs de la nuit précédente sont flous, comme des fragments de rêves éphémères. En essayant de se lever, Il sent une lourdeur dans chacun de ses membres, comme s’ils étaient plombés par une étrange torpeur. Son cœur commence à battre plus fort, une anxiété sourde l'envahit. Les souvenirs affluent tout à coup, comme des images floues d'une nuit trouble. Lucas se lève avec difficulté et il titube jusqu'à la salle de bain. En se regardant dans le miroir, il remarque des cernes sous ses yeux et un teint pâle. Son esprit est encore embrouillé, mais des fragments de la nuit précédente commencent à prendre forme. Des visions de verres levés, de rires et de conversations avec cette jolie jeune femme à la chevelure longue et ondulée et aux multiples tatouages. D’une fulgurance son prénom lui revient à l’esprit : Valentina.
Lucas enfile un peignoir, sort de la chambre et descend prudemment les escaliers qui mènent au salon, un frisson le parcourt à chaque marche. L'air est lourd de tension alors qu'il s'approche de plus en plus du salon... Une scène macabre commence à se dévoiler devant ses yeux. Francisco et Paola gisent sur le sol, leurs corps sans vie témoignent de la violence avec laquelle ils ont été assassinés. Une mare de sang s'étale autour d'eux, des objets renversés ajoutent au chaos de la scène. Un acharnement au couteau, lequel se trouve là, lui aussi, recouvert de sang. Le cœur de Lucas bat désormais à tout rompre, son esprit lutte pour comprendre l'horreur qui s'est abattue sur le couple. Un silence pesant règne, seulement interrompu par le bruit de la respiration haletante de Lucas…
Qui a commis un tel acte et pourquoi ?... Son esprit s'embrouille entre la peur et la nécessité de trouver une réponse. Lucas réalise que sa vie vient subitement de prendre un tournant inattendu.
Il prend son téléphone portable, Les deux cadavres de Francisco et Paola inertes sont à moins d’un mètre de lui. Une sueur froide perle sur son front. il trouve rapidement le numéro d’Edouard, son ami, dans son répertoire. À chaque sonnerie, l'attente est insoutenable. Finalement, une voix familière répond de l'autre côté de la ligne.
" Allo ? " dit son ami d'une voix endormie. " Edouard, c'est moi, Lucas" bafouille-t-il. "C'est horrible, il y a eu un double meurtre... Je ne sais pas ce qui s'est passé. Un silence pesant suit son appel, puis Edouard répond, soudainement alerte. "Quoi ?! Où es-tu ? Est-ce que tu es en sécurité ? "…
"Non… Enfin, je ne sais pas. Je suis dans le salon de Francisco et Paola. Il sont morts et il y a du sang partout. Je ne peux pas rester ici. Je... Je ne sais pas quoi faire."
"Ok, ok, calme-toi" dit Edouard d'une voix assurée. "Quitte cet endroit immédiatement et surtout ne touche à rien. ".
Lucas hoche machinalement la tête. « D'accord, Edouard. Je prends mes affaires, je m’en vais, je roule un peu puis je vous rappelle ». La conversation se termine brusquement, et Lucas se précipite hors de la maison avec ses affaires, laissant derrière lui l'horreur... Chaque pas résonne dans sa tête puis il est pris dans un tourbillon de choc et d'urgence. Il monte dans sa Donkervoort et file sur la route E35 en direction de Rome. Conduire va lui changer les idées, pense-t-il, et il en a sacrément besoin !
Plus d’une trentaine d’années plus tôt... Francisco Berti se tenait seul dans l'ombre des ruelles de Florence, le poids de son passé militant pesant sur ses épaules. Sa vie de journaliste n'était qu'une façade habilement conçue pour dissimuler son affiliation passée avec les Brigades Rouges, un groupe militant d'extrême gauche en Italie. Les souvenirs de ses jeunes années, marquées par l'idéalisme et la révolte, le hantaient encore. Dans le cadre de son travail journalistique, Francisco couvrait les sujets politiques et sociaux, s'efforçant de maintenir une image d'impartialité. Cependant, les cicatrices de son passé révolutionnaire demeuraient invisibles, enfouies sous le masque d'un professionnel de l'information. Un jour, alors qu'il enquêtait sur une série de manifestations antigouvernementales, Francisco se retrouva plongé dans un tourbillon de souvenirs. Il entrevit des visages familiers parmi les protestataires, des camarades d'une époque révolue. Son cœur battait plus fort à chaque slogan, à chaque banderole rappelant les idéaux qu'il avait un jour partagés. Alors que la situation politique s'intensifiait, des flashbacks de ses années de militantisme le hantaient. Les nuits passées à planifier des actions, les débats idéologiques enflammés, les rencontres secrètes dans des lieux obscurs... Tout était là, comme une ombre persistante derrière sa vie actuelle. Les autorités commençaient à remarquer la tension croissante, et Francisco sentait que son double jeu devenait de plus en plus risqué. Son appartement était devenu un sanctuaire d'archives, regorgeant de documents compromettants et de souvenirs soigneusement cachés. La peur de la découverte pesait sur lui, tandis que les deux facettes de sa vie menaçaient de se télescoper. Au fur et à mesure que les événements s'enchaînaient, Francisco se trouva confronté à des choix difficiles. Entre son passé radical et sa vie actuelle, entre la loyauté envers ses anciens camarades et le besoin de préserver sa nouvelle identité, il se sentait piégé. Finalement, alors que les rues bruissaient de manifestations et que les échos du passé résonnaient dans ses oreilles, Francisco réalisa que son destin était inextricablement lié à son histoire tumultueuse. Il se demandait si la vérité finirait par éclater au grand jour, ou s'il pourrait continuer à jongler avec ses deux vies, tout en gardant ses démons intérieurs soigneusement dissimulés derrière le masque du journalisme. Pour brouiller les cartes encore davantage, Francisco, passionné de ballon rond, quitta le journalisme d’investigation en 1980 pour le journalisme sportif et fit son entrée dans le plus grand quotidien de la péninsule, celui aux pages roses dans lequel il fut amené à suivre l’équipe phare de la Toscane : la Fiorentina.
Lucas arrête son véhicule sur une aire de repos après une bonne heure de conduite. Il prend son téléphone pour appeler Edouard. L'anxiété et la peur sont palpables dans l'atmosphère. "Allo, Edouard, c'est Lucas," murmure-t-il d'une voix tendue. Edouard, de l'autre côté de la ligne, perçoit immédiatement la tension dans la voix de son ami. "Lucas, comment te sens-tu ?" demande-t-il avec inquiétude. Lucas hésite avant de parler, conscient des conséquences. "Edouard, je suis sûr que la police toscane est déjà sur les lieux du crime." Edouard serre les dents, réfléchissant rapidement à la meilleure façon de gérer la situation. "D'accord, calme-toi, Lucas. Où es-tu actuellement ?" Lucas donne sa localisation à Edouard, qui prend une profonde inspiration. "Écoute Lucas, tu dois rester calme c’est très important. Trouve un hôtel, passe la nuit là-bas. On va trouver une solution, d'accord ?" Lucas acquiesce. "D'accord, Edouard. Mais qu’allons-nous faire ?" Edouard réfléchit vite. "Je vais appeler le domicile de Francisco. Si la police est déjà sur place, j'essaierai de sonder discrètement la situation. Je te rappelle dans la soirée." Lucas plonge dans un silence angoissant. Il met le contact et se dirige vers un hôtel proche, le regard fixé sur la route, l'esprit tourmenté par les événements qui viennent de se dérouler. Pendant ce temps, Edouard compose le numéro du domicile de Francisco, essayant de maîtriser son inquiétude. Une voix masculine répond à l'autre bout... "Bonjour dit Edouard, je m'excuse de vous déranger. Je suis un ami de Francisco et j’aimerais lui parler. Nous avons prévu de nous voir bientôt, mais je n'ai pas réussi à le joindre." La voix de l’homme s'anime légèrement. "Oh, bonjour !... Francisco et Paola sont partis en voyage. Je suis un voisin et ils m'ont demandé de garder la maison. Ils sont en Allemagne et tout va bien aux dernières nouvelles. Je leur ferai part de votre appel. Comment vous appelez-vous ? " Edouard essaie de rester le plus normal possible. " Merci pour l'information Monsieur... Pas nécessaire de leur signaler mon appel, ne vous embêtez pas, j’essaierai de les joindre lorsqu’ils rentreront d’Allemagne. Bonne journée." Edouard raccroche, complètement désorienté, se demandant ce qui se trame là-bas...
Le soleil déclinait à l'horizon, baignant la ville côtière de Livourne d'une lumière dorée. Valentina, une jeune femme vibrante de vie, arborait fièrement ses vingt-trois ans et une passion ardente pour les tatouages qui ornait sa peau comme des œuvres d'art vivantes. Elle avait le pouvoir de faire tourner la tête de nombreux hommes, mais ce soir-là, son destin prit un tournant sombre. Après une soirée enflammée passée avec Lucas, Valentina ne pouvait s'empêcher de sourire en repensant à leur rencontre. Cependant, cette soirée avait laissé derrière elle une ombre sinistre. Le seul tort de Valentina avait été de suivre Lucas dans la maison des Berti, un choix qui allait sceller son destin de manière tragique. Bien que Valentina ait rapidement laissé cette expérience derrière elle, une voiture de sport noire avait commencé à la suivre de près. Les occupants de ce véhicule mystérieux semblaient l'observer, surveillant chacun de ses mouvements avec une intensité palpable. Des frissons d'appréhension couraient le long de sa colonne vertébrale à chaque fois qu'elle se retournait pour constater leur présence persistante. Un jour, alors que le destin semblait suspendu dans l'air, Valentina traversait un passage clouté animé de sa ville bien-aimée. Les bruits de la circulation, les murmures des passants et le doux murmure de la mer en arrière-plan créaient une sorte de symphonie urbaine. Cependant, cette harmonie fut brutalement interrompue. Soudain, le rugissement du moteur de la voiture de sport noire résonna dans l'air. Valentina se figea, le cœur battant. La voiture fonça sur elle à une vitesse terrifiante. Elle n'eut que le temps de lever les yeux, la terreur se lisant dans son regard, avant d'être violemment fauchée. Un cri déchirant emplit l'air, mélange de surprise et d'agonie, puis tout devint silencieux. La voiture de sport disparut rapidement, laissant derrière elle une scène de tragédie. Les passants choqués se précipitèrent vers Valentina, mais il était déjà trop tard. Sa vie s'était éteinte en un instant, son destin brisé par un acte impitoyable. La ville de Livourne, autrefois baignée dans la lumière dorée du crépuscule, avait maintenant un voile sombre jeté sur elle, empreinte du chagrin de la perte d'une vie qui avait à peine commencé.
Lucas franchit l’entrée d’un hôtel de Sienne et il est accueilli par le chaleureux sourire de la réceptionniste. Après quelques formalités, il prend l'ascenseur jusqu'à sa chambre. Lorsqu'il ouvre la porte, il découvre un espace élégamment décoré. Lucas dépose ses affaires dans sa chambre, se dirige directement vers la salle de bain pour prendre une douche. L'eau chaude qui coule sur son corps fatigué est apaisante, son esprit, lui, est très agité. Il se pose mille questions… Alors qu'il se sèche avec sa serviette, son téléphone portable sonne soudainement. C’est Edouard. "Lucas, tu ne devineras jamais ce qui se passe !", commence Edouard d'une voix grave. "J'ai appelé chez Francisco, et quelqu'un d'autre a répondu. Il m’a dit que Francisco et Paola étaient en voyage… "Lucas fronce les sourcils, perplexe. "En voyage ? Mais pourquoi a-t-il dit cela ? Et qui est cet homme qui a répondu ?" Edouard partage les inquiétudes et les interrogations, expliquant que quelque chose de très étrange était en train de se produire. Pendant qu'ils parlent, Lucas allume la télévision italienne pour vérifier les actualités. À sa surprise, aucune mention du drame ne semble avoir été faite sur les chaînes d’information. Ils commencent à se demander s'il n’y a pas un complot ou une tentative de dissimulation dans cette affaire. "Je vais acheter toute la presse demain matin pour voir si elle évoque la tragédie", annonce un Lucas déterminé. Edouard approuve l'idée et suggère qu'ils se rappellent après que Lucas ait fait ses recherches.
Le lendemain matin. Lucas va acheter la presse italienne chez le premier kiosquier qu'il trouve à Sienne. Il s'assoit sur un banc, parcourt tous les journaux achetés et rien. Pas un mot sur le double meurtre ! Tout à coup, Lucas se rend compte que deux hommes semblent surveiller ses faits et gestes. Peut-être est-il devenu paranoïaque ??? Il décide de tester et part en courant. Il se retourne et voit les deux hommes, chacun armé d’un revolver, foncer sur lui. Non il n'est pas devenu paranoïaque. S'ensuit une course poursuite dans les rues de Sienne au milieu des touristes. Lucas entend les balles siffler autour de lui car les deux hommes ouvrent le feu. Heureusement, un groupe de touristes japonais a la bonne idée de se trouver au milieu d'une rue ce qui lui permet d'échapper aux deux poursuivants qui clairement ont essayé de le tuer. Lucas, essoufflé, se mêle à la foule des touristes qui le protègent involontairement de ses assaillants. Il prend une série de virages à travers les ruelles étroites de Sienne, cherchant à se perdre dans les rues. Les coups de feu résonnent encore dans son esprit, le forçant à accélérer le rythme de sa fuite. Il aperçoit une petite trattoria et décide de s'y engouffrer pour échapper à ses agresseurs. Le propriétaire, un homme corpulent au visage amical, lui lance un regard intrigué tandis que Lucas, essuyant la sueur de son front, lui demande s'il peut utiliser les toilettes. Le propriétaire accepte avec un signe de tête. Lucas s’y précipite, verrouille la porte derrière lui et examine rapidement son environnement. Il fouille dans la petite sacoche qui ne le quitte jamais à la recherche de son téléphone portable. La respiration haletante, il compose frénétiquement le numéro de son ami Edouard. "c'est Lucas ! Deux hommes ont essayé de me tuer dans les rues de Sienne ! Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que cela a un lien avec le double meurtre." Le journaliste, surpris et inquiet, demande des détails. Lucas lui explique la situation en quelques phrases. Edouard lui conseille de rester caché un moment. Lucas sort des toilettes au bout d’une demi-heure, remercie le propriétaire de la trattoria qui ne lui pose aucune question et se fond à nouveau dans la marée de touristes. Il sait qu'il ne peut pas rester statique, que les deux hommes sont sûrement toujours à sa poursuite. Il décide de se diriger vers la Piazza del Campo, pensant qu'il pourrait se fondre dans la foule dense qui s'y trouve. En atteignant la place principale de Sienne, Lucas repère un groupe de musiciens de rue. Il se mêle à la foule qui applaudit et danse au rythme de la musique, espérant que l'agitation dissimulera sa présence aux hommes qui le traquent. Une course pour la survie est engagée, plongeant Lucas dans un monde d'intrigues et de dangers inattendus, tandis que les rues de Sienne se transforment en un terrain de jeu potentiellement mortel.
Les rues de Milan étaient témoins de l'amitié indéfectible entre Roberto et Francisco. Ils avaient partagé les rires, les peines et même les idéaux en tant que camarades des brigades rouges. Cependant, comme cela arrive souvent dans la vie, l'amour vint semer la discorde entre eux. Paolo, un jour, croisa le regard envoûtant de Paola, la femme de Francisco. Les étincelles de la passion s'allumèrent, et Paolo tomba éperdument amoureux de la belle Paola. C'était le début d'une tragédie qui allait ébranler l'amitié entre Roberto et Francisco. Lorsque Roberto, insouciant des conséquences, commença à courtiser de manière un peu trop audacieuse Paola, Francisco ne put contenir sa colère. La tension monta, des insultes furent échangées, puis les poings volèrent. La bagarre entre les deux amis était inévitable. Elle fut très violente. Puis les esprits s'apaisèrent, mais l'amitié entre Roberto et Francisco fut irrémédiablement brisée. De la complicité d'autrefois ne subsistait plus qu'un abîme de rancœur. Les regards meurtriers qu'ils échangèrent en se séparant laissèrent présager une suite sombre à cette histoire. La haine s'était insinuée là où régnait autrefois la solidarité. Les chemins qui les avaient conduits ensemble se séparaient brusquement. La vengeance de Roberto planait comme une ombre menaçante, prête à se matérialiser à tout moment. Les années avaient changé Roberto de bien des manières. Contrairement à Francisco, qui avait choisi le chemin du journalisme, Roberto avait embrassé une voie beaucoup plus sombre. Son passage au sein des brigades rouges ne l'avait pas laissé indemne, et il avait occupé un rôle sinistre au sein de l'organisation terroriste. Tandis que Francisco avait définitivement tourné le dos à cette vie violente, Roberto avait persisté dans la noirceur de son passé. Les échos de ses actions brutales, de ses tortures infligées au nom de la cause, résonnaient encore dans les recoins de sa conscience. Cependant, il était loin de se repentir de son passé trouble. Après avoir quitté les brigades rouges, Roberto avait trouvé un nouveau foyer au sein de la mafia milanaise. Rapidement, il avait gravi les échelons pour devenir un Capo redouté. La criminalité organisée était devenue son nouveau terrain de jeu, où il avait acquis du pouvoir et de l'influence. Malgré sa vie apparente de stabilité avec une femme aimante et trois enfants, Roberto portait toujours en lui le fardeau de la vengeance inassouvie. Les blessures du passé n'étaient pas guéries, et la haine envers Francisco brûlait toujours en lui. Les jours s'écoulaient, mais l'obsession de Roberto demeurait. Il avait érigé son propre empire criminel, mais la quête de vengeance était devenue sa véritable motivation. Il savait que le moment viendrait où les destins croisés de Francisco et de lui-même se heurteraient de nouveau. Ainsi, dans l'attente de l'heure fatidique, Roberto continuait d'observer depuis l'ombre, prêt à déchaîner la tempête qu'il avait patiemment préparée.
Un homme qui était allé s’acheter une baguette de pain dans une boulangerie allait bientôt regretter d’avoir laissé en plan sa moto avec la clé de contact dessus. Pour Lucas c’était une chance incroyable ! Bien sûr il était hors de question qu’il reprenne sa voiture. L’erreur aurait été fatale... Il enfourche alors le deux-roues et laisse la boulangerie derrière lui en une accélération. Il sent bien l'urgence peser sur ses épaules alors qu'il s'éloigne de Sienne sur la moto qu’il vient de voler. Le vent fouette son visage, emportant avec lui les pensées confuses qui tourbillonnent dans son esprit. Pourquoi diable personne ne parle de l'assassinat des Berti ? Ses pensées sont interrompues par le grondement du moteur de la moto alors qu'il se fraye un chemin à travers les rues... Chaque coin, chaque passant semble être une menace potentielle, et Lucas sait qu'il doit rester sur ses gardes. Tout ce qui compte pour lui à présent, c'est de rester en vie. Le souffle de liberté qu'il ressent sur la moto est teinté d'une anxiété persistante. Il ne sait pas où il va, mais il sait qu'il ne peut pas se permettre de rester immobile. Échapper à ceux qui veulent sa peau est sa priorité absolue. Lucas roule sans direction précise, se perdant dans les rues de la campagne toscane. Chaque virage est une opportunité de se rapprocher de la sécurité ou du danger... Chaque instant est empreint d'une tension palpable, mais Lucas reste déterminé à survivre, quoi qu'il en coûte.
Tandis qu'il file sur la moto à travers la campagne, Lucas a déjà parcouru un long chemin depuis Sienne. Le soleil décline lentement à l'horizon, teintant le ciel de nuances d'orange et de rose. Il sent l'adrénaline de la vitesse et de l'inconnu alors qu'il se rapproche de Pérouse. Lucas sort son téléphone portable et appelle une fois de plus son ami Edouard. La voix d'Edouard résonne à travers l’appareil, chargée d'une urgence certaine. "Lucas, j'ai fait des recherches sur mon ami Francisco," commence Edouard d'une voix grave. "Il y a quelque chose que tu dois savoir. Francisco a été lié aux Brigades Rouges !" Lucas sent son cœur accélérer dans sa poitrine. Les Brigades Rouges. Ce groupe militant radical avait été responsable de nombreuses actions violentes dans le passé, y compris des enlèvements et des assassinats politiques. Il avait du mal à imaginer Francisco impliqué dans quelque chose d'aussi sombre. "Ce n'est pas tout" poursuivit Edouard. "Francisco m'a confié un jour qu'il avait un ennemi nommé Roberto. Il semblait vraiment terrifié par lui, mais il n'a jamais révélé la raison de leur animosité." Les informations tombent comme autant de pièces de puzzle formant un tableau à la fois troublant et mystérieux. "Je crains que Roberto ne soit derrière tout ça" ajoute Edouard, la voix chevrotante. "Je n’en serais vraiment pas surpris." "Edouard, que dois-je faire à présent ?" demande Lucas d'une voix tendue, sachant que les prochaines étapes seront cruciales pour lui. Edouard prend une profonde inspiration avant de répondre : "Lucas, écoute-moi attentivement. Je pense que tu dois me rejoindre à Marseille. Une fois que tu seras de retour, nous pourrons trouver un moyen de résoudre cette situation. En Italie tu es clairement en danger. Je pense qu’une fois la frontière passée tu seras plus tranquille". Lucas sent un poids se soulever de ses épaules alors qu'il acquiesce. Avec un nouveau sentiment de détermination, Lucas se remet en route, mettant le cap vers Marseille.
Lucas a l’impression d’être suivi depuis un moment. Il a fait une halte à Vintimille pour manger un morceau. Marseille n’est plus très loin et la France n’est plus qu’à quelques kilomètres maintenant. Il remonte sur le deux-roues et se dit – allez savoir pourquoi – que Vintimille n’est pas le décor idéal pour une poursuite effrénée… Le vrombissement d’une voiture de sport retentit dans l’air et cette machine rugissante sort de l’ombre. Les phares de la moto chevauchée par Lucas coupent l’obscurité, bientôt suivie par ceux de la voiture de sport de ces inconnus qui lui veulent du mal. Il se faufile comme il le peut dans des rues qui lui paraissent beaucoup trop étroites. La poursuite est intense, telle une danse contre la mort sur fond de carte postale... Chaque virage est une épreuve de dextérité, chaque accélération une poussée d'adrénaline !
La poursuite s'intensifie encore alors que la voiture et la moto se livrent un duel frénétique à travers la ville. Les pneus crissent, créant une symphonie de dérapages contrôlés. La moto de Lucas, agile et rapide, parvient à prendre de l'avance dans les rues sinueuses, tandis que la voiture de sport, plus lourde mais dotée d'une puissance brutale, gagne du terrain dans les lignes droites.
Les néons des enseignes lumineuses clignotent, créant une atmosphère électrique. À chaque virage, la moto plane presque au ras du sol, tandis que la voiture de sport rugit derrière elle, ses phares illuminant la scène comme des yeux féroces.
Les deux conducteurs semblent maîtres dans l'art de la poursuite… Des gerbes d'étincelles jaillissent lorsque la moto de Lucas frôle de justesse une voiture en stationnement, laissant un nuage de fumée derrière elle. Les rues semblent se rétrécir à mesure que la tension monte…
La poursuite atteint son apogée lorsque la moto de Lucas prend un virage serré pour éviter un obstacle, laissant la voiture de sport freiner brusquement. Lucas avait attendu ce moment ! D’un mouvement habile il accélère une ultime fois, disparaissant dans l’obscurité avant que la voiture ne puisse réagir.
La nuit se calme ensuite, laissant derrière elle le frisson de l'interdit gravé dans le bitume des rues redevenues silencieuses.
Alors que Lucas franchit la frontière italienne pour entrer en France, une légère sensation de victoire l'envahit car il imagine facilement que la voiture de sport n’a pas tenté le passage frontalier. L'Italie, avec ses émotions fortes, est désormais derrière lui. Maintenant, la route s'étend devant lui tel un ruban d'asphalte. Lorsqu'il arrive à Marseille, il se dirige directement vers l'appartement d'Edouard, impatient de retrouver son ami après cette longue période à rouler. La moto ronronne alors qu'il se faufile dans les rues pleines de vie de la cité phocéenne. Il gare le bolide au bas de l’immeuble d’Edouard. Lorsque l’ancien journaliste ouvre la porte d’entrée de son appartement, un sourire radieux illumine son visage et une chaleureuse étreinte s’ensuit. C'est comme si Lucas était le fils qu'il n'a jamais eu, et son soulagement de le voir sain et sauf est palpable. "Lucas, quelle joie de te revoir !" s'exclame Edouard, la voix teintée d'émotion. Les deux hommes se serrent fort dans ce moment de retrouvailles. Pour Lucas, sentir la présence réconfortante d'Edouard est comme retrouver un ancrage après son cauchemar italien. "Je suis tellement heureux d'être ici, Edouard," répond Lucas, son propre soulagement se mêlant à celui de son ami. "Merci de m'accueillir." "Tu vas rester ici quelques jours" déclare Edouard dans un mélange de fermeté et de bienveillance. "Nous avons beaucoup à nous dire, et je veux m'assurer que tu te reposes correctement." Lucas opine du chef, reconnaissant qu’il est de cette offre de refuge et de soutien. Il sait qu'avec Edouard à ses côtés, il pourra enfin mettre ses pensées en ordre et envisager la meilleure stratégie pour surmonter les épreuves vécues en Toscane.
Après des semaines de tension et de crainte, un sentiment de soulagement envahit enfin Edouard et Lucas. La menace de la mafia italienne qui pesait sur Lucas semblait s'être dissipée, exactement comme l'avait prédit Edouard. Ils pouvaient enfin respirer et reprendre une vie normale. Edouard considérait Lucas comme son propre fils, et le voir en sécurité lui procurait un immense plaisir. Depuis que Lucas était arrivé chez lui, à Marseille, pour se reposer et se remettre de tout ce qui s'était passé, leur lien s'était encore renforcé. Ils partageaient non seulement un abri, mais aussi des souvenirs, des peurs et des espoirs. Pourtant, quelque chose continuait à les intriguer. En dépit de l'importance des événements tragiques qui s'étaient déroulés en Italie, il semblait étrange que personne n'en parle. Le meurtre de Francisco et de sa femme Paola aurait dû faire la une des journaux depuis longtemps, mais il régnait un silence étrange autour de cette affaire. De même, l'assassinat public de la jeune Valentina aurait dû susciter l'indignation et le débat, mais il semblait que tout le monde avait choisi de garder le silence. Edouard et Lucas échangeaient souvent à ce sujet, essayant d’en comprendre les raisons. Ils en vinrent à soupçonner que le passé trouble de Francisco, lié à son implication avec les brigades rouges, jouait un rôle dans cette omerta. Peut-être que les autorités italiennes avaient choisi de fermer les yeux sur ces événements pour des raisons politiques ou pour éviter de rouvrir des blessures anciennes. Lucas et Edouard savaient que le danger pouvait ressurgir à tout moment, mais pour l'instant, ils étaient déterminés à profiter de chaque instant de paix qu'ils pouvaient trouver.
Lucas avait délibérément choisi de prendre un appartement dans le quartier où résidait Edouard. La proximité avec cet ami de longue date qu’il considérait comme un père était un facteur déterminant dans sa décision. Ils se voyaient très souvent, partageant des discussions profondes, des rires et parfois même quelques verres de vin pour accompagner leurs échanges. Dans cet appartement, Lucas avait trouvé un espace propice à la reprise de son activité d'écriture, une passion qu'il avait laissée de côté pendant un certain temps. Retrouver les mots, donner vie à ses idées, cela lui procurait un sentiment de plénitude et de réalisation personnelle. Sa vie avait pris un rythme régulier et calme. Il était devenu un homme solitaire, mais pas solitaire au sens triste du terme. Il appréciait sa propre compagnie, trouvant la paix dans les moments de silence et de réflexion. Les distractions étaient rares, les sorties peu fréquentes. Il préférait commencer ses journées avec un footing matinal, profitant de l'air frais du petit matin pour clarifier ses pensées et stimuler son corps. Les visites de ses enfants ponctuaient agréablement ses semaines. Bien que leurs interactions fussent parfois brèves, chaque moment passé avec eux était précieux à ses yeux. Il se sentait reconnaissant d'avoir cette connexion, même si elle n'était pas aussi constante qu'il l'aurait souhaité. Les souvenirs de sa vingtaine d'années passées avec son épouse n'étaient plus aussi présents dans son esprit. Il les avait relégués à un coin reculé de sa mémoire, préférant se concentrer sur le présent et sur l'avenir. Il croyait fermement que le choix qu'ils avaient fait ensemble, de suivre des chemins séparés, était le bon. Il avait trouvé une certaine forme de paix et de satisfaction dans cette conviction, lui permettant d'avancer sans être encombré par le poids du passé. Ainsi, Lucas poursuivait sa vie, tracée selon ses propres termes et ses propres choix. Il avait trouvé un équilibre qui lui convenait, où la solitude était synonyme de liberté et d'acceptation de soi. Et dans cette solitude choisie, il découvrait une richesse insoupçonnée, une plénitude qui émanait de sa capacité à se créer sa propre vie, à sa manière.
Les mois passent. Lucas a presque oublié les mésaventures d'Italie. Il écrit son nouveau roman qui avance bien et qui est supervisé par son ami Edouard. Un soir, l’ancien journaliste l'invite au restaurant en lui disant qu'ils vont déjeuner tous les deux avec deux autres personnes. Lucas demande quelles sont ces personnes. Edouard reste énigmatique et lui répond : "tu verras, c’est une surprise". Lucas est intrigué par cette invitation mystérieuse. Il se demande pourquoi Edouard ne veut pas lui révéler les identités. Il se sent à la fois curieux et excité à l'idée de découvrir ce mystère. Le soir du rendez-vous, Lucas retrouve Edouard au rendez-vous fixé, un restaurant bon chic bon genre de Marseille rue de la République. Ils s'installent à une table élégamment dressée et attendent l'arrivée du mystérieux duo. Lucas sent un frisson glacé lui parcourir l'échine lorsqu'il voit… Francisco et Paola se tenant devant lui, vivants et souriants !!! Son esprit vacille alors, entre l'incompréhension et la terreur. Il était sûr de les avoir vus morts, leur image gravée dans sa mémoire comme une scène de cauchemar. Le couple semble ignorer toute la confusion qui règne dans l'esprit de Lucas. Ils sont là, bien réels, comme s'ils n'avaient jamais été touchés par le couteau retrouvé sur les lieux du crime... Pourtant, Lucas se rappelle distinctement la vision macabre de leurs corps inertes, baignant dans leur propre sang. Lucas cligne des yeux, se frottant les tempes pour chasser l'impression de démence qui s'empare de lui. Il a besoin de comprendre, de savoir ce qui se passe. Est-ce une hallucination ? Une illusion ? Francisco, Paola... Sa voix tremble alors qu'il tente de formuler ses pensées. "Je... je suis désolé, mais je vous ai vus... morts. Comment pouvez-vous être... ici ?" Le couple échange un regard troublé avant que Francisco ne prenne la parole d'une voix douce mais ferme : "… Nous sommes vivants... Nous n'avons aucune idée de ce que vous avez vu mon brave, mais nous sommes là devant vous. Peut-être avez-vous rêvé, ou... quelque chose d'autre s'est passé." Lucas cherche Edouard du regard mais ne le trouve pas. En revanche il voit Valentina, celle avec laquelle il avait passé une nuit. Elle lui sourit. Puis... Il sent le sol se dérober sous ses pieds. Est-il en train de perdre la raison ? Ou y a-t-il quelque chose de plus sinistre en jeu ? Il doit démêler ce mystère, peu importe le coût. "Je... je dois savoir", murmure-t-il, se forçant à rassembler ses pensées tandis que les questions tourbillonnent dans son esprit…
Tout à coup, Lucas se sent étrangement captivé, comme si un tourbillon invisible l'emportait dans un tumulte incontrôlable. Son cœur bat désormais à un rythme effréné, menaçant de s'échapper de sa poitrine. Chaque pulsation ressemble à un coup de marteau dans sa cage thoracique, résonnant jusqu'aux confins de son esprit ô combien perturbé. Soudain, un bruit strident déchire le silence. Son téléphone portable, tel un sauveur inattendu, l’arrache littéralement de cet abominable cauchemar, lequel semblait le consumer tout entier !
C’est Edouard, son ami fidèle, qui se trouve à l'autre bout de l'appareil. Malgré sa confusion et sa transpiration abondante, Lucas lâche un timide "oui ?". Edouard répond alors par une question, toute simple et posée par l’ancien journaliste avec grande assurance :
"Lucas, dis-moi, tu pars toujours te reposer en Toscane ?..."
© Fabrice Balester, 2024. Tous droits réservés.

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